RÉSOLUTION SUR LES RISQUES ENCOURUS PAR LA DÉMOCRATIE SUITE AUX CHANGEMENTS CONSTITUTIONNELS ET AUX VISÉES DE RÉELECTION PRÉSIDENTIELLE EN COLOMBIE, ADOPTÉE PAR LE CONGRÈS DE LA FIDH RÉUNI À EREVAN

11/04/2010
Communiqué
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RÉSOLUTION SUR LES RISQUES ENCOURUS PAR LA DÉMOCRATIE SUITE AUX CHANGEMENTS CONSTITUTIONNELS ET AUX VISÉES DE RÉELECTION PRÉSIDENTIELLE EN COLOMBIE

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) réunie en son XXXVIIième Congrès mondial à Erevan en Arménie du 6 au 10 avril 2010, au vu des circonstances qui affectent la démocratie et l’état social en Colombie et

CONSIDÉRANT

Que dès l’instauration du premier mandat du président Álvaro Uribe Vélez en août 2002 en Colombie, les changements constitutionnels réalisés ont permis la mise en place d’un régime présidentiel à outrance et provoqué l’affaiblissement de l’État de droit ; Qu’une réforme constitutionnelle irrégulière a rendu possible le renouvellement du mandat présidentiel, comme réalisé en 2006, et qu’une réélection est de nouveau envisagée en 2010 par le biais d’une nouvelle réforme constitutionnelle.

Que le modèle constitutionnel d’équilibre des pouvoirs publics était fondé sur un mandat présidentiel unique ; ainsi l’introduction du mandat présidentiel renouvelable a eu comme conséquences un profond affaiblissement de l’État de droit, une remise en cause de l’indépendance du pouvoir judiciaire, notamment de la Cour constitutionnelle et du Conseil supérieur de la Magistrature, mais aussi de certains organismes de contrôle comme le Procureur général ( Fiscalía General ), le Ministère public (Procuraduría General), l’Office du défenseur du peuple (Defensoría del Pueblo), le Conseil électoral, la Banque de la République ; les organes de l’État sont désormais au service des intérêts du Président ; les politiques sociales, notamment menées par le grand ministère de l’Action sociale, deviennent de véritables niches bureaucratiques qui ont pour but de protéger les alliés ou amis du gouvernement.

Que, parallèlement à ce mouvement de désinstitutionnalisation, l’actuel gouvernement a consacré de graves impunités en promulguant notamment la Loi 975 de 2005 qui a facilité des remises de peines et amnisties de facto pour plus de 34 000 paramilitaires. Ces derniers, avec la complicité des autorités, s’étaient rendus coupable des pires exactions, y compris de crimes contre l’humanité, d’assassinats, de disparitions forées, de déplacements de population, dans le seul but de favoriser les intérêts économiques et politiques de certains secteurs privilégiés voire mafieux, en transformant leur pouvoir criminel en voix électorales. Ces agissements criminels ont affecté l’ensemble du mécanisme démocratique puisque les partis traditionnels - libéral et conservateur - en sont ressortis déstructurés et que les partis d’opposition ont vu leurs possibilités de consolidation limitées, laissant s’ériger un État à la composition mafieuse et paramilitaire.

Que, depuis 2005, la portée du paramilitarisme en Colombie, comme projet national au sein du corps législatif a été clairement établie par la déclaration de Salvatore Mancuso Gómez, alors chef paramilitaire, qui avouait que 35% des membres du Congrès national comptaient parmi ses « amis »[1]. Ses propos ont été confirmés par le chef paramilitaire José Vicente Castaño Gil [2], puis repris par Mancuso devant la presse en 2008 affirmant cette fois que plus de 50% des membres du Congrès colombien entretenaient des liens avec le paramilitarisme [3]. Qu’en outre, ces alliances entre fonctionnaires publics et paramilitaires ne se sont pas limitées aux seuls membres du Congrès : les paramilitaires ont formé également des alliances avec des fonctionnaires publics locaux [4]– fonctionnaires municipaux et départementaux, maires, conseillers municipaux et députés, qui tous appartiennent aux mêmes mouvances politiques que les membres du Congrès ayant fait l’objet de poursuites– voire même avec des fonctionnaires publics de haut niveau du gouvernement actuel [5]. Ces alliances auraient également existé à l’occasion de l’élection du Président Álvaro Uribe Vélez en 2002, tel que cela a été confirmé entre autres par les chefs paramilitaires Diego Murillo Bejarano, alias “Don Berna”, et Salvatore Mancuso Gómez, alias “Santander Lozada” [6].

Qu’au cours des trois dernières années, au moins 133 membres ou anciens membres du Congrès ont été compromis avec le paramilitarisme, ce qui montre la portée de celui-ci dans les partis pro-Uribe [7]. Parmi ces membres du Congrès, 71 ont été soumis à interrogatoire [8], 50 sont actuellement sous les verrous [9], 42 ont renoncé à leur immunité en tant que membres du Congrès [10], 18 sont en cours de jugement [11], 13 ont accepté leur responsabilité pour les accusations dont ils étaient l’objet et ont accepté une instruction anticipée [12] et sept ont été condamnés [13].

