Contexte
Le territoire de La Guajira en Colombie abrite une richesse culturelle et environnementale unique. Il héberge des communautés du peuple indigène Wayuu, des peuples de la communauté noire et des paysans, ainsi qu’un écosystème inestimable en voie d’extinction, comme la forêt tropicale sèche. Cependant, cela fait une quarantaine d’années qu’un projet de mine de charbon à ciel ouvert a vu le jour ; il s’agit de la mine de charbon à ciel ouvert la plus vaste d’Amérique latine, gérée par la société Carbones del Cerrejón, qui était détenue par les multinationales Glencore, BHP et Angloamerican.
Après plusieurs décennies d’expansion incontrôlée, le mégaprojet d’exploitation minière a asséché, dévié et contaminé divers sources et réservoirs hydriques, ce qui a endommagé le système hydrolique et hydrogéologique, et aggravé une crise hydrique et climatique qui secoue la région. Des discriminations et des atteintes systématiques aux droits humains en ont résulté, ainsi que des dommages écosystémiques graves, voir irréversibles dans certains cas.
Malgré ce constat accablant, il est prévu d’étendre le projet encore davantage, le plan de croissance prévoyant entre autres d’exploiter de nouveaux sites miniers. C’est au nom d’intérêts économiques que le groupe a choisi de dévier la rivière Bruno, affluent du fleuve Ranchería, l’une des sources hydriques les plus importantes de la région. Ce projet a été autorisé par l’État colombien sans évaluer au préalable les impacts environnementaux et sociaux, et sans prendre en compte les liens spirituels et culturels du peuple Wayuu avec la rivière.
Face à cette situation, les communautés ont fait appel à la justice pour que leurs droits soient protégés. En 2019, la Cour constitutionnelle colombienne a rendu un jugement reconnaissant la menace et le risque qui pèsent sur les droits à l’eau, à la santé et à l’alimentation des communautés. La cour a estimé que le gouvernement et la société minière devaient produire une étude pour évaluer à nouveau la viabilité de ce projet. Parmi les variables à prendre en compte : les répercussions cumulées de l’exploitation minière à grande échelle, les liens culturels et les effets du changement climatique. La décision de la cour stipulait également l’obligation d’appliquer le principe de précaution environnementale afin que soit évalué le rétablissement des eaux de la rivière Bruno dans leur lit initial. Malgré cela, la décision judiciaire n’a, à ce jour, pas été respectée et la rivière Bruno est toujours déviée et court le risque d’être exploitée. En outre, les multinationales ont effectué une demande d’inversion de la décision auprès de l’État colombien en juin 2021, afin de faire pression pour obtenir l’autorisation de mettre en œuvre leurs plans d’exploitation de la rivière.
La déviation de la rivière Bruno a mis en péril toute la communauté, qui est catégorique en affirmant que « la rivière déviée meurt chaque jour un peu plus ». Ses chefs ont été menacés. L’État colombien leur a retiré toutes les garanties relatives aux processus de participation et a laissé la région dans une situation critique d’où aucune solution interne ne semble se dégager.
L’action intentée
Une demande d’adoption de mesures de précaution devant la Commission interaméricaine des droits humains (CIDH) a été introduite pour contrer la demande des multinationales, afin de garantir d’urgence la protection des droits des communautés du territoire de la Guajira face à la menace de dommages irréversibles occasionnée par la déviation de la rivière Bruno et son projet d’exploitation. Il a été également demandé le respect de toutes les garanties juridiques vis-à-vis de l’exécution de la décision judiciaire de la Cour constitutionnelle. Cette action devait permettre une prise en compte par le système interaméricain des droits humains de la gravité des risques de dommages irréversibles occasionnés par les mégaprojets de l’exploitation minière de charbon, ainsi que des difficultés d’accès à la justice pour les victimes d’abus et de violations de sociétés multinationales.
Ce que nous avons demandé
Nous avons demandé que la CIDH requière des mesures conservatoires auprès de l’État colombien afin de :
1. protéger les communautés ethniques de la Guajira face à la menace grave et urgente de dommages irréversibles liée à la déviation de la rivière Bruno et à son projet d’exploitation pour l’extension de la mine de charbon ;
2. que des mesures permettant des garanties juridiques effectives dans un délai raisonnable à l’égard de l’exécution du jugement SU-698 de 2017/ de la cour et du droit soient adoptées ;
3. que selon l’application du principe de précaution, la rivière Bruno retrouve son cours naturel.
Les résultats
Le recours a été déposé le 23 septembre 2021, mais la CIDH a refusé de prendre des mesures conservatoires, sans donner plus de détails sur les raisons de sa décision. Cependant, en octobre 2022, la rapporteuse spéciale sur les droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux (DESCA) Soledad García Muñoz a effectué une visite dans la Guajira. Avec le soutien des organisations qui composent la plateforme “La Guajira le habla al país” et en collaboration avec différentes organisations, les communautés ethniques du sud de La Guajira que le CAJAR accompagne ont pu rencontrer la Rapporteuse dans la communauté de " El Rocío ", où les plaintes liées à l’exploitation minière ont été présentées.
La réunion a également bénéficié d’une importante couverture médiatique, qui s’est reflétée dans les déclarations de la rapporteuse après la visite, faisant référence à la lutte de ces communautés de La Guajira contre les abus des entreprises multinationales, en donnant comme exemple les problèmes de la rivière Bruno et de la nouvelle mine de Cañaverales. Selon la Rapporteuse, la relation entre les entreprises et les communautés de la Guajira est "extrêmement asymétrique", et il est paradoxal de voir que pendant que les multinationales font des bénéfices, le peuple Wayuu souffre de la faim, de la soif et des calamités.
Par la suite, le communiqué de la CIDH sur la visite officielle à La Guajira a reflété la situation critique concernant la garantie des droits économiques, sociaux, culturels et environnementaux (DESC) dans ce territoire. En particulier, le rapporteur a souligné les difficultés rencontrées dans l’application des décisions judiciaires en faveur des droits des communautés Wayuu liées aux activités d’extraction de l’entreprise Carbones del Cerrejón. En particulier, les arrêts T-614/19 de la Cour constitutionnelle qui a ordonné la protection des droits à la santé et à l’environnement, et l’arrêt SU-698/17 sur le détournement du lit de la rivière Bruno. En outre, il a noté avec une inquiétude particulière que plusieurs violations des DESC sont intrinsèquement liées au rôle des entreprises, notamment Carbones del Cerrejón Limited, en raison de leur impact sur la santé, l’eau, l’environnement et les droits à l’information et à la participation.
Pour plus d’information
https://www.facebook.com/laguajirahabla/videos/1320817354963021
https://www.oas.org/es/cidh/jsForm/?File=/es/cidh/prensa/comunicados/2022/265.asp