Note de lecture : Le sens de l’honneur de Mukhtar Mai

12/01/2006
Communiqué

Telle une odieuse survivance du Moyen Âge, voici portée à notre connaissance la funeste bestialité d’hommes qui attachent à leur naissance une détestable impunité, laquelle les autorise à se venger d’autrui par le viol et à entériner une justice privée qui ne tient compte que d’une supériorité de caste.

Soit une femme du Pakistan, dont le plus jeune frère aurait été surpris avec une jeune fille d’un autre clan et accusé par la suite de son viol : elle sera condamnée au cours d’une jirga, ou assemblée du village réglant les problèmes qui ne se rattachent pas à la justice officielle, par un verdict inédit, à être violée collectivement en réparation d’une faute imaginaire. Le problème immédiat qui caractérise l’histoire de Mukhtar Mai est la coexistence sauvage dans un même pays de législations hétérogènes : une justice officielle, une seconde codifiée par la religion musulmane, et une troisième qui peut être dite tribale tout en étant tenue pour illégale.

L’horrible paradoxe des crimes d’honneur qu’on solutionne de la sorte est qu’ils constituent une atteinte grave à ce qui est censé être l’honneur d’un mari et d’une famille : la femme. Paravents de l’infamie et du crime de sang, ils permettent qu’une réparation entre deux parties en désaccord, qui est ce que la justice se doit de proposer, soit un dommage irréparable, puis-qu’il altère l’intégrité physique d’une personne et accrédite l’idée qu’un homme pourrait se faire justice tout seul. Les lois hudûd, qui caractérisent les relations sexuelles sans consentement ou hors mariage, forment la caution morale et juridique de cette barbarie destinée le plus souvent à perpétuer une domination clanique.

Plus grave et symptomatique, cette pratique de règlement de conflits braque le projecteur sur la condition de la femme dans certains pays : elle y est vouée à l’ignorance par l’illettrisme (pas d’écoles), à l’obéissance et aux corvées, rien ne devant lui permettre de savoir ce qui se passe dans le monde. Cataloguée être humain de dernière zone, elle subit violences et abus, et finit par se voir réduite aux statuts de propriété et d’objet des hommes. Ultime preuve : son honneur se marchande ou même se brade, comme pour Mukhtar Mai. Parfois cela va jusqu’au meurtre.

Mais Mukhtar Mai a trouvé le courage de se révolter en portant plainte contre ses agresseurs. Elle a pu craindre, quelque temps après leur condamnation, que certains en réchappent ou qu’ils soient libérés et reviennent la menacer jusque chez elle. Elle a appris la pesanteur de la vie sous protection policière et a été récompensée dans sa lutte par des prix d’organisations étrangères. Les fonds reçus lui ont permis d’ouvrir son école "sous les arbres" − c’est ainsi qu’elle débuta avant la construction de bâtiments − et son expérience a surtout ouvert des perspectives inimaginables auparavant pour toutes les femmes bafouées et mises sous l’éteignoir d’un déshonneur qui est le fruit d’un déni de justice : car la jirga, au Pakistan ou ailleurs, confond le marchandage de la dignité avec la décision de justice, celle-ci devant alors céder le pas au goût de la vengeance et de la punition arbitraire.

Cependant, il faut se garder d’un amalgame à l’occidentale entre lois tribales et loi islamique. Cette dernière, rappelle Mukhtar Mai, permet à une jeune femme de se marier librement, alors que les autres non.

Christophe Gardais

Mukhtar Mai, Déshonorée, Oh ! Editions, Paris, janvier 2006, 208 pages, 18,90 Euros

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