Lima et La Haye, 25 juin 2024. La FIDH et l’une de ses organisations membres au Pérou, l’APRODEH, ont eu aujourd’hui une réunion avec le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) au cours de laquelle elles ont soumis une communication en vertu de l’article 15 du Statut de Rome. Cette communication détaille les preuves de la commission des crimes contre l’humanité de meurtre et de tentative de meurtre au Pérou entre le 7 décembre 2022 et le 9 février 2023. Les organisations publient également le même jour un résumé de la communication soumise à la CPI (document joint).
Dans ces documents, les deux organisations décrivent en détail le ciblage systématique des manifestant⋅es au Pérou, où l’armée et la police ont fait un usage disproportionné et aveugle de la violence, principalement à l’encontre des jeunes hommes et des populations indigènes. Bien que très rapidement la répression a fait de nombreuses victimes, la politique de recours à la violence, organisée et approuvée par des autorités gouvernementales de haut niveau, s’est poursuivie pendant deux mois. Ces événements constituent clairement des crimes contre l’humanité tels que définis par le Statut de Rome. En conséquence, il a été demandé au Bureau du Procureur de la CPI d’ouvrir une enquête sur le Pérou.
Gloria Cano, directrice d’APRODEH et vice -présidente de la FIDH, explique « un profilage très détaillé des 49 victimes a été réalisé au cas par cas. Les causes de la mort de chaque personne ont été examinées, ainsi que les types de blessures : le plus souvent des impacts de balles sur le torse et le visage. La plupart des victimes ont été tuées alors qu’elles exerçaient leur droit légitime de manifester. Le rapport précise également les efforts en faveur de la justice qui, à ce jour, ont été menés par le biais du bureau du procureur afin de clarifier les fondements des crimes commis par la police et les membres de l’armée. »
Jimena Reyes, directrice du bureau Amériques de la FIDH, dénonce « le racisme évident des assassinats qui ont eu lieu à Andahuaylas, Ayacucho et Juliaca, et qui ont touché la population indigène (quechua et aymara). Le gouvernement a accusé les manifestant⋅es d’appartenir à des groupes terroristes sans aucune preuve. Pour cette raison, entre autres, les opérations, qui s’appuyaient sur la capacité tactique et d’armement des forces de sécurité, ont donné lieu à une répression violente contre les manifestant⋅es par un usage disproportionné et indiscriminé de la force ».
Les différents éléments recueillis indiquent l’existence de dispositions et de moyens donnés par les hautes autorités du gouvernement de Dina Boluarte pour que la répression vise à mettre fin aux manifestations à tout prix. La répression violente contre les manifestant⋅es et les toute personne présente, tant par la police que par l’armée, a été précédée par des plans d’opérations qui, à leur tour, ont été justifiés par des décrets d’urgence émis par la présidence et le conseil des ministres. De même, après les mort⋅es et les blessé⋅es, les hautes autorités gouvernementales, y compris la Présidente Dina Boluarte, ont publiquement nié leurs responsabilités, blâmant les manifestant⋅es pour la violence dont ils ont été victimes, les qualifiant de terroristes.
Le Pérou pris dans un effondrement démocratique
Le document analyse également le contexte de la crise démocratique qui sévit au Pérou depuis 2021. A travers le rapport "Pérou : avancée de l’autoritarisme et régression des droits", la FIDH, avec ses organisations membres au Pérou, APRODEH, Pérou - Equidad et CEDAL, a alerté sur les causes qui ont conduit à l’effondrement institutionnel et à la destruction de l’état de droit dans le pays.
Dans ce que les organisations ont dénoncé comme un pacte de gouvernement opaque, divers groupes conservateurs et autocratiques du Congrès ont tenté d’usurper et d’instrumentaliser, avec la bénédiction de la présidence, divers organismes publics, dont le ministère public et le Conseil national de la justice (organe de supervision des procureurs, des juges et des autorités du système électoral). Ils ont obtenu, entre autres, la libération de l’ancien président Alberto Fujimori, condamné pour crimes contre l’humanité, au mépris des normes internationales et de la récente avancée au Congrès d’une loi sur la prescription des crimes contre l’humanité.
La désintégration politique et sociale provoquée par ce projet conservateur et autocratique a fini par dynamiter la confiance déjà faible des citoyen⋅nes dans leurs représentant⋅es. Selon un récent sondage réalisé par Datum, seuls 5 % de la population approuve la présidente, ce qui constitue un nouveau record historique. Dans le même temps, 91 % de la population rejette les performances des membres du Congrès, selon Ipsos.