Colombie : la communauté internationale doit exiger que les membres du Mouvement Ríos Vivos Antioquia bénéficient d’une protection et qu’une enquête soit ouverte concernant l’assassinat de certains de ses membres

22/05/2018
Communiqué
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Le Bureau international des droits humains – Action Colombie (Oficina Internacional de los Derechos Humanos - Acción Colombia OIDHACO) et les organisations signataires de cette lettre font part de leurs inquiétudes aux institutions et aux États membres de l’Union européenne, ainsi qu’à la Suisse et à la Norvège concernant la situation des populations menacées par le développement du projet hydroélectrique Hidroituango en Colombie, en particulier les membres du Mouvement Ríos Vivos Antioquia (MRVA), un mouvement qui rassemble 15 associations de victimes du conflit, de victimes des projets de développement à grande échelle, de femmes et de jeunes de la région où le projet est prévu.

Malgré le Plan de prévention et de protection mis en place avec le soutien du ministre de l’Intérieur pour venir en aide au MRAV, entre 2013 et le 1er mars 2018, le mouvement aurait subi 151 incidents graves, dont le meurtre de deux de ses membres. Suite à ces évènements, perpétrés par les forces de sécurité de l’État, des groupes paramilitaires ou des individus non identifiés au cours d’évacuations ou de manifestations pacifiques, le MRVA exige des garanties de la part de l’État colombien. En 2014, certaines mesures collectives avaient été décidées. Cependant, plus de deux ans ont été nécessaires à leur mise en place partielle, et il devient nécessaire et urgent de les réviser. Des mesures de protection individuelles ont également été accordées à neuf membres du MRVA, et l’État étudie les cas de cinq autres membres. Un groupe de parlementaires suisse a récemment envoyé une lettre à plusieurs institutions étatiques colombiennes [1] afin de les exhorter à mettre en œuvre les mesures prévues par le Plan de prévention et de protection.

Les habitants des régions touchées par le projet Hidroituango ont subi dix évacuations forcées au cours des dernières années. Au total, ce sont plus de 500 familles qui ont perdu leurs modes de vie et leurs activités d’économie de subsistance. En effet, ces familles vivent habituellement du barequeo (extraction d’or artisanale) et de la pêche le long des berges du fleuve Cauca.

Suite aux dommages subis par ces populations, l’entreprise responsable du projet, Empresas Públicas de Medellín (EPM), a offert des compensations, qui se sont révélées insuffisantes. En effet, elles sont censées compenser en partie la perte de l’activité de barequeo [2], mais elles ne prennent pas en compte le fait que la population de cette région, dont de nombreuses femmes, vivent de la pêche, travaillent dans des fermes ou en tant que journaliers, autant d’activités qui, comme le barequeo, ne seront plus réalisables une fois la zone inondée. De plus, le recensement réalisé par EPM pour récolter les informations concernant les populations touchées par le projet n’a pas pris en compte toutes les zones de plages où les activités de barequeo ne seront plus possibles. Par ailleurs, l’entreprise n’ayant pas prévenu assez tôt l’ensemble des personnes concernées, certaines d’entre elles n’ont pas pu se rendre aux endroits où le recensement avait lieu. Ainsi, une grande partie de ces personnes n’ont pas reçu les compensations auxquelles elles auraient dû avoir droit.

En novembre 2017, des représentants de la délégation de l’Union européenne à Bogota et les ambassades de France et d’Espagne en Colombie se sont rendus dans la région afin de juger de la situation de leurs propres yeux [3]. Le 20 avril 2018, 25 membres du Parlement européen ont envoyé un courrier aux autorités colombiennes [4] pour leur faire part de leurs inquiétudes concernant les possibles impacts du projet hydroélectrique Hidroituango.

