Faute de poursuites une impunité endémique continue à faire des victimes

08/06/2011
Communiqué
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À l’occasion du deuxième anniversaire de la vague de répression contre les manifestations en Iran suite à la réélection de Mahmoud Ahmadinejad, Shirin Ebadi, Lauréat du prix Nobel de la paix 2003, et quatre organisations de défense des droits de l’homme appellent le Haut Commissariat aux droits de l’homme des Nations unies et le Conseil des droits de l’homme des Nations unies à prendre une position plus ferme quant à la sécurité et au respect des droits de l’homme du peuple iranien.

Les organisations des droits de l’homme sont : Reporters sans frontières, la Campagne internationale pour les droits de l’homme en Iran, la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme et son organisation partenaire en Iran, la Ligue iranienne pour la défense des droits de l’homme.

"Le rapporteur spécial des Nations unies pour l’Iran doit rapidement être nommé et envoyé en mission. La situation du pays se détériore jour après jour. Les arrestations arbitraires, l’emprisonnement de citoyens, les actes systématiques de torture et les exécutions extrajudiciaires continuent. Non contentes de refuser le droit au rassemblement pacifique, les forces de l’ordre et les agents de sécurité en civil empêchent la population de tenir des cérémonies funéraires privées et mènent des agressions violentes contre elle", ont affirmé le Prix Nobel de la paix Shirin Ebadi et les organisations des droits de l’homme.

Le 1er juin 2011, Haleh Sahabi, prisonnière politique et activiste des droits des femmes, a été attaquée pendant le cortège funèbre de son père, Ezatollah Sahabi, personnalité importante de la classe politique iranienne décédé de causes naturelles deux jours auparavant. Selon des témoins oculaires, la mort de Haleh Sahabi résulte directement de cette agression physique. Au jour d’aujourd’hui, les autorités de la République islamique n’ont fait aucune démarche pour enquêter sur les circonstances entourant sa mort. Dans les médias gouvernementaux, quelques responsables ont déclaré qu’elle serait décédée d’une "crise cardiaque". Sous la pression des agents de sécurité, le corps de Haleh Sahabi a été enterré de nuit sans les rites funéraires traditionnels qui accompagnent normalement l’enterrement d’une femme musulmane.

Après l’élection présidentielle du 12 juin 2009 et le début des protestations, des milliers de personnes ont été arbitrairement arrêtées et poursuivies. Sans respect pour leurs droits fondamentaux, elles ont été condamnées à de longues peines de prison lors de procès injustes. Selon les témoignages des prisonniers et de leurs familles, beaucoup d’entre elles ont été soumises à des actes de torture et à des violations cruelles, inhumaines et insultantes pendant les interrogatoires et leur période de détention. Certains de ces prisonniers ont publié une lettre commune, déposant plainte formellement contre les Gardiens de la révolution islamique, le Ministre des Renseignements et les autorités juridiques pour tortures psychologiques et physiques.

La justice iranienne n’est pas indépendante. Selon l’article 110 de la Constitution, le chef du système judiciaire est nommé par le Guide Suprême de la République islamique d’Iran. L’article 156 de la Constitution iranienne établit que le Chef du système judiciaire est responsable d’"assurer les droits publics et de promouvoir la justice et la liberté civile". Or, l’Ayatollah Amoli Larijani, actuellement à la tête du pouvoir judiciaire, n’observe pas cet article. Au contraire, en ne poursuivant pas ceux qui violent les droits publics, ceux qui commandent et pratiquent la torture et autres crimes sérieux, il encourage plus d’audace dans leurs actes de violence contre la société et particulièrement à l’encontre des prisonniers.

"Prenant acte de la détérioration du système juridique iranien, les citoyens ne croient plus en leur justice, a déclaré Shirin Ebadi. Ils ne veulent plus déposer plainte devant les tribunaux. Les prisonniers politiques et leurs familles ont boycotté le Procureur de Téhéran pour protester contre la négligence du pouvoir judiciaire. Ils ont officiellement annoncé que, dorénavant, ils ne feront pas de requêtes aux autorités judiciaires. La communauté internationale a l’obligation d’aider le peuple iranien à avoir accès à la justice," a-t-elle ajouté.

Haleh Sahabi n’est pas la seule femme victime des violences et de l’impunité. Pendant les trente dernières années, des centaines de femmes ont été assassinées dans la rue ou les prisons. En juillet 2003, par exemple, une journaliste canado-iranienne, Zahra Kazemi, a été battue par des autorités judiciaires à la prison d’Evin. Elle est décédée peu après d’un traumatisme crânien. Son corps a été précipitamment enterré à Shiraz contre la volonté de son fils, Estephan Hachemi, qui vit au Canada. La mère de Zahra Kazemi a affirmé dans un entretien qu’elle avait subi de fortes pressions des autorités iraniennes pour accepter que sa fille soit enterrée en Iran. Les avocats de la famille de Zahra Kazemi ont critiqué à plusieurs reprises la procédure juridique suivie. Ils n’ont pas été autorisés à convoquer des témoins au procès, ni en première instance ni en appel. Certains témoins étaient des officiers judiciaires de haut niveau, comme le procureur général de l’époque, Saeed Mortazavi, qui a été directement impliqué dans l’interrogatoire de Zahra Kazemi et, selon plusieurs témoins, dans sa mort.

L’institutionnalisation de l’impunité dans le système juridique iranien explique en partie les limitations imposées aux avocats indépendants qui défendent les prisonniers de conscience. Mohammad Seifzadeh, un avocat iranien reconnu et membre du Centre pour les défenseurs des droits de l’homme, qui a aussi représenté Zahra Kazemi, a été arbitrairement et illégalement arrêté et emprisonné. Il a été condamné par la section 15 du Tribunal révolutionnaire de Téhéran à neuf ans de prison et dix ans d’interdiction d’exercer pour avoir "contribué à fonder le Cercle des défenseurs des droits de l’homme". Nasrin Sotoudeh, qui a assuré la défense de Haleh Sahabi, a été arrêtée le 4 septembre 2010 puis condamné à 11 ans de prison. Témoin de l’injustice du pouvoir judiciaire iranien elle-même, Sotoudeh a renoncé à faire appel de la décision de la Cour.

Le Rapporteur spécial des Nations unies doit examiner tous les cas de violations graves et systématiques des droits de l’homme en Iran et la façon dont l’impunité est venue à régner dans le pays. Nous, les organisations des droits de l’homme signataires, croyons que l’impunité institutionnalisée est l’une des raisons principales de la recrudescence des violences, des crimes tragiques, comme le meurtre de Haleh Sahabi, de la pratique systématique d’actes de torture, des traitements cruels et inhumains dans les prisons, et des arrestations arbitraires en Iran.

Nous appelons à ce que le Rapporteur spécial des Nations unies soit nommé et se rende en Iran au plus vite. Nous nous engageons à coopérer avec le Rapporteur spécial en lui faisant parvenir les documents à notre disposition et en le mettant en relation avec des témoins des violations graves de droits de l’homme en Iran.

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