RÉSOLUTION SUR LES DÉFENSEURS EN COLOMBIE, ADOPTÉE PAR LE CONGRÈS DE LA FIDH RÉUNI À EREVAN

11/04/2010
Communiqué
en es fr

RÉSOLUTION SUR LES DÉFENSEURS EN COLOMBIE

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) va tenir son 37ème Congrès Mondial, à Erevan, Arménie, du 6 au 10 avril 2010 ; la situation complexe à laquelle se trouvent confrontés les défenseurs des droits de l’homme en Colombie sera abordée lors de ce congrès, et,

ATTENDU QUE

Depuis ces dix dernières années, plusieurs autorités et organismes à l’échelle internationale ont notamment fait part de leur « … profonde préoccupation face au climat d’intimidation et d’insécurité dans lequel les défenseurs des droits de l’homme en Colombie travaillent » . La recrudescence des graves violations contre leurs droits démontre que les recommandations émises par Madame Hina Jilani, ancienne Représentante Spéciale du Secrétaire-Général des Nations unies sur la situation des défenseurs des droits de l’Homme, lors de sa visite il y a plus de sept ans n’ont pas été mises en œuvre, et qu’en outre le Gouvernement a agi contre celles-ci.

Depuis 2004, un groupe spécial de renseignement stratégique (appelé « G3 ») opère au sein même du Bureau de renseignement du DAS (Département Administratif de la Sécurité), qui dépend directement du président Álvaro Uribe Vélez. Le G3 a lancé la plus grande opération de l’histoire du pays d’espionnage illégal et de suivis méticuleux du travail des défenseurs des droits de l’Homme et des organisations. Sur la base d’informations obtenues de manière illégale, des listes de syndicalistes et de défenseurs des droits de l’Homme devant être assassiné – et qui effectivement le furent, ont été fournies à des groupes paramilitaires et des opérations de « sécurité offensive » ont été menées, telle que des attaques, montages judiciaires, des menaces de mort et des violations répétées commises contre des droits des défenseurs des droits de l’Homme et leurs proches.

L’opinion publique a eu connaissance dernièrement des rapports des services de renseignement dressés par les « Regionales de Inteligencia Militar » (RIME, ou Unités régionales de renseignement militaire) de l’Armée, où il est fait référence de manière généralisée aux chefs de file des organismes et mouvements sociaux et aux défenseurs des droits de l’homme en tant que personnes insurgées. Cette pratique illégale des RIME de l’Armée a été réitérée dans les rapports du Département de Antioquia et du Département de Caquetá, élaborés tant en 2008 qu’en 2009.

Sur la base des rapports des services de renseignement, et des nombreux témoignages rémunérés et fournis par le Réseau des Informateurs au sein de chaque Brigade Militaire, des dizaines de personnes ont été jugées par le Ministère public et placées en détention lors d’opérations militaires médiatiques, comme ce fut le cas pour CARMELO AGÁMEZ, membre du Movice (Movimiento Nacional de Víctimas de Estado, ou Mouvement national des victimes de l’État), de la Section de Sucre, et de MARTÍN SANDOVAL, Président du Comité permanent pour la Défense des droits de l’Homme en Arauca.

Depuis la mi-février 2009, dans plus de 30 villes et plusieurs régions du pays, des menaces de mort et des pamphlets menaçant ont été largement diffusés, dans le dessein de contrôler par la terreur les conflits sociaux engendrés par la crise sociale et le chômage grandissant dans les secteurs les plus marginalisés du pays. Les opérations de « nettoyage social » ne cessent d’augmenter, ayant pour cibles les jeunes marginalisés issus de nombreux secteurs. Le mouvement communal a dénoncé le fait que jusqu’au mois de mai, près de 100 dirigeants communaux ont été assassinés à travers tout le pays, et qu’ils ont été les victimes de multiples intimidations émanant de pamphlets menaçants diffusés dans différentes régions du pays. La plupart de ces menaces sont le fait de groupes paramilitaires tels que : les Águilas Negras (les Aigles noirs), les Autodefensas Unidas de Colombia (les Autodéfenses unies de Colombie), mettant en évidence une reconfiguration militaire des mouvements paramilitaires et leur positionnement en tant qu’acteurs majeurs de la stratégie de gouvernance urbaine dans le cadre de la politique de « Sécurité Démocratique ».