Une des conséquences les plus graves serait l’impossibilité d’accéder aux corps des victimes de disparition forcée et du conflit armé possiblement enterrés dans la région où se trouverait le réservoir d’eau du barrage. Selon le Centre national de la mémoire historique, 1 029 personnes ont été victimes de disparition forcée dans les 12 municipalités touchées par le projet Hidroituango. En octobre 2017, le bureau du Procureur général du pays a exhumé 159 corps. Ainsi, plusieurs centaines de corps pourraient encore se trouver dans cette région. Le droit à la vérité pour les familles de disparus et les victimes du conflit armé devrait être protégé par les autorités colombiennes et les acteurs internationaux qui soutiennent le processus de paix en Colombie.

Le 28 avril, puis le 1er mai 2018, des effondrements ont bloqué l’un des tunnels servant à dévier les eaux du fleuve Cauca, causant une baisse alarmante du niveau des eaux à certains endroits et des inondations dans d’autres zones [5]. Ces derniers jours, le flux des eaux a été bloqué puis dégagé, entraînant des inondations et l’évacuation de centaines de personnes face au risque qu’elles encouraient [6]. Ces effondrements ont été provoqués par des mouvements géologiques et des glissements de terrain sur lesquels EPM n’a aucun contrôle [7]. Le MRVA a alerté les autorités et EPM concernant cette situation et attend des réponses.

Dans le même temps, Hugo Albeiro George Pérez, membre de l’Association des victimes et des personnes touchées par les mégaprojets à El Aro, dans la municipalité d’Ituango (Asociación de Víctimas y Afectados por Megaproyectos, ou ASVAM, une association membre du MRAV), a été assassiné le 2 mai 2018. On lui a tiré dessus dans un café de la municipalité de Puerto Valdivia, mais on ignore toujours les circonstances exactes de son assassinat. Le même jour, Domar Egidia Zapata George a également été assassiné [8]

Les harcèlements aux membres du MRAV n’ont pas cessé pour autant. Le 8 mai 2018, Luis Alberto Montaya, de l’Association des petits mineurs et pêcheurs (Asociación de Pequeños Mineros y Pesqueros ou AMPA, une association membre du MRVA) de Puerto Valdivia, a été assassiné, ainsi que Duvian Andrés Correa Sanchez [9].

Au total, ce sont donc quatre personnes qui ont été assassinées ces derniers jours [10] dans cette région qui continue de connaître des problèmes liés à la construction du projet Hidroituango. Il est urgent que les communautés locales puissent bénéficier d’une protection de la part des autorités.

Ainsi, les organisations signataires de cette lettre demandent à l’Union européenne, à ses États membres ainsi qu’à la Suisse et à la Norvège de prendre les mesures nécessaires suivantes :

1. exhorter les autorités colombiennes à protéger le MRVA, en mettant rapidement en place le Plan de prévention et de protection, ainsi que les communautés touchées par le projet Hidroituango de tous risques liés à la construction du barrage et à la présence de groupes armés qui met leur sécurité et leur vie en danger ;
2. demander aux autorités colombiennes d’ouvrir dans les plus brefs délais une enquête transparente sur la mort de Hugo Albeiro George Pérez, Domar Egidio Zapata George, Luis Alberto Montaya et Duvian Andrés Correa Sanchez, et de juger tous les responsables, exécutants comme décideurs ;
3. informer de la situation les entreprises européennes entretenant des relations économiques liées au projet Hidroituango afin qu’elles puissent prendre les mesures appropriées ;
4. promouvoir le droit à la vérité pour les victimes du conflit dans la région du projet Hidroituango afin d’établir si davantage de corps y sont enterrés, et si tel est le cas, faire en sorte que les droits des victimes passent en priorité avant l’inondation de la zone, conformément à l’accord de paix passé entre le gouvernement colombien et les Farc-EP garantissant la non-répétition des faits.

Pour plus d’information, veuillez contacter Miguel Choza Fernández, coordinateur Oidhaco, par mail à l’adresse oidhaco@oidhaco.org ou par téléphone au +32 2 5361913

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