Lettre Ouverte à M. 

03/11/2003
Communiqué
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Objet : La FIDH décide de renoncer à l’organisation en Colombie de son XXXV ème Congrès.

Monsieur le Président,

La Fédération Internationale des Ligues des Droits de l’Homme (FIDH) a décidé de renoncer à l’organisation en Colombie de son XXXV ème Congrès, qui devait avoir lieu à Bogota du 17 au 22 février 2004. Elle considère en effet que le gouvernement que vous présidez n’offre les garanties nécessaires ni pour la bonne tenue de notre réunion mondiale ni pour la défense des droits de l’Homme en général.

La décision de la FIDH a été prise en réponse à votre silence prolongé suite à la lettre ouverte que nous vous avons adressée le 19 septembre 2003, dans laquelle nous vous demandions une clarification et une rectification de vos discours des 8 et 11 septembre contre les défenseurs de droits de l’Homme. Cette clarification était une condition indispensable, parmi d’autres, pour garantir la possibilité de tenir notre Congrès mondial à Bogota.

Néanmoins, vous n’avez pas considéré pertinent de répondre à ce courrier, ni à celui envoyé le 1er octobre, dans lequel nous réitérions notre demande. En conséquence, nous nous trouvons dans l’obligation d’interpréter votre absence de réponse comme une confirmation implicite de vos déclarations. Or, celles-ci sont totalement incompatibles avec l’organisation du Congrès de la FIDH en Colombie.

Nous dénonçons une fois encore et avec la plus grande vigueur vos affirmations sur les défenseurs de droits de l’Homme colombiens. Vous avez accusé près de 80 ONG nationales- parmi lesquelles se trouvent trois ligues colombiennes affiliées à la FIDH - d’être "des auteurs, des politicards, des trafiquants de droits de l’homme" et "des défenseurs du terrorisme", vous avez assuré que vous étiez prêts à rectifier "le ton" mais pas le contenu de vos déclarations, ce qui, pour la FIDH, ne s’avère pas suffisant au regard de la gravité de vos propos.

Récemment, dans une interview avec la revue Diners de Colombie vous avez réaffirmé le contenu de votre discours et vous avez même confirmé qu’après l’avoir lu il vous paraissait toujours "nécessaire". C’est pour cette raison que la FIDH considère nécessaire et urgent de demander le concours de la communauté internationale et nationale afin d’éviter que la stigmatisation des défenseurs en Colombie n’entraîne une augmentation des actes de violence et de criminalisation à leur encontre, comme cela a été le cas ces derniers mois.

Vos propos s’ajoutent à une longue série de mesures prises ou annoncées, durant ces derniers 14 mois, par le gouvernement que vous dirigez, et dont beaucoup d’entre-elles sont contraires aux engagements contractés par l’Etat Colombien devant la communauté internationale et devant la Constitution colombienne elle-même.

Parmi celles-ci il faut citer votre refus d’exécuter la décision du Tribunal administratif de Cundinamarca, qui a ordonné la suspension des fumigations aériennes, l’élimination du statut politique comme condition d’avancement du dialogue de paix, ainsi que la - mal nommée - proposition "d’alternative pénale", qui favorise la "non détention" de ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité dans votre pays. La FIDH souligne également à ce sujet les arrestations sans mandat et le recensement dans les zones de réhabilitation et de consolidation, en vigueur jusqu’en mai dernier, ainsi que l’implication dans le conflit, de civils armés à travers les réseaux d’informateurs et de paysans soldats. En outre, la loi "antiterroriste", actuellement en discussion au Sénat, propose de graves restrictions aux droits fondamentaux des citoyens, telles que l’octroi de fonctions judiciaires aux forces armées.

De la même façon, au cours de votre mandat, ont eu lieu plusieurs tentatives de restrictions des libertés fondamentales consacrées par la Constitution de 1991, avec notamment des projets de loi permettant l’utilisation d’armes de guerre par les civils, réssussitant ainsi les Convivir, limitant le champs d’application de la "Tutela", réduisant les pouvoirs de la Cour Constitutionnelle, établissant un tribunal disciplinaire pour la Force Publique et restreignant l’autonomie des ONG.

En dépit de notre décision de ne pas organiser le Congrès dans votre pays, la FIDH annonce la mise en place d’un plan pour les droits de l’Homme en Colombie. Elle réaffirme sa complète solidarité avec les organisations de défense des droits de l’Homme dans ce pays, ainsi que sa tristesse pour le récent assassinat d’Eperanza Amaris Miranda de Bucaramanga. Ce dernier a eu lieu après que le Bloc central de Bolivar des AUC (Paramilitaires) a reproduit et loué vos accusations. La FIDH exprime son soutien et sa volonté d’accompagner les milliers de personnes aujourd’hui détenues dans votre pays, pour avoir émis une voix d’opposition que celle-ci soit syndicaliste, paysannes, sociales ou étudiante, et avoir ainsi, pour cette seule raison été assimilés à des groupes de guerrilla.

Malgrè le changement de siège du XXXVème Congrès de la FIDH, celle-ci considère que la Colombie demeure le pays "hôte" du Congrès. Ce dernier a du être déplacé pour des raisons de force majeure vers un autre pays d’Amérique Latine. Nous considérons que vous êtes le seul responsable de la décision de ne pas organiser notre Congrès en Colombie : en effet, vos accusations réitérées contre les ONG de droit de l’Homme, et les mesures prises par votre gouvernement, sont inconciliables avec la cause qui réunira, pour notre réunion triennale, des défenseurs de droits de l’Homme des cinq continents.

Enfin, nous vous manifestons notre intention de continuer à exprimer notre solidarité avec la société civile colombienne de manière concrète, par des initiatives et des actions que la FIDH adoptera dans les prochaines semaines.

Avec beaucoup de regret, je vous salue respectueusement,

Sidiki Kaba
Président de la FIDH

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