Le dangereux recul de la justice

28/08/2002
Communiqué
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La FIDH, avec le soutien de son association affiliée au Pérou, Asociacíon Pro Derechos Humanos (APRODEH), exprime sa préoccupation à l’égard du jugement rendu par la Chambre Pénale de la Cour suprême du Pérou. Ce jugement désigne la juridiction compétente pour connaître de l’affaire " Chavín de Huántar ", dans laquelle 15 commandos sont accusés de l’exécution extra-judiciaire, en avril 1997, de trois membres du Mouvement révolutionnaire Tupac Amaru (MRTA) qui avaient participé à la prise d’otages au sein de l’Ambassade du Japon à Lima.

Selon le jugement, les exécutions extra-judiciaires présumées auraient eu lieu dans une zone d’urgence et constitueraient donc des délits commis par des membres des forces armées "dans l’exercice de leurs fonctions". Ainsi, en vertu de la Loi 24150, ces délits relèveraient de la compétence d’un tribunal militaire.

Cette décision est contraire à l’article 8.1 de la Convention interaméricaine des droits de l’Homme, ainsi qu’à la jurisprudence de la Cour interaméricaine des droits de l’Homme dont le Pérou a reconnu la compétence en 2001. De plus, un tel jugement viole l’article 14 du Pacte international des droits civils et politiques. D’après ces conventions, toute violation aux droits de l’homme doit être jugé par une juridiction civile, même si elles est commises par des militaires. La jurisprudence universelle et interaméricaine souligne que les tribunaux militaires ne se conforment pas aux normes fixées par les instruments de défense des droits de l’Homme visant à garantir l’indépendance et l’impartialité de la justice.

La FIDH rappelle que les tribunaux militaires ne donnent aucune garantie en matière de justice, bien au contraire.
La FIDH redoute aussi qu’un tel jugement ait été le résultat de l’immixtion du gouvernement péruvien dans cette enquête, le ministre de la Défense et le ministre de l’Intérieur s’étant publiquement opposés à la décision de la juge Cecilia Pollack qui ordonnait l’arrestation de 12 officiers de l’armée en mai 2002
(voir communiqué de la FIDH du 27 mai 2002 http://www.fidh.org/communiq/2002/pe2705e.htm)
Tel est le cas, l’indépendance du pouvoir judiciaire serait sérieusement remise en cause au Pérou.

La FIDH craint également qu’une telle décision ne serve de précédent, rendant plus difficile le jugement d’autres cas de violations des droits de l’Homme perpétrées au Pérou dans des "zones d’urgence" et notamment celles d’Ayacucho et de Apurímac. Ces faits sont d’autant plus préoccupants qu’au cours des 20 années de violence politique au Pérou, on a compté entre 25 et 30 000 morts, plus de 5000 disparus et plus de 14 000 innocents emprisonnés. En outre, de toutes ces affaires, seulement trois ont été transmises au ministère public (dont l’affaire Chavín de Huantar).

Le fait que le procureur Victor Cubas Villanueva, qui a transmis au Ministère public deux des affaires qui ont abouti, n’ait pas été confirmé dans son poste, remet également en cause le bon fonctionnement de la justice.

La FIDH accueille avec satisfaction la décision de l’APRODEH de former un recours devant les instances internationales afin de contester ce jugement, initiative à laquelle elle s’associe et qu’elle continuera de soutenir.

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