À l’attention de : Jon Moeller, Procter & Gamble, PDG ; Dirk Van de Put, Mondelēz, PDG ; Michele Buck, Hershey’s, PDG ; Steve Cahillane, Kellogg’s, PDG ; Noel R. Wallace, Colgate-Palmolive, PDG ; Alan Jope, Unilever, PDG ; Ulf Mark Schneider, Nestlé, PDG ; Ramon Laguarta, PepsiCo, PDG
Copie : Consumer Goods Forum, Forest Positive Coalition de Consumer Goods Forum
Copie : Mary Lawlor, Rapporteuse spéciale des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits humains
Nos organisations, représentant·es des peuples autochtones, de la société civile et des organismes communautaires du monde entier, vous écrivent au sujet de la criminalisation permanente, des violations des droits humains et l’accaparement des terres à l’encontre des paysan·nes locaux, des communautés et des défenseur·es des droits fonciers et de l’environnement, par votre fournisseur d’huile de palme Astra Agro Lestari (AAL) et sa filiale PT Mamuang, dans le Sulawesi central et occidental, en Indonésie.
AAL, deuxième plus grande entreprise de fabrication d’huile de palme d’Indonésie, fournit de l’huile de palme brute (HPB) produite dans ses usines à plusieurs entreprises de produits de grande consommation parmi lesquelles Procter & Gamble, Hershey’s, Kellogg, Unilever, Mondelēz, Colgate-Palmolive, PepsiCo, Nestlé, entre autres.
En mars 2022, cinq paysan·nes indigènes, membres du peuple Kaili Tado, ont été arrêté·es par la police de Pasangkayu dans le Sulawesi occidental, en raison d’allégations faites par PT Mamuang. L’accusation est intervenue après que des membres de la Kabuyu Community Alliance ont manifesté en février 2022 devant le bureau de PT Mamuang, pour dénoncer le rôle actif de l’entreprise dans l’accaparement forcé des terres des communautés, qui contribue à la destruction de l’environnement, impacte les moyens de subsistance des communautés et criminalise les défenseur·es des droits fonciers, environnementaux et humains. Le leader de la manifestation fait partie des cinq personnes arrêtées. Deux d’entre elles n’y ont pas participé.
Il s’agit seulement du cas de criminalisation le plus récent impliquant AAL. Depuis 2017, WALHI/Les Amis de la Terre Indonésie ont documenté au moins dix cas de criminalisation par AAL. En 2017, quatre paysan·nes du village de Polanto Jaya ont été criminalisé·es pour avoir récolté des grappes de fruits de palmier à huile sur leurs propres terres, alors qu’ils en possédaient les certificats fonciers (Land Registration Certificates - SKPT) et les attestations légales de propriété (Freehold Certificates - SHM) attestant de leur propriété. Après plusieurs audiences devant les tribunaux, chaque partie au litige a du fournir une documentation attestant de ses droits sur ses terres. PT Mamuang n’a pu fournir aucun document attestant de ses droits légaux à cette terre, mais le tribunal du district de Pasangkyayu a condamné les quatre habitant·es de Polanto Jaya à des peines de prison allant de quatre à sept mois.
En 2003, 107 familles paysannes se sont mobilisées pour défendre leurs terres lorsqu’ils ont appris que PT Mamuang avait planté des palmiers à huile hors de la concession HGU le long du bassin versant de Pasangkayu, se situant à moins de 50 mètres du bord du bassin. Dès lors, le peuple Kaili Tado a commencé lentement à occuper les terres de palmiers à huile plantées par PT Mamuang et à gérer les terres autour de leur zone.
En 2010, après plusieurs années d’évictions forcées et d’accaparements de terre par PT Mamuang, l’entreprise est entrée en conflit avec les communautés locales au sujet de la récolte des fruits des palmiers à huile sur les terres des paysan·nes. Lorsque le paysan local Franz Hemsi a pris la défense de sa communauté, il a été arrêté et emprisonné pour vol sur ses propres terres, revendiquées par l’entreprise comme faisant partie de son exploitation. En 2015, PT Mamuang a envoyé un groupe de malfrat·es pour intimider Franz Hemsi et sa famille. En 2017, le paysan a porté plainte contre PT Mamuang, et a par la suite été placé en détention pour vol présumé et destruction de propriété. Franz Hemsi a une fois de plus été condamné à une peine de prison, cette fois de cinq mois et sept jours.
En avril 2018, Franz Hemsi a contacté la Indonesian National Land Agency pour enregistrer ses terres, en espérant recevoir une reconnaissance officielle de ses droits. L’agence a reconnu que l’entreprise n’avait aucun droit légal d’exploiter les terres de Franz Hemsi. Malgré tout, en décembre 2018, un jour après que sa femme a donné naissance à leur troisième enfant, le paysan a été arrêté par la police et inculpé pour vol. Il a de nouveau été condamné à cinq mois de prison. En 2020, après avoir fait appel devant la Indonesian Supreme Court, encore en attente, et avoir rencontré les services financiers d’AAL en Europe, à peu près la moitié des terres accaparées par l’entreprise lui ont été restituées.
