Malgré la pression judiciaire, Fatia Maulidiyanti affiche un sourire à toute épreuve. Depuis plus d’un an, cette militante des droits de l’homme est poursuivie par la justice et encourt trois à cinq ans de prison. Forte d’une longue expérience dans la défense des droits humains, elle est aujourd’hui la porte-parole et la coordinatrice de l’ONG indonésienne KontraS. À 30 ans, elle est vice-présidence de la Fédération internationale des droits de l’homme (Fidh) à Paris, d’où elle rentre tout juste.

La Croix : KontraS est une ONG engagée dans la défense des droits humains. Quelle est sa mission ?

Fatia Maulidiyanti : KontraS a été créée en 1998, juste après la chute du président Suharto. Initialement, elle recherchait les personnes victimes de disparitions et d’enlèvements forcés durant la dictature, puis son mandat s’est élargi, notamment autour de l’observation des violences exercées à l’encontre des communautés ethniques en Papouasie, à Aceh et au Timor oriental. Les populations autochtones subissent régulièrement des intimidations et des agressions, alors qu’elles cherchent à protéger leurs terres contre les enjeux commerciaux liés notamment à l’exploitation des ressources agricoles et minières. L’activité de KontraS est centrée sur le plaidoyer pour dénoncer les différentes formes d’abus de pouvoir et de violations des droits de l’homme exercées par l’État indonésien.

Après avoir été sous le joug militaire du président Suharto pendant trente-deux ans (1966-1998), l’Indonésie poursuit sa transition démocratique. Le président Joko Widodo, réélu en 2020 pour un second mandat, facilite-t-il cette transition ?

F. M. : Depuis trois ou quatre ans, il y a une forme de régression, par exemple dans le respect de l’état de droit, notamment celui des minorités, ou dans la lutte contre la corruption. On voit apparaître une nouvelle forme d’autoritarisme, le gouvernement actuel accorde une importance forte au maintien de la sécurité nationale, et l’armée revient en force.

La liberté d’expression a été restreinte. Le gouvernement a amendé en 2016 la loi relative aux informations et aux transactions électroniques (ITE), votée en 2008, qu’il utilise largement pour rétrécir l’espace public : interdictions de manifester, arrestations massives, poursuites pénales, notamment lorsqu’il s’agit de prendre la parole en ligne.

Vous êtes vous-même sous le coup d’une poursuite judiciaire, qui repose sur la loi ITE, pour avoir dénoncé un possible conflit d’intérêts impliquant un membre du gouvernement. Que vous reproche-t-on ?

F. M. : Dans une interview publiée en ligne en août 2021, nous avons repris avec un autre militant, Haris Azhar, des allégations formulées par plusieurs ONG environnementales selon lesquelles le ministre chargé de la coordination des affaires maritimes et de l’investissement, Luhut Binsar Pandjaitan, serait impliqué avec des membres de l’armée dans un projet d’exploitation de mines d’or dans une région de Papouasie. Nous avons mentionné que M. Pandjaitan serait actionnaire d’une des sociétés minières impliquées, qui menace de spolier les petits propriétaires locaux.

Il nous a assigné en justice pour « diffamation, calomnie et divulgation de fausses informations ». La procédure judiciaire est toujours en cours, nous risquons entre trois et cinq ans de prison, mais nos avocats nous incitent à rester confiants. C’est la première fois que des militants des droits de l’homme font l’objet de poursuites pénales sur ces motifs et sont ainsi criminalisés.

Comment travaillez-vous avec les institutions internationales ?

F. M. : Nous sollicitons beaucoup les Nations unies : la semaine dernière, nous étions ainsi auditionnés par le Conseil des droits de l’homme qui avait déjà formulé, en 2021, des recommandations à l’État indonésien sur le respect des droits civils et politiques.

Avec la montée des conservatismes dans un certain nombre de pays occidentaux, il est plus difficile aujourd’hui de faire du lobbying auprès de certains États de l’Union européenne ou même des États-Unis. Sur le plan régional, nous travaillons de plus en plus en collaboration avec d’autres organisations de la société civile pour espérer avoir un effet levier plus important auprès des instances internationales.

Enfin nous continuons à nous servir de l’agenda international pour dénoncer les atteintes aux libertés que nous subissons. Lors du sommet du G20, plusieurs événements ouverts aux ONG ont été annulés, on voit bien que le gouvernement veut empêcher les ONG de s’exprimer. Nous devons en parler.