Crimes internationaux commis en Afghanistan : vers la poursuite devant la Cour pénale internationale de toutes les forces en présence ?

© Andrew Renneisen / GETTY IMAGES EUROPE / Getty Images/ AFP

(La Haye – Kaboul – New York) Après une décennie d’examen préliminaire, la Procureure de la Cour pénale internationale (CPI) a annoncé aujourd’hui qu’elle demandera l’ouverture d’une enquête sur la situation en Afghanistan. Nos organisations saluent cette décision et pressent les juges de la Chambre préliminaire de la CPI de donner suite à cette demande. Elle permettra de s’attaquer enfin à l’impunité prévalant pour les crimes internationaux commis en Afghanistan depuis mai 2003. En avril et en septembre 2017, une délégation de la FIDH, comprenant des représentants de la société civile afghane et une défenseure des droits humains américaine, s’était rendue à La Haye. Rencontrant les représentants de la CPI, la délégation avait appelé à l’établissement des responsabilités pour les crimes internationaux commis par l’ensemble des forces présentes en Afghanistan.

"Depuis des générations, les Afghans ont souffert des crimes internationaux commis dans leur pays, où il n’y a jamais eu ni paix, ni de réel mécanisme d’établissement des responsabilités, y compris devant les juridictions nationales. La situation en Afghanistan n’évolue pas. Il est temps que la CPI s’y investisse."

Guissou Jahangiri, Vice Présidente de la FIDH et Directrice exécutive de l’ONG afghane Armanshahr / OPEN ASIA

La Procureure de la CPI requerra l’autorisation des juges de la Chambre préliminaire de la CPI d’ouvrir une enquête pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis par toutes les parties. Dans son dernier rapport sur les examens préliminaires de novembre 2016, la Procureure expliquait que son Bureau était sur le point de prendre une décision relative à l’ouverture d’une enquête sur les crimes internationaux qui auraient été commis par les Talibans et leurs groupes affiliés, les autorités afghanes et des membres de l’armée américaine et de la CIA depuis le 1er mai 2003 sur le territoire afghan et depuis le 1er juillet 2002 sur le territoire d’autres Etats parties au Statut de la CPI. Les crimes allégués incluent des meurtres ; persécutions ; des attaques délibérées contre le personnel humanitaire ; des violences sexuelles ; l’enrôlement d’enfants dans les groupes armés. L’annonce d’aujourd’hui confirme ces paramètres de l’enquête.

"Avec l’ouverture d’une enquête sur la situation en Afghanistan, des citoyens des Etats-Unis - qu’ils appartiennent à l’armée américaine, la CIA, ou à des contractants privés – pourront pour la première fois être potentiellement tenus pour responsables de crimes de guerre ou crimes contre l’humanité commis en Afghanistan ou dans d’autres lieux où des détenus, arrêtés en Afghanistan, auraient été torturés. Ce message si longtemps attendu, affirmant que nul ne saurait être au dessus de la loi, est d’autant plus important aujourd’hui, alors que l’administration Trump intensifie les manœuvres militaires en Afghanistan et défend une guerre sans fin sans aucun plan en vue."

Katherine Gallagher, Senior Staff Attorney au Center for Constitutional Rights (CCR), une organisation de défense des droits humains étasunienne

Même si les Etats Unis ne sont pas parties au Statut de Rome, la CPI pourrait mener des enquêtes sur ces allégations. La Cour a en effet compétence pour tous les crimes internationaux commis sur le territoire d’un Etat partie (incluant l’Afghanistan, ainsi que la Pologne, la Roumanie et la Lithuanie, qui abriteraient des lieux de détention américains secrets), quelle que puisse être la nationalité de ses auteurs. Selon son rapport de novembre 2016, le Bureau de la Procureure de la CPI aurait donc une base raisonnable de croire que des membres des forces américaines et de la CIA aient pu se rendre coupables des crimes de guerre de torture et de traitements inhumains, de viols et d’atteintes à la dignité des personnes.

Après la soumission de la requête formelle, le Greffe de la CPI devrait avoir une période de un à trois mois pour collecter les observations des victimes sur l’intérêt ou non d’ouvrir une enquête et sur quelle serait, le cas échéant, son étendue. Nos organisations soulignent qu’une enquête devrait se pencher également sur les crimes internationaux continuant à se produire, quels qu’en puissent être les auteurs, tels que les disparitions forcées, les transferts forcés, les crimes sexuels et basés sur le genre, touchant tout particulièrement les femmes et filles, et le fait d’attaquer délibérément des civils et objets civils. Nous réitérons par ailleurs notre demande à ce que la CPI mette, dès à présent, en place les moyens nécessaires pour permettre la représentation et participation effective des victimes dans les procédures de la CPI, et organise des activités de sensibilisation très nécessaires en Afghanistan. [1]

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