Près de trois ans après ce drame, plus de 80% de la population vit encore en dessous du seuil de pauvreté, dans une situation de précarité extrême que la tempête Sandy n’a fait qu’aggraver. Pour les quelques 370.000 victimes du séisme qui vivent encore dans les camps de déplacés, la situation empire de jour en jour : les conditions de vie y sont indignes et se dégradent, les expulsions forcées se multiplient dans les camps implantés sur des terrains privés, les populations sont abandonnées par les ONG et se trouvent dans une situation de vulnérabilité extrême. Dans l’environnement dégradé et dégradant de ces camps les violences ne font que croître et les femmes et les filles continuent à être particulièrement exposées aux violences sexuelles.
Le rapport déplore que les solutions apportées jusqu’à présent aux victimes du séisme soient insuffisantes, précaires et aient repoussé les problèmes, dans le temps et dans l’espace, plutôt que de les résoudre. Ce constat est d’autant plus choquant que la communauté internationale s’était engagée à apporter un soutien massif à la reconstruction du pays au lendemain du tremblement de terre meurtrier qui a ébranlé la nation toute entière (près de 300.000 morts et plus d’un million et demi de personnes déplacées).
Ce cri d’alarme sur le sort des populations les plus vulnérables des camps concerne aussi l’extension de la pauvreté et de l’exclusion sociale dans l’ensemble du pays. Là encore, force est de constater que l’insécurité humaine persiste et s’aggrave, en particulier l’insécurité alimentaire. Et cette situation ne doit rien à la fatalité mais aux choix de politiques économiques nationales largement dominées par des décideurs internationaux.
« Les politiques publiques à court terme ne peuvent garantir l’accès de la population aux droits fondamentaux, en particulier le droit au logement, à l’alimentation, à la santé et à l’éducation » a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH.
A cette absence de sécurité sur l’accès aux droits fondamentaux s’ajoute une insécurité juridique persistante, particulièrement flagrante dans les prisons et dans les graves dysfonctionnements de la police et du système judiciaire. C’est un autre constat qu’illustre le rapport.
Près de 70% de la population carcérale se trouve aujourd’hui en détention préventive prolongée, parfois depuis plusieurs années, sans avoir accès à une assistance juridique. Les conditions de vie dans les prisons sont inhumaines et dégradantes. Du fait de l’insalubrité et de la promiscuité qui règnent dans les établissements pénitentiaires, 275 détenus sont morts du choléra depuis son apparition en octobre 2010.
Depuis le début de l’année 2012, on constate une situation d’insécurité croissante, caractérisée par une multiplication des enlèvements et une augmentation des meurtres par balles, en particulier dans la zone métropolitaine. Malgré le début d’un processus d’épuration des agents de la Police nationale haïtienne (PNH), l’implication de certains d’entre eux dans des activités délictueuses ou des violations des droits de l’Homme persiste.
Les graves défaillances du système judiciaire sont à l’origine de la perpétuation de l’impunité, de l’absence d’accessibilité de la justice et de la persistance de la corruption. En outre, bien que le Conseil Supérieur du Pouvoir Judiciaire (CSPJ) ait été mis en place en juillet 2012, la FIDH, le RNDDH et le CEDH ont exprimé leur inquiétude sur son impartialité et son indépendance, du fait de la persistance des velléités d’intromission de l’Exécutif dans le pouvoir judiciaire. De surcroît, l’ordonnance du juge déclarant prescrites les charges pour génocide et crime contre l’Humanité à l’encontre de l’ancien dictateur Jean Claude Duvalier soulève de sérieux doutes quant à la volonté de la justice haïtienne de condamner les exactions commises sous la dictature.
Dans ce contexte, le rapport a également souligné les interrogations qui se posent sur le rôle de la Mission des Nations Unies chargée du maintien de la paix et de la sécurité en Haïti , la MINUSTAH.
Les résultats de ses opérations sont très mitigés et soulèvent de nombreuses critiques à l’intérieur du pays. Suite au renouvellement de son mandat, le 12 Octobre 2012, pour un an par le Conseil de sécurité des Nations Unies, la FIDH, le RNDDH et le CEDH accueillent favorablement la réduction des effectifs militaires ainsi que la demande adressée aux pays qui fournissent des contingents de faire en sorte que les actes mettant en cause leurs ressortissants fassent l’objet d’enquêtes et soient sanctionnés.
Après ce constat des menaces les plus graves qui pèsent sur la sécurité humaine dans ces différents domaines, la FIDH, le RNDDH et le CEDH souhaitent interpeller les principaux acteurs décisionnels nationaux et internationaux qui ont, à différents degrés le pouvoir de réformer, de transformer et d’impulser des politiques capables de répondre aux défis du relèvement d’Haïti et de l’établissement d’un Etat de droit .
A cette fin, le rapport formule un ensemble de recommandations concrètes , parmi lesquelles figurent les priorités suivantes :
Aux autorités haïtiennes
- Garantir des conditions dignes de relogement et un accompagnement des bénéficiaires sur la durée ;
- Mettre en œuvre les mesures conservatoires demandées par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme le 16 novembre 2010 contre les expulsions forcées ;
- Mettre en œuvre les mesures conservatoires demandées par la Commission interaméricaine des droits de l’Homme le 22 novembre 2010 en faveur des femmes et des filles déplacées ;
- Prendre les mesures nécessaires pour lutter contre la surpopulation carcérale et assurer des conditions de détention dignes
- Juger les personnes en détention préventive prolongée et assurer une assistance juridique à chaque personne prévenue ;
- Mener à bien le processus de formation de la Police Nationale ainsi que le processus d’épuration de la PNH
- Refuser l’impunité pour Jean Claude Duvalier : qu’il puisse être jugé et condamné en appel pour les crimes contre l’Humanité perpétrés sous son régime ;
- Mettre en œuvre un travail de mémoire en l’honneur des victimes de la dictature.
A la communauté internationale
- Appuyer et renforcer les institutions démocratiques du pays et lutter contre les pratiques de corruption ;
- Assurer une plus grande coordination des projets de reconstruction et de développement avec les acteurs publics et privés en privilégiant les solutions durables qui associent les populations concernées ;
- Mener ces projets en concertation et partenariat avec la société civile haïtienne ;
Au Conseil de Sécurité des Nations Unies
- Appeler la MINUSTAH à reconnaître sa responsabilité dans le déclenchement de l’épidémie de choléra et à établir une commission permanente de réclamations ;
- Exiger de la MINUSTAH qu’elle communique publiquement sur le suivi des procédures impliquant les soldats rapatriés et les procès initiés à leur encontre, en vertu de la politique de tolérance-zéro ;
- Recommander l’amendement du Status of Forces Agreement entre les Nations unies et le gouvernement haïtien, de manière à contraindre les soldats de la MINUSTAH responsables de violations des droits de l’Homme à être soumis à des poursuites devant un tribunal de droit commun dans leur pays d’origine.
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