Et que presque tous les membres du Parti colombien démocratique au Congrès, parti fondé par le président Álvaro Uribe Vélez, [14], font l’objet d’enquêtes pour leurs liens présumés avec le paramilitarisme [15]. Les présidents et dirigeants des principaux partis pro-Uribe font également l’objet d’enquêtes pour leurs liens présumés avec la structure paramilitaire, notamment : Álvaro Araújo Castro de Alas Equipo Colombia, Mario Uribe Escobar de Colombia Democrática-, Luís Humberto Gómez Gallo du Parti conservateur, Luís Alberto Gil Castillo de Convergencia Ciudadana, Carlos Armando García Orjuela du Parti de la U et Dieb Nicolás Maloof Cuse de Colombia Viva [16].

Que, lors de l’audience de la Cour interaméricaine des droits de l’homme de mars 2009, la fondation Nuevo Arco Iris a confirmé qu’entre 25% et 35% des postes d’élus étaient passés entre les mains de la structure paramilitaire. « Des sept partis qui intègrent la coalition pro-Uribe, cinq sont composés de candidats qui viennent dans leur totalité de la parapolitique. A l’heure actuelle, ces partis ont encore une sphère d’influence sur la scène politique » a affirmé León Valencia, directeur de Nuevo Arco Iris [17]. Ces partis peuvent causer de graves préjudices à la démocratie en Colombie, lors des élections de 2010.
Qu’en outre, 11 des suppléants des membres du Congrès accusés de liens avec le paramilitarisme ont à leur tour été traduits en justice pour leurs liens présumés avec cette même mouvance, preuve tangible que les liens entre le Congrès et le paramilitarisme n‘ont jamais été coupés et qu’ils persistent encore aujourd’hui [18].

Que la Cour suprême de justice a progressé dans les enquêtes judiciaires visant à clarifier et juger des liens existants entre ces hauts fonctionnaires publics et les structures paramilitaires, ce qui a été l’objet de critiques et d’un discrédit public de la part de l’Exécutif, avec des menaces et des poursuites illégales engagées par l’Agence de renseignements (DAS), mettant ainsi en danger l’indépendance du pouvoir judiciaire.

Que les mesures nécessaires n’ont pas été prises pour éviter que, lors des prochaines élections législatives, des parents ou alliés politiques de ces membres du Congrès n’aspirent à de nouveaux sièges et entretiennent ces alliances avec des organisations criminelles. D’après la revue « Cambio » du 13 août 2009, il existe un grand nombre d’exemples de ce genre, notamment Arlet Casado de López (épouse de l’ancien sénateur Juan Manuel López Cabrales), Araceli Olivares de Morris (épouse de l’ancien représentant Erick Morris Taboada), Teresa García (sœur de l’ancien sénateur Álvaro García Romero), Hernando de La Espriella Burgos (frère de l’ancien sénateur Miguel Alfonso De La Espriella Burgos), Francisco Jattin Corrales (frère de l’ancienne représentante Zulema Jattin Corrales) et Raimundo Méndez Bechara (dauphin politique de l’ancien sénateur Reginaldo Montes) [19].

Que tous ces faits mettent gravement en danger la démocratie déjà précaire en Colombie, vu la persistance dans la sphère politique et parmi les hauts fonctionnaires de l’État de personnes ayant des liens avec les groupes paramilitaires ; que ces faits compromettent l’avenir des principes démocratiques dans le pays et rendent irréalisable un État de droit pleinement respectueux des droits de l’Homme,

DÉCIDE

De déclarer que le mandat rééligible en Colombie porte atteinte à la Démocratie et à l’État de droit.

D’appeler la Cour suprême de justice et le Parquet à persévérer dans les enquêtes sur les liens au plus haut niveau entre les hommes politiques et les groupes paramilitaires et de soutenir ces deux organismes face aux attaques dont ils ont été l’objet de la part de l’Exécutif et d’autres organes du pouvoir.

D’exiger du gouvernement national qu’il cesse toute attaque envers les magistrats de la Cour suprême de justice et autres fonctionnaires des services judiciaires, afin de conserver l’autonomie de la justice et de permettre l’ouverture d’enquêtes concernant ces attaques.

D’appeler la Cour pénale internationale à ouvrir une enquête sur les hauts responsables des crimes commis en Colombie par les groupes paramilitaires parmi lesquels figurent des parlementaires et autres hommes politiques actuellement en poste au sein du gouvernement.

De requérir l’abrogation de la Loi 975 de 2005 qui a favorisé l’impunité et légalisé le paramilitarisme en Colombie.

Erevan, avril 2010

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