LETTRE OUVERTE AUX ETATS MEMBRES DE L’UNION EUROPÉENNE

27/09/2000
Communiqué
en fr

DIALOGUE EU/CHINE 29 SEPTEMBRE 2000

Nous nous félicitons de l’initiative de la Présidence française de l’Union européenne d’inviter des organisations non-gouvernementales internationales (ONG) à la prochaine session du dialogue sur les droits de l’Homme entre la Chine et l’Union européenne, qui se tiendra à Pékin ces 28 et 29 septembre. Nous apprécions ce geste qui vise à rendre le dialogue plus transparent ; ce que les ONG réclament depuis la reprise du dialogue, fin 1997.

Néanmoins, les ONG de défense des droits de l’Homme n’iront pas à Pékin ; et ce pour plusieurs raisons. Premièrement, nous pensons que le dialogue bilatéral n’a pas amené la Chine à mieux respecter les droits de l’Homme internationalement reconnus. Nous explicitons notre position ci-dessous. Les violations des droits de l’Homme ont en effet atteint des proportions alarmantes ces deux dernières années : le gouvernement Chinois mène actuellement la répression la plus impitoyable depuis la crise de 1989. Deuxièmement, des ONG ont déjà été invitées à participer à d’autres dialogues, comme celui avec le Royaume-Uni et l’Australie, mais ceux-ci se sont déroulés de telle façon qu’ils excluaient toute véritable discussion concernant les violations commises en Chine.

Dialogue international et confrontation interne
Actuellement, le dialogue exclut ceux qui, en Chine, œuvrent le plus pour la promotion des droits de l’Homme. Tant que le gouvernement chinois utilisera la répression dans le pays, tout en préconisant le dialogue au niveau international, il sera permis de s’interroger sur la validité du dialogue. Un dialogue véritablement constructif ne sera possible que lorsque le gouvernement chinois engagera un dialogue avec les défenseurs des droits de l’Homme chinois, et permettra la participation de groupes sociaux, de chercheurs, de juristes, et d’autres individus indépendants dans les dialogues bilatéraux.
La participation d’organisations internationales de défense des droits de l’Homme indépendantes porte à s’interroger sur l’absence d’organisations indépendantes en Chine. Nous nous interrogeons quant à la légitimité des dialogues qui n’intègrent pas les courants indépendants existant en Chine. L’UE devrait non seulement inviter des organisations internationales indépendantes de droits de l’Homme à participer au dialogue, mais aussi encourager le gouvernement chinois à engager un dialogue interne. Malheureusement, la tendance inverse semble actuellement l’emporter : le gouvernement chinois sape tout velléité de travailler de manière indépendante sur les droits de l’Homme, et il répond à tout appel pacifique au respect des normes internationales par la confrontation : détentions, emprisonnements, violences et violation des libertés d’expression et d’association.
Le gouvernement chinois ne tolère même pas que ses ressortissants s’engagent dans la défense des droits de l’Homme en dehors du pays. Bien que l’UE ait officiellement invité HRIC à participer au dialogue, le gouvernement chinois a refusé d’accepter son inclusion sur la liste des participants, alors qu’il a accepté les autres organisations internationales. Nous invitons l’UE à protester contre cette exclusion injustifiée.

Des réunions vides de contenu
Jusqu’à présent, la participation des ONG au dialogue a été presque exclusivement formelle, sans possibilité de réels échanges entre les organisations de défense des droits de l’Homme et les responsables chinois. C’est ce qui s’est passé lors des réunions associées aux dialogues avec le Royaume Uni et l’Australie. En général, tellement peu de temps a été réservé aux réunions entre les ONG et les responsables chinois, qu’ il n’a pas été possible d’engager un véritable " dialogue" et, comme c’est le cas de HRIC, les groupes qui déplaisent au gouvernement chinois ont été exclus.

Pas de pressions, pas de résultats
Nous ne sommes pas opposés aux dialogues bilatéraux visant à améliorer la situation des droits de l’Homme. Cependant, se fonder exclusivement sur cette approche ignore le fait que les violations ne sont pas seulement dues à l’ignorance des normes internationales - cas de figure où les programmes de formation sont certainement utiles. Les violations des droits et libertés fondamentales sont également intentionnelles, et résultent parfois de la législation elle-même.
Nous considérons qu’il est dangereux d’ignorer cette réalité et de substituer une diplomatie silencieuse aux pressions publiques multilatérales pour répondre à des violations des droits de l’Homme manifestement soutenues par l’Etat. L’expérience des dernières années démontre l’extrême sensibilité du gouvernement chinois à la perspective d’une discussion sur la situation des droits de l’Homme en Chine au sein de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies (CDH) : les pressions résultant du dépôt d’une résolution sur la Chine ont généralement permis d’obtenir des concessions de Pékin, telles des libérations occasionnelles de prisonniers, des promesses de signer des traités des Nations Unies, ou des réformes législatives.
L’UE a justifié la reprise du dialogue avec la Chine par les concessions obtenues, qui illustreraient les progrès réalisés par Pékin dans le domaine des droits de l’Homme. En fait, en accomplissant ces quelques "gestes de bonne volonté", la Chine s’est débarrassée de la pression publique multilatérale. Si une telle pression n’avait pas été initialement exercée, ces gestes n’auraient pas pu être proposés comme " monnaie d’échange ". L’UE n’exerçant plus de pression, le dialogue à lui seul ne semble pas suffire pour inciter la Chine à faire de nouvelles concessions, même symboliques ; et encore moins à poser des actes concrets. Ceci prouve que pour Pékin, le dialogue est une fin en soi : en s’engageant dans des dialogues avec un nombre toujours plus grand de pays, la Chine renforce son immunité contre la surveillance multilatérale et concertée. Le gouvernement chinois a imposé une condition claire : au moindre signe qu’un pays ou un groupe de pays envisage d’utiliser la pression multilatérale - la réponse traditionnelle du système des NU à des violations des droits de l’Homme - , Pékin menace de mettre fin au dialogue et aux programmes de coopération qui lui sont associés.