Depuis que PT Mamuang a démarré l’exploitation d’huile de palme en 1991, l’entreprise a été impliquée dans d’interminables litiges fonciers avec les communautés locales, et est accusée d’avoir accaparé de force les terres des communautés sans leur consentement libre, éclairé et préalable (Free, Prior, Informed Consent - FPIC), en criminalisant les paysan·es et défenseur·es des terres et de l’environnement, et en occupant illégalement des zones de forêt protégée d’Indonésie. Le peuple autochtone Kaili Tado est particulièrement affecté par les agissements de AAL et PT Mamuang. Ce peuple produit des cultures variées, comme le riz, le maïs, le cacao et les noix de coco, mais depuis que l’entreprise s’accapare leurs terres ancestrales, ils perdent l’accès à leurs terres productives.
Un rapport de mars 2022 a documenté que AAL et ses filiales opèrant dans le Sulawesi central et occidental, sont responsables de nombreuses violations de l’environnement, des droits humains et de la gouvernance, incluant des conflits fonciers de longue durée avec les communautés locales, des accaparements de terres violents avec les forces de sécurité indonésiennes, la déforestation illégale, l’empiétement sur la forêt, la pollution de la terre, de l’air et de l’eau qui ont des répercussions néfastes sur les moyens de subsistance des communautés. Outre les multiples cas de criminalisation des défenseur·es des droits fonciers, environnementaux et humains, PT Mamuang a été identifié pour occupation illégale de 225 hectares de zone de forêt protégée d’Indonésie, qu’ils ont rasés pour planter des palmiers à huile. De plus, l’entreprise viole la Régulation gouvernementale n°38 de 2011 relative aux rivières, qui stipule que les entreprises d’huile de palme n’ont pas l’autorisation de planter dans la zone riveraine, qui se situe à 50 mètres de la rive.
Comme le prévoient les cadres internationaux tels que les Principes directeurs de l’OCDE pour les entreprises multinationales, les entreprises de produits de grande consommation ont la responsabilité d’agir contre les violations flagrantes et continues de la loi indonésienne et des lois et normes internationales en matière de droits humains par AAL. Les politiques et engagements des entreprises en matière de NDPE (No Deforestation, No Peatland, and No Exploitation) exigent qu’elles prennent des mesures significatives en matière de redevabilité et qu’elles veillent au respect des droits humains.
Nous exhortons votre entreprise et tou·tes les membres de Consumer Goods Forum à :
– suspendre l’approvisionnement de l’huile de palme et de l’huile de palmiste par l’AAL jusqu’à ce que les conflits entre les filiales de l’entreprise et les communautés locales soient résolus, que les terres occupées sans consentement soient restituées à leurs propriétaires et des réparations soient actées et versées aux paysan·nes affecté·es - l’approvisionnement par AAL et ses filiales ne pourra reprendre qu’après vérification complète, transparente et indépendante que les opérations d’AAL répondent aux exigences de la NDPE, prouvant par voie de documentation de la FPIC que les communautés affectées ont émis un consentement libre, préalable et éclairé pour la poursuite de la production d’huile de palme sur leurs terres, que les dommages ont été réparés, que les communautés impactées ont obtenu réparation, et que tous les permis et autorisations légales sont en règle.
– adopter et publier des protocoles complets de non-conformité précisant clairement les conditions auxquelles les achats auprès des fournisseurs enfreignant la politique NDPE sont suspendus ou résiliés ; les protocoles de non-conformité doivent définir des mesures limitées dans le temps à mettre en œuvre avant de pouvoir reprendre l’approvisionnement auprès de fournisseurs n’ayant pas respecté le NDPE, et des vérifications indépendantes pour garantir que toutes les actions prises sont conformes au droit national, aux lois et normes en matière de droits humains à l’échelle internationale ainsi qu’aux exigences NDPE ;
– adopter et publier des politiques et procédures dédiées aux droits humains, garantissant une tolérance zéro pour la violence, l’intimidation, le meurtre et la criminalisation des défenseur·es des droits humains, ainsi que des défenseur·es des terres et de l’environnement ; ces politiques doivent être développées avec la contribution de défenseur·es des droits humains, être en accord avec les meilleures pratiques décrites par l’Initiative tolérance zéro et les normes internationales relatives aux droits humains, et défendre les droits des communautés à la terre et aux ressources, ainsi que le droit au consentement libre, éclairé et préalable (Free Prior and Informed Consent - FPIC) ;
– veiller à ce que les mécanismes de réparation soient conformes aux Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits humains, qu’ils soient transparents et accessibles aux communautés affectées et qu’ils protègent les défenseur·es des droits fonciers, environnementaux et humains contre la violence et l’intimidation.
Rien ne peut justifier que la criminalisation, la répression et les violations des droits humains soient permises, existent et se perpétuent, pour produire des biens de consommation pour votre entreprise. Nous appelons à mettre fin à ces pratiques dès aujourd’hui.