Le 20 février 2014, la Cour d’appel de Port au Prince rendait un arrêt rétablissant les accusations de crimes contre l’humanité à l’encontre de Jean-Claude Duvalier et « consorts » [1], et désignait un juge rapporteur pour mener un supplément d’information judiciaire. Ce dernier se voyait attribuer pour missions spécifiques d’auditionner tous les plaignants et témoins cités ; convoquer et auditionner toutes les personnes citées dans le réquisitoire du Ministère public ; et identifier les personnes pouvant entrer dans la rubrique des « consorts ».
Il est déterminant de rappeler que le décès de Jean Claude Duvalier le 4 octobre 2014, n’a pas éteint les poursuites engagées à l’encontre des personnes nommément désignées par le Ministère Public ou pouvant entrer dans la rubrique « consorts », c’est-à-dire des membres de son régime qui pourraient être poursuivis en justice et être enfin amenés à répondre de leurs actes [2].
"La mort de Jean-Claude Duvalier a conduit à une certaine démobilisation. Mais trente ans après les faits, les victimes appellent à ce que la vérité soit établie et que justice soit faite. Les autorités haïtiennes doivent répondre aux attentes des victimes et des organisations de la société civile, qui mènent le combat contre l’impunité. De la réussite de cette procédure dépend la capacité d’Haïti à s’inscrire dans l’Etat de droit et la démocratie."
Si la crise électorale et politique qu’a connu le pays pendant plus d’un an a pu ralentir la procédure judiciaire en cours – une grande partie des juges ayant notamment été détachée au contentieux électoral pendant cette période -, le juge instructeur dans le dossier Duvalier et « consorts » a pu mener certaines auditions.
Cependant, aucune mesure spécifique n’a été prise pour accorder les moyens nécessaires au juge pour mener une enquête de cette complexité. Nos organisations s’inquiètent que cet apparent manque de volonté politique d’établir une justice forte persiste sous la nouvelle présidence, dont l’une des premières décisions préoccupantes fut de ne pas renouveler le mandat de l’Expert indépendant des Nations unies sur la situation des droits humains en Haïti, alors que celle-ci ne s’est pas améliorée et qu’aucun mécanisme national équivalent n’ait été mis en place [3] .
"Les nouvelles autorités doivent allouer tous les moyens nécessaires à une justice indépendante et impartiale, tout particulièrement dans ce dossier emblématique qu’est celui des crimes commis sous le régime de Jean Claude Duvalier. Le dicton ’en Haïti on poursuit l’enquête, mais jamais les criminels’ ne doit plus refléter la réalité."
Enfin, le manque de sensibilisation aux crimes du passé, pourtant essentielle à la non-répétition de ces crimes, est inquiétante. Par exemple, s’il avait été décrété qu’une « journée nationale du souvenir des victimes des crimes sous les régimes Duvalier » serait commémorée tous les 26 avril à partir de 2015, aucune n’a été officiellement tenue. Seules des associations, telle que la Fondation Devoir De Mémoire-Haïti, organisent de telles activités de commémoration.
Nos organisations appellent les autorités à s’engager effectivement dans un travail autour du devoir de mémoire, en mettant en œuvre ce décret et en permettant que les membres du régime de Jean-Claude Duvalier soient enfin jugés pour les crimes commis.