Au fil de cette année, les défenseurs des droits de l’homme et leurs organisations ont continué d’être la cible d’attaques, notamment à travers des dégâts causés à leurs sièges sociaux et des vols d’informations. Il semblerait qu’il existe une corrélation entre le nombre de croissant d’attaques contre les sièges sociaux, les défenseurs eux-mêmes et les vols d’informations, et les abondantes récompenses offertes par le ministère de la Défense à quiconque fournit du matériel informatique, des disques durs, des clés USB et autres supports d’ « information servant de fondement pour la continuité des travaux d’information et la planification ultérieure d’opérations » (Directive secrète N° 029 de 2005, émanant du ministère de la Défense, Cap. 4. Citation exacte.).
Sous le gouvernement du Président Uribe, les défenseurs des droits de l’Homme ont du travailler dans un climat d’attaques permanentes et de de campagnes publiques de dénigrement de la part du président lui-même, du vice-président et d’autres hauts fonctionnaires du gouvernement qui cherchent à monter la société contre eux, et à présenter publiquement les défenseurs comme étant des « ennemis, à savoir des complices ou alliés du terrorisme ». Dès les premières heures de son gouvernement, le président Uribe a désigné les défenseurs des droits de l’Homme comme des « politiques qui au bout du compte servent le terrorisme, et qui en toute lâcheté se cachent sous le drapeau des droits de l’Homme » (8 septembre 2003).

Un très grand nombre de défenseurs des droits de l’Homme vivent des situations de risques reconnues et se retrouvent sans protection, conséquence directe d’ordres passés visant à les priver entièrement de leurs droits et garanties leur permettant de travailler. La privatisation des services de protection et la commercialisation des services de prévoyance et de sécurité contenus dans le projet de Loi sur les Sociétés privées de sécurité prévoient que l’État se libère de sa responsabilité directe en matière de protection des défenseurs, journalistes, syndicalistes et leaders sociaux en situation de risque, permettant ainsi à des entreprises privées, y compris des entreprises étrangères, de pénétrer ce marché que représentent les services de protection.
Non seulement l’État n’a pas mis en œuvre les recommandations de la Représentante Spéciale Hina Jilani mais il agit à l’encontre de celles-ci dans presque tous les domaines. Par conséquent, pour que les défenseurs aient de réelles garanties de pouvoir exercer leur mission sans être harcelés et sans craindre pour leur vie.

Malgré les recommandations répétées préconisées par des organisations internationales à l’État colombien pour la protection de la défense des droits humains, les femmes défenseurs continuent de faire l’objet de menaces, d’attaques et de harcèlements, portant atteinte à leur intégrité mais également à leur travail de défense des droits humains. Face à ces attaques, la situation d’impunité est alarmante. Il n’y a aucune politique de prévention et de sanction efficace pour garantir les droits fondamentaux des femmes défendant les droits humains même lorsque le risque d’atteinte à leur vie et à leur intégrité est élevé, persistant et systématique.

Cette situation grave et persistante à l’encontre des femmes défenseurs en Colombie a également été constatée par la Cour constitutionnelle, pris des injonctions pour surmonter, à tout le moins, les faiblesses suivantes : (i) l’absence de réponse adaptée en matière de protection de la vie, de la sécurité personnelle et de l’intégrité des leaders des populations déplacées1 ; (ii) les dangers spécifiques pour les femmes qui travaillent dans des organismes sociaux ou des organisations de promotion des droits de l’Homme dans des zones touchées par le conflit2et ; (iii) les lacunes de La Loi 975 de 2005 quant à la protection suffisante et adaptée pour les victimes et les témoins au cours des enquête, en violations des standards et obligations en la matière3.
Face aux constatations, recommandations et ordres précédents, la réponse de l’État colombien est toujours insuffisante, en particulier, quant au manque de mesures de prévention, de protection et de sanction qui favorisent l’augmentation des conditions de violence contre les femmes défenseurs des droits humains.

