Lettre ouverte conjointe sur le renouvellement de la décision européenne commune sur la Birmanie

12/04/2013
Communiqué
en fr

Aux Ministres des Affaires Étrangères des États membres de l’UE

Paris, le 11 avril 2013

Objet : renouvellement de la décision européenne commune sur la Birmanie

Madame la Ministre, monsieur le Ministre,

Nous vous écrivons à propos du renouvellement à venir de la décision européenne commune sur la Birmanie et vous appelons à exprimer votre soutien au maintien de la suspension des sanctions en cours pour une année supplémentaire.

En dépit d’indéniables progrès de la part du gouvernement birman, nous restons préoccupés du fait que les réformes réalisées n’ont permis ni d’avancer vers une réconciliation nationale, ni de mettre un terme aux graves violations des droits humains et à l’impunité, qui continuent à pose des problèmes majeurs dans le pays. Le maintien des sanctions est nécessaire pour garantir que les réformes réalisées atteignent leurs fins.

Le 26 avril dernier, le Conseil de l’UE, en sa décision 2012/225/PESC, suspendait la plupart des sanctions prises à l’encontre de la Birmanie jusqu’au 30 avril 2013, spécifiant les critères de progrès à être respecter : « L’UE attend toujours la libération sans condition des autres prisonniers politiques et la levée de toutes les restrictions imposées à ceux qui ont déjà été libérés. Elle espère que le conflit prendra fin, que l’accès à l’aide humanitaire s’améliorera considérablement, en particulier pour ceux qui sont victimes du conflit dans l’État de Kachin et le long de la frontière orientale et, en outre, que le statut des Rohingyas sera examiné et que leurs conditions de vie seront améliorées. »

Dans ce contexte, il est essentiel de souligner que plus de 200 prisonniers politiques restent détenus, et le conflit dans l’Etat de Kachin ainsi que le statut et les conditions de vie des Rohingyas se sont détériorés, en raison de l’action ou l’absence de réaction du gouvernement birman. Nous sommes particulièrement préoccupés par le fait que la discrimination des Rohingyas s’est non seulement intensifiée mais a aussi mené à des actes tragiques de violence contre les communautés musulmanes du centre de la Birmanie.

Tout d’abord, des centaines de prisonniers politiques sont toujours en prison et la grande majorité de ceux qui ont été libérés ont seulement été remis en liberté conditionnelle et restent sujets à des restrictions et des conditions posées à leur liberté de mouvement et leurs activités politiques à venir. Après sa visite en Birmanie en février 2013, le Rapporteur spécial des Nations Unies sur la Birmanie a non seulement mis en évidence la détention continue des prisonniers politiques, mais aussi les témoignages toujours plus nombreux décrivant l’utilisation de la torture contre certains détenus.

Parmi les personnes libérées, si les plus connues comme les membres de l’organisation Generation 88 ont pu recevoir des passeports, d’autres font toujours face à de sévères restrictions. Par exemple, U Gambira (ancien prisonnier politique et une des leaders de la All-Burma Monks’ Alliance), ne peut se rendre à l’étranger pour recevoir un traitement médical nécessaire pour soulager une maladie causée par les tortures subies en prison. La formation et la mandat du comité d’examen du statut des prisonniers politiques annoncé par le président manquent de transparence et de crédibilité, tout comme de nombreuses autres réformes entreprises.

L’année dernière, le conflit dans l’Etat de Kachin s’est intensifié. Malgré l’annonce par le président Thein Sein d’un cessez-le-feu unilatéral, l’armée birmane a déployé des troupes supplémentaires et mené un plus grand nombre d’opérations militaires, utilisant de façon répétée avions de combat, hélicoptères et tirs de mortiers ciblant sans retenue les populations civiles.

L’accès à l’aide humanitaire ne s’est pas non plus « considérablement amélioré ». Dans sa dernière résolution sur la Birmanie datant de novembre 2012, l’Assemblée Générale des Nations Unies a affirmé que les restrictions à l’accès humanitaire étaient contraires au droit international. Dans l’État Kachin, le gouvernement n’a pas tenu ses promesses répétées d’autoriser des convois humanitaires dans les zones sous le contrôle de l’Organisation d’Indépendance Kachin (KIA). Un seul de ces convois s’y est rendu en juillet 2012. Au cours de l’année écoulée, de nouvelles restrictions ont été introduites dans l’État d’Arakan. Le gouvernement a échoué à prendre des mesures contre les Rakhine ayant menacé les organisations internationales, telles que Médecins sans Frontières, et quatorze travailleurs humanitaires ont été arrêtés et restent à ce jour détenus. Même s’il faut noter des améliorations dans l’accès aux camps de déplacés internes, les conditions de vie restent « désastreuses » selon les termes de Valerie Amos, Secrétaire générale adjointe des Nations unies chargée des affaires humanitaires et coordonnatrice des secours d’urgence, lors de ses visites dans plusieurs camps dans l’État d’Arakan en décembre 2012.

