Washington, le 3 mars 2025. En Amérique latine, la corruption structurelle fragilise la démocratie, l’état de droit et les droits humains, appelant ainsi une réponse plus ferme de la part des États. C’est le constat qu’a dressé un groupe d’organisations de la société civile lors de l’audience publique régionale « Obligations des États en matière de droits humains dans des contextes de corruption », qui a mis en évidence des cas concrets de corruption en République dominicaine, au Guatemala, en Colombie, au Venezuela et au Brésil.
« Malgré l’existence de cadres législatifs complets à l’échelle nationale et des engagements internationaux et régionaux en vue de lutter contre ce fléau, l’indice de perception de la corruption de Transparency International en 2024 révèle l’absence de progrès réels dans ce domaine, voire un recul significatif dans plusieurs pays. L’absence de mesures efficaces de la part des États pour lutter contre la corruption met en péril la démocratie, favorise les violations des droits humains et constitue un manquement à leur obligation de prévenir les violations des droits humains », souligne Luciana Torchiaro de Transparency International.
Les organisations ont insisté sur la nécessité de rendre visible les victimes de la corruption. « Mettre en lumière le lien entre les actes de corruption et les violations des droits humains nous permet de mettre un visage sur ces victimes et de mieux cerner leur identité. Cette approche exige de dépasser le cloisonnement entre la défense des droits humains et la lutte contre la corruption, mais aussi de documenter, dénoncer, décrire les faits, les liens de causalité et les conséquences de tels actes », soutient Jimena Reyes, directrice du bureau Amériques de la FIDH.
Par ailleurs, l’audience a mis en évidence l’impact de la corruption sur le droit de vivre dans un environnement sain. Par exemple, Rosa María Mateus du CAJAR a révélé qu’en Colombie les industries extractives usent de stratégies d’ingérence, profitant « des vides (juridiques) pour obtenir des licences d’exploration, d’exploitation et des autorisations de déversement susceptibles de mettre en péril d’autres droits humains et environnementaux pour les communautés ». Elle met également en garde contre les pratiques de « cooptation des chefs des communautés dans les zones vulnérables ».
L’audience a également mis en lumière les lourdes conséquences de la corruption de l’État par des entreprises dans plusieurs pays, comme l’illustre l’affaire Odebrecht. En République dominicaine, les pots-de-vin versés par cette entreprise au gouvernement ont permis l’approbation irrégulière de la Centrale thermoélectrique de Punta Catalina (CTPC), ce qui a eu de graves répercussions sur l’environnement et les droits humains, notamment l’apparition de maladies suite à l’inhalation de gaz toxiques entraînant la mort de plus de 6 000 personnes. Euren Cuevas Medina de INSAPROMA a expliqué qu’unrapport, élaboré en partenariat avec la FIDH, avait permis de « mettre en évidence la manière dont la pollution générée par la CTPC met en péril les droits fondamentaux tels que les droits à la santé, à un environnement sain et à une vie digne pour la population de Peravia. Tout cela constitue une violation flagrante des obligations constitutionnelles et législatives en matière de décarbonation ainsi qu’une atteinte aux droits humains et à l’environnement. À ce jour, l’acte de corruption de Punta Catalina n’a toujours pas été porté devant la justice, ce qui revient à consacrer l’impunité de l’entreprise. »
Les entreprises ne sont pas les seules à bénéficier de l’impunité à la suite d’actes de corruption, l’accès à la justice est aussi concerné de multiples façons. Comme le souligne Lissette González de Provea, « diverses formes de corruption judiciaire ont été observées au Venezuela. De même, les médias ont rapporté de multiples cas d’extorsion commis par des fonctionnaires à l’encontre de victimes de la répression post-électorale au cours de l’année 2024. Les agent·es exigeaient des paiements en échange de la libération des victimes ou de l’amélioration de leurs conditions de détention. De tels actes constituent une violation du droit à la liberté et à l’intégrité de la personne ».
Les organisations ont appelé avec fermeté la CIDH à continuer de donner plus de visibilité aux effets nuisibles de la corruption. Elles ont notamment suggéré à la Commission « d’intégrer dans sa planification institutionnelle un espace spécifique dédié à la corruption et aux droits humains, et de désigner un·e de ses fonctionnaires comme point focal et spécialiste de la question », comme l’a souligné Ramiro Orias de la Fundación para el debido proceso (DPLF). Cette mesure essentielle contribuera ainsi à faire reconnaître les victimes de la corruption comme des victimes de violations des droits humains.