Il convient de :

Exhorter le Président de la république et les hauts fonctionnaires du gouvernement, en vertu des Directives Présidentielles (07 de 1999) et Ministérielles (09 de 2003), à mettre fin à la stigmatisation systématique des hommes et des femmes défenseurs, à faire une déclaration publique et formelle dans laquelle ils reconnaitront l’importance du travail légitime des hommes et des femmes défenseurs et leur contribution indispensable au renforcement de la démocratie et de l’État de droit.

Exiger que le gouvernement national cesse les activités d’espionnage illégal contre les défenseurs, qu’il cesse le recueil illégal d’information de la part des différents services de renseignement et que l’on garantisse l’accès des hommes et des femmes défenseurs à l’information complète contenue dans les archives des renseignements, et que le Ministère Général de la Nation avance de manière rapide et impartiale dans les enquêtes en cours contre tous les fonctionnaires impliqués dans les activités illégales de la DAS, pour déterminer ceux qui ont donné les ordres mais aussi ceux qui les ont exécutés.

Exiger que cesse la pratique des poursuites contre les femmes et les hommes défenseurs basées sur des rapports des renseignements et des déclarations d’informateurs ou de démobilisés faites en échange de bénéfices juridiques ou économiques ; De même, que s’ouvre des procédures pénales et disciplinaires contre tout procureur de la république ou tout autre fonctionnaire qui aurait violé la loi en enquêtant sur les hommes et les femmes défenseurs en se basant sur des indices faux ou infondés, et que soient prononcées les sanctions correspondantes.

Exiger que les programmes de protection du Ministère de l’Intérieur soient mis en place conformément à la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle à cet égard, et que toute réforme sur ces programmes soit effectuée au travers de consultations directes avec les défenseurs des droits humains pour s’assurer que les changements correspondent aux nécessités de ceux-ci dans toutes les régions du pays, en particulier :

 Exiger que l’on mette fin à l’impunité et que l’indépendance judiciaire soit garantie. Que l’Union Nationale des Droits de l’Homme et du Droit International Humanitaire du ministère public (Unidad Nacional de Derechos Humanos y Derecho Internacional Humanitario de la Fiscalía) recherche et centralise toutes les plaintes déposées pour menaces et violations contre les hommes et femmes défenseurs, identifie la chaine de responsabilité de commandement de crimes et sanctionne les responsables. Le ministère public devra divulguer périodiquement et publiquement les résultats de ses recherches ; Que soient abrogées les conventions entre le Ministère Général de la Nation et les organismes de renseignements militaire et politique (RIME, DINTE et DIPOL) pour éviter qu’ils ne s’octroient des facultés de police judiciaire envers les services de renseignement et interdire l’utilisation des rapports de renseignements dans les procédures judiciaires.
 Exiger le démantèlement réel des groupes paramilitaires et mettre fin aux liens avec les agents d’État, et également juger et sanctionner les agents d’État ayant participé, soutenu ou toléré le fait que des groupes paramilitaires aient commis de graves violations des droits de l’Homme, y compris contre des hommes et des femmes défenseurs.
 Exiger de l’État colombien des garanties pour le travail que réalisent les femmes dans la défense de leurs droits, des enquêtes et des sanctions concernant les faits de violence, y compris les violences sexuelles faites aux femmes et des garanties pour leur travail de défense de leurs droits humains.
 Exiger de l’État colombien qu’il mettre fin, de manière immédiate, aux faits de violence contre les femmes, et en particulier les femmes défenseurs, qui sont dus à la responsabilité des agents de l’État.
 Exiger de l’État colombien qu’il respecte la totalité des ordres issus de l’Auto 092 (prévention et protection des femmes en situation de déplacement)

Erevan, avril 2010

Lire la suite