Le statut et les conditions de vie des Rohingya s’est détériorée en raison de la violence sectaire qui a pris la forme d’attaques systématiques contre les Rohingya. Des centaines de personnes ont probablement été tuées et plus de 100 000 ont été déplacées. Le gouvernement birman a non seulement échoué à prévenir cette violence, mais a aussi encouragé les personnes responsables à travers des communiqués incendiaires contre les Rohingya. Le gouvernement a aussi refusé de reconnaître les droits des Rohingya à la citoyenneté. Aung Naing, qui fait partie des prisonniers politiques actuels, est injustement détenu depuis 1999 et a été condamné en 2005 à 17 ans de prisons pour avoir obtenu la citoyenneté birmane sans révéler ses origines Rohingya, en accord avec l’Article 18 de la Loi sur la Citoyenneté.

Aucun effort n’a en outre été fait pour permettre les Rohingya déplacés par la violence à retourner dans leurs villages. Au contraire, le gouvernement a proposé la mise en place d’une politique assimilable à du nettoyage ethnique, en demandant aux Nations-Unies de mettre en place des camps de transit pour les Rohingya, puis de leur faire quitter le territoire birman vers un pays d’accueil. Les sentiments anti-musulmans et la violence sectaire ont aussi récemment augmenté de plus bel dans d’autres régions de la Birmanie, notamment à l’occasion d’émeutes à Meikhtila en mars. Les Nations-Unies et d’autres rapports indiquent que les autorités ont échoué à protéger les membres de la communauté musulmanes, y compris des femmes et des enfants, d’attaques ayant mené à leur mort, en dépit d’être informées au préalable de ces attaques.

Nous pensons qu’à la lumière de ces violations en cours, et, à maints égards, de la détérioration de la situation des droits de l’Homme, le maintien de la suspension des sanctions, est une garantie nécessaire pour s’assurer que la Birmanie continue sur la voie de la réforme. Les conditions posées par le Conseil de l’UE le 26 avril 2012 n’ayant pas été rencontrées et la situation s’étant même aggravée à certains égards, lever les sanctions serait prématuré et nuirait à la crédibilité de l’UE.

Outre l’échec patent du gouvernement birman à répondre aux attentes de l’UE lors de la suspension des sanctions, d’autres problèmes très graves doivent être pris en considération avant leur assouplissement, notamment les problématiques telles que le changement constitutionnel, l’instauration d’un véritable dialogue politique menant à la réconciliation nationale, et la fin de l’impunité pour les violations des droits de l’Homme perpétrées. Par ailleurs, rien n’a été fait allant dans le sens de la justice, de la vérité et d’une prise de responsabilité, malgré l’appel lancé en ce sens par l’Union européenne dans les conclusions du Conseil du 12 Avril 2011. D’ailleurs, le Conseil des Droits de l’Homme a, le 21 mars, d’ores et déjà exprimé ses vives préoccupations en maintenant la Birmanie au point 4 de son agenda et en renouvelant le mandat du Rapporteur Spécial sur la situation des droits de l’homme en Birmanie.

Le 22 avril 2013, le Conseil Affaires étrangères de l’UE se réunira pour décider de la suite à réserver aux dites mesures restrictives. Nous craignons que la levée prématurée des sanctions ne sape le processus de réforme en Birmanie, et recommandons en conséquence que l’UE évite de lever purement et simplement les sanctions pour privilégier une démarche davantage incitative consistant à prolonger pour un an encore la suspension des mesures restrictives concernées.

Nous recommandons donc à l’UE de prolonger d’une année supplémentaire les mesures restrictive contre la Birmanie. La pression internationale a clairement joué un rôle moteur dans les réformes en cours. Par conséquent, assouplir la pression trop tôt risque de décourager leur poursuite.

Nous demandons que lors des discussions au sein de l’UE sur la Birmanie, les États membres continuent à exiger des réformes politiques et législatives réelles, et gardent la possibilité de maintenir les sanctions tant que ces graves préoccupations ne sont pas abordées.

Nous appelons les États membres de l’UE à prendre une position claire en faveur du renouvellement de la décision prises par le Conseil le 26 avril 2012, à savoir qu’ « il conviendrait de suspendre les mesures restrictives, à l’exception de l’embargo sur les armes et de l’embargo sur les équipements susceptibles d’être utilisés à des fins de répression interne, qui devraient être maintenus »

Nous vous prions d’agréer, Madame, Monsieur, nos salutations distinguées,

Debbie Stothard,
Directrice, Altsean-Burma

Souhayr Belhassen,
Présidente, Fédération Internationales des ligues des Droits de l’Homme

Bernard Pinaud,
Délégué Général du CCFD-Terre Solidaire

Mathieu Flammarion,
Président d’Info Birmanie

François Soulage,
Président du Secours Catholique France

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