Coopération ou mise en scène ?
Tant la visite du groupe de travail sur la détention arbitraire en 1997 que l’invitation lancée par la Chine au Rapporteur spécial sur la torture ont été présentées comme les "fruits" des dialogues bilatéraux sur les droits de l’Homme. Bien que le Groupe de travail se soit rendu en Chine, les circonstances dans lesquelles s’est déroulée cette visite remettent en cause son utilité ; quant à la visite de M. Rodley, elle a été remise sine die car le Rapporteur avait insisté pour suivre les méthodes qu’il utilise pour toutes ses visites. Un progrès régulièrement cité est la signature par la Chine du Pacte international sur les droits civils et politiques et du Pacte international sur des droits économiques, sociaux et culturels. Ce sont évidemment des actes positifs et longtemps attendus. Cependant, la Chine a continué de violer gravement les normes qu’ils contiennent et n’a pas donné d’indication quant à la date de ratification.

Après la visite à Pékin du Haut commissaire pour des droits de l’homme, Mary Robinson, en septembre 1998, les Nations Unies ont envoyé une mission d’évaluation des besoins en Chine, en mars 1999, afin d’élaborer un protocole d’accord (MOU) concernant un programme de coopération entre le bureau du Haut commissaire et le gouvernement chinois. La seconde visite de M. Robinson à Pékin, en mars 2000, devait permettre de régler les points de détail et de signer le MOU. Mais M. Robinson a quitté la Chine les mains vides, sans savoir quand un tel accord pourrait être conclu, ou si le MOU existant devrait être renégocié ; il s’agit d’un parfait exemple de la tactique de ralentissement de la Chine. Ainsi, en pratique, la coopération tant vantée entre la Chine et les mécanismes de l’Onu relatifs aux droits de l’Homme est trop souvent vide de substance. Cette coopération fait l’objet de beaucoup de publicité, mais on accorde peu d’attention, le cas échéant, aux résultats effectivement accomplis en termes d’amélioration de la situation de droits de l’Homme.

Contenu, transparence, responsabilité
Le dialogue devrait viser à l’obtention de réels résultats, tels la libération des défenseurs des droits de l’Homme détenus, l’élimination de toutes les formes de détention administrative — comme l’a demandé le Comité contre la torture de l’Onu lors du récent examen du rapport remis par la Chine au titre de la Convention -, l’imposition d’un moratoire sur la peine de mort, ou la ratification et la mise en œuvre des deux Pactes sans réserves. L’UE devrait rendre publics la date et l’ordre du jour du dialogue avant chaque session, et rendre compte régulièrement des résultats du dialogue. Les programmes de coopération — quand ils auront réellement commencé, ce qui prend souvent un énormément de temps - devraient être soigneusement conçus de manière à s’attaquer aux causes des violations des droits de l’Homme. Les programmes de formation et de coopération devraient être explicités publiquement et de manière détaillée : buts et moyens, étapes dans la mise en oeuvre, budget, participants, délais et résultats ; et une évaluation régulière et indépendante des programmes devrait être entreprise sur la base de critères pré-établis. L’UE devrait rendre public le contenu de ses échanges politiques et techniques avec la RPC. L’absence presque complète de transparence quant aux réponses (pour peu qu’il y en ait) aux cas individuels soulevés rend impossible un suivi des cas considérés, et rend de ce fait l’exercice parfaitement vain.

Le dialogue ne doit pas être poursuivi à tout prix
Les droits de l’Homme doivent demeurer un élément essentiel de la politique menée vis-à-vis de la Chine, le dialogue s’inscrivant dans une stratégie globale. Le dialogue doit être accompagné par des pressions significatives, y compris l’examen des violations des droits de l’Homme par la CDH. Un dialogue sans pression risque de saper l’autorité des normes internationales relatives aux droits de l’Homme. Le dialogue et les programmes de coopération ne doivent pas faire obstacle à d’autres approches visant à améliorer la situation des droits de l’Homme en Chine. Le dialogue ne doit pas nécessairement être poursuivi à tout prix. En l’absence de progrès quant à la situation des droits de l’Homme, les dialogues devraient être suspendus et d’autres voies, telle la pression multilatérale, devraient être explorées. Nous appelons l’UE à rendre publique son évaluation du dialogue et à se conformer à sa propre position, exprimée le 20 mars 2000, par le Conseil Affaires générales : "L’UE maintient sa position, à savoir que le dialogue n’est une solution acceptable que dans la mesure où des progrès suffisants sont réalisés et s’accompagnent de résultats concrets sur le terrain".

Liu Qing
Président

Patrick Baudouin
Président de la FIDH

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