Myanmar : le retrait de Total et Chevron devrait être suivi de sanctions économiques efficaces

07/02/2022
Communiqué
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Au vu de la responsabilité souvent endossée par les acteurs économiques dans le contexte de violations massives des droits humains, la décision de Total et Chevron d’arrêter progressivement toutes leurs opérations au Myanmar marque une étape décisive. Elle révèle également l’incapacité ou le manque de volonté des gouvernements des États-Unis et de l’Union européenne de mettre en place des sanctions efficaces pour bloquer les principales sources de revenus de la junte les plus élevées, y compris en devises étrangères.

La FIDH salue la décision des deux entreprises qui choisissent ainsi de ne pas contribuer aux violations massives des droits humains en cours au Myanmar. Nous avons alerté à de nombreuses reprises le géant de l’énergie française sur le risque de continuer ses activités dans un contexte de mobilisation importante de la société civile birmane et internationale, comme de celle d’investisseurs responsables.

Ce retrait attire également l’attention sur l’incapacité de la communauté internationale, des États-Unis et de l’Union européenne à mettre en place un régime de sanctions ciblées en mesure de porter un coup dur à la junte. Ces dernières pourraient par exemple viser la Myanmar Oil and Gas Enterprise (MOGE) ou les revenus liés à la rente gazière qui atterrissent sur les comptes bancaires de la junte.

À ce jour, ni l’Union européenne ni les États-Unis n’ont imposé de sanction susceptible d’affecter sensiblement la capacité financière de l’armée à se fournir en armes et équipements pour mener la guerre contre son propre peuple. Entre les quelques 5 milliards de dollars de réserves de la Banque centrale et les 2 à 2,5 milliards de dollars de recettes annuelles en devises étrangères – provenant essentiellement des secteurs du pétrole, du gaz, de l’exploitation minière et du bois – le gouvernement dispose de suffisamment de devises étrangères pour maintenir indéfiniment les dépenses militaires. Ainsi, les médias russes ont récemment annoncé un nouveau contrat d’armement de 2,3 milliards de dollars avec l’armée birmane, payé à partir de ces réserves et flux de devises étrangères.

Ce retrait fait suite à la détérioration dramatique de la situation des droits humains au Myanmar. Entre le 1er février 2020 et le 10 décembre 2021, au moins 7 053 attaques contre des civils ou affrontements armés au cours desquels les civils n’ont pas été protégés ont été enregistrés – soit une augmentation de 664 % par rapport à la même période en 2020 – tandis que des centaines de milliers de personnes ont été déplacées. Au 31 décembre, la junte avait tué au moins 1 384 personnes et arrêté pas moins de 11 289 responsables politiques, défenseur.e.s des droits humains, journalistes et autres personnes engagées dans des actions de dissidence réelles ou supposées. Les tribunaux de la junte ont prononcé les premières condamnations à l’encontre de la conseillère d’État Aung San Suu Kyi et du président Win Myint. Des centaines de membres de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) sont toujours en détention, avec des signalements de torture dans certains cas.

La FIDH espère que le retrait des entreprises sera mené de manière responsable, en faisant preuve d’une diligence raisonnable, transparente et appropriée pour atténuer les risques et empêcher les effets néfastes sur les droits humains pouvant résulter du retrait de leurs opérations au Myanmar. De plus, elles devraient s’engager de manière significative auprès des acteurs concernés, notamment les organisations de la société civile et les travailleur.se.s basé.e.s au Myanmar, notamment pendant la période de préavis contractuel de six mois.

La FIDH attend également de l’Union européenne et des États-Unis qu’ils prennent la mesure du signal envoyé par leurs principaux exploitants pétroliers et gaziers en adoptant immédiatement de nouvelles sanctions. Plus précisément, celles-ci devraient viser la Banque centrale du Myanmar, source principale de devises étrangères pour la junte, la Myanmar Foreign Trade Bank (MFTB), qui fait office de Trésor public en devises étrangères du gouvernement, la société nationale Myanmar Oil and Gas Enterprise, l’opérateur responsable de l’exploration et de la production pétrolière et gazière au Myanmar, ainsi que la Mining Enterprise No. 1 (ME1) et la Mining Enterprise No. 2 (ME2), qui gèrent et collectent les redevances et parts de production.

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