Azita Rafa’t : « Ce jour-là, 10 000 roquettes se sont abattues sur la ville »

06/02/2014
Communiqué

Entretien avec Azita Rafa’t

Azita Rafa’t est une militante des droits de l’homme et des droits des femmes dans la province de Badghis. Elle a été représentante du peuple au sein de la Loya Jirga convoquée en urgence pour élire les membres de l’administration provisoire en 2002. Par la suite, parlementaire, elle a représenté la province de Badghis.

Photo by : Mahshid Rasti / Matthieu Hackière

Pouvez-vous partager avec nous quelques souvenirs de l’époque pendant laquelle vos droits ont été bafoués et nous expliquer quel impact cela a eu sur votre vie ?

Lorsque j’étais en classe de seconde, en 1993, ma famille a été obligée de quitter Kaboul. Ce jour-là, 10 000 roquettes se sont abattues sur la ville. Le quartier où vivait ma famille à été touché plus de 18 fois par des tirs de roquettes. Mon père a du enlever les cadavres dans les rues pour que nous puissions nous frayer un chemin et quitter la ville. C’est le pire souvenir de ma vie, cela me hante encore aujourd’hui.
Pendant toute mon adolescence, alors que j’aurais du construire ma personnalité, intellectuelle et affective, l’Afghanistan a été dévasté par les guerres civiles. Mon seul souhait, ma seule aspiration, était que ma famille puisse survivre dans la dignité. Ma famille et moi, comme des milliers d’autres familles innocentes en Afghanistan, avons été privées de bien-être, de stabilité, de sérénité. Notre maison à Badghis a été bombardée au plus fort de la guerre civile. Je n’ai pas pu avoir une adolescence normale, nous avons juste essayé de survivre. J’ai passé tellement d’années dans une situation de crise. Je n’arrive pas à oublier ce que nous avons vécu.

Pouvez-vous nous rapporter des exemples de violation de droits de l’homme à l’encontre de votre famille ou de vos amis ?

Aucune famille afghane n’a échappé au fléau de la guerre. Toutes ont été victimes de violation de leurs droits à différentes périodes de l’histoire de l’Afghanistan. Lorsque les Moudjahidines combattaient le gouvernement, mon cousin était enseignant et s’était engagé dans le secteur social à Badghis. Il encourageait les jeunes à apprendre et à étudier. Il avait même réussi à créer une école itinérante. Pour ces raisons, il a été lynché, à seulement 20 ans, tout simplement parce qu’il enseignait et essayait d’encourager les gens à penser par eux-mêmes.

Pouvez-vous citer trois évolutions importantes qui ont eu lieu récemment en Afghanistan ?

1. La participation accrue des femmes dans les domaines de l’éducation, de la politique et de l’économie.
2. La possibilité d’avoir accès librement à une pluralité de médias et la liberté de parole.
3. L’adoption de la Constitution.

Que voyez-vous comme évolution positive en Afghanistan ? Qu’est-ce qui vous donne confiance dans l’avenir ?

L’engagement sociétal et la participation importante d’une nouvelle génération de jeunes gens éduqués me donnent confiance dans l’avenir de mon pays. Ils ont des idées constructives et ne sont pas limités par des frontières ethniques, religieuses et administratives étriquées, contrairement à leurs prédécesseurs.

Quels sont les principaux défis que doit relever l’Afghanistan ?

1. L’absence d’éducation civique.
2. Le taux de chômage parmi les Afghans instruits.
3. L’exode des cerveaux.

Pensez-vous que l’Afghanistan actuel acceptera que les écoles soient à nouveau interdites aux filles et que les femmes soient exclues de la vie sociale ?

J’espère que cela ne se produira plus, mais je ne peux m’empêcher de nourrir des inquiétudes à ce sujet. Notre histoire a montré qu’en fin de compte ce sont les femmes qui sont les victimes des défaillances politiques en Afghanistan.

Quels sont les facteurs qui entravent la participation des femmes à la vie sociale, économique, politique et culturelle ?

Le fait que les lois sont interprétées de manière changeante et parfois archaïque ; la prédominance de points de vues patriarcaux et dépassés, et l’absence d’adaptation au monde moderne ; la prévalence de la violence dans les domaines culturel, économique et politique ; l’exacerbation des crises sécuritaires et économiques. Et le faible taux d’alphabétisation parmi les femmes.

Quelles sont les principales revendications des femmes ?

Les femmes souhaitent davantage de coordination entre les instances gouvernementales et les organisations non-gouvernementales qui défendent leurs droits. Elles veulent que les lois en vigueur soient appliquées en accord avec leurs principes, et non pas de manière arbitraire comme c’est souvent le cas actuellement. Enfin, les femmes demandent que les législations soient réexaminées et modernisées pour les rendre compatibles avec les valeurs et les besoins de la société.

Quels sont les sources et centres d’influence sur lesquels les femmes peuvent compter pour promouvoir leurs droits et leurs revendications ?

À mon avis, nous ne manquons pas de sources d’influence fiables dans les domaines législatif et politique. Le problème, c’est que les lois ne sont pas appliquées et que la population n’a pas confiance dans les institutions.

Qu’avez-vous fait dans votre vie personnelle et professionnelle pour lutter contre la discrimination ?

En tant que militante des droits civiques et politiques, et en tant que victime de la discrimination, je me suis toujours efforcée d’agir de manière efficace, individuellement et collectivement avec d’autres militants. Lorsque j’étais parlementaire, je me suis battue pour faire adopter des lois qui protègent contre la discrimination. J’ai travaillé avec des militants qui luttent contre la discrimination et avec des parlementaires qui croient en l’égalité des droits. Ensemble, nous avons réussi à soutenir et à faire promulguer des lois anti-discrimination, y compris des lois pénales pour la protection des enfants. En particulier, nous avons relevé l’âge de responsabilité pénale à 18 ans pour les deux sexes, conformément à la Convention des droits de l’Enfant. Auparavant, cet âge était de 13 ans pour les garçons et de 9 ans pour les filles. Nous avons également proposé la création d’une entité gouvernementale en charge de la question d’égalité entre les femmes et les hommes, et nous avons modifié les lois pénitentiaires afin de prévoir des lieux appropriés pour les femmes incarcérées et l’éducation de leurs enfants.

Avez-vous un message particulier à transmettre ?

Nous vivons une période charnière de notre histoire. Nous subissons l’impact de différentes crises. Il est essentiel pour nous tous, femmes et hommes, de faire notre possible pour avoir une influence positive sur notre société, en particulier en ces temps d’élections, afin de garantir la paix future. Ma devise est : « Si je me lève, si tu te lèves, tout le monde va se lever. Si je m’assieds, si tu t’assieds, qui donc va se lever ? ».

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