L’EVENTUEL RETOUR D’AUGUSTO PINOCHET AU CHILI : EN TOUTE IMPUNITE ?

Suite à l’arrestation à LONDRES le 16 octobre 1998 d’Augusto PINOCHET par les Autorités britanniques saisies d’une demande d’extradition présentée par le Juge espagnol GARZON, le Gouvernement chilien a réclamé la libération de l’ancien dictateur sur la base de différents arguments juridiques et a affirmé sa volonté de le voir déférer à son retour au CHILI devant la justice chilienne, consécutivement aux plaintes déposées à son encontre.

Suite à l’arrestation à LONDRES le 16 octobre 1998 d’Augusto PINOCHET par les Autorités britanniques saisies d’une demande d’extradition présentée par le Juge espagnol GARZON, le Gouvernement chilien a réclamé la libération de l’ancien dictateur sur la base de différents arguments juridiques et a affirmé sa volonté de le voir déférer à son retour au CHILI devant la justice chilienne, consécutivement aux plaintes déposées à son encontre.

C’est dans ces conditions que la Fédération Internationale des Ligues des droits de l’Homme (F.I.D.H.) conjointement avec son Organisation membre affiliée au CHILI, la Commission de Promotion de Défense des Droits des Peuples (C.O.D.E.P.U.) a décidé d’organiser une Mission Internationale d’enquête afin, d’évaluer la possibilité pour Augusto PINOCHET d’être jugé au CHILI, et d’examiner plus généralement l’état actuel d’instruction des plaintes visant également des Officiers de l’Armée chilienne. Cette Mission qui s’est rendue à SANTIAGO DU CHILI du 3 au 10 Mars 1999 était composée de :
· Claude KATZ Avocat au Barreau de PARIS et Secrétaire Général de la F.I.D.H.
· Antonio DONATE Juge espagnol et Membre de l’Association " Juges pour la Démocratie ".
· Juan Carlos CAPURRO Avocat au Barreau de BUENOS AIRES et Membre du " Comité d’Action Juridique ".

La Mission a rencontré les Représentants des Autorités gouvernementales (Relations extérieures, Justice, Intérieur), des Partis politiques (Parti Socialiste, Parti Communiste, Parti Humaniste, Démocratie Chrétienne) et des Organisations composant la Société Civile (Organisations de Juristes, d’Universitaires, de familles des détenus disparus et d’exécutés politiques). La Mission s’est également entretenue avec Monsieur Juan GUZMAN Juge chargé des procédures diligentées à l’encontre d’Augusto PINOCHET et d’Officiers militaires, et avec le Directeur de la Corporation Nationale de Réparation et de Réconciliation.

La Mission par les présentes conclusions préliminaires considère qu’actuellement les conditions tant au plan politique que judiciaire ne sont pas réunies permettant dans l’hypothèse d’un retour d’Augusto PINOCHET au CHILI d’envisager qu’il soit jugé par la justice chilienne. La Mission a identifié divers obstacles au déroulement d’une procédure judiciaire visant Augusto PINOCHET :

· Décret Loi du 19 avril 1978 amnistiant l’ensemble des faits commis durant la période du 11 Septembre 1973 au 10 Mars 1978, période durant laquelle les crimes les plus graves ont été commis par la dictature chilienne.

· Interprétation extensive des textes constitutionnels et législatifs conférant compétence à la juridiction militaire aux dépens de la juridiction civile.

· Immunité dont bénéficie le Général Augusto PINOCHET en sa qualité de Sénateur à vie désigné en vertu des dispositions de l’article 45 de la Constitution résultant du Décret Loi du 21 Octobre 1980.

Il n’existe actuellement aucun signal permettant à la Mission d’envisager que ces obstacles puissent être prochainement surmontés pour pouvoir juger Augusto PINOCHET. Plus généralement, la Mission souligne qu’à ce jour sur 3197 cas relevés par la Commission Vérité et Réconciliation, seuls 19 cas ont fait l’objet depuis 1990, date de la transition démocratique, de condamnations. Au surplus, ces condamnations visent principalement des militaires de rang inférieur.
Certes ces obstacles pourraient être formellement levés mais la constitution actuellement en vigueur élaborée en 1980 par Augusto PINOCHET confère au Sénat un rôle primordial compte tenu de son intervention au niveau de la nomination des Magistrats de la Cour Suprême et de son pouvoir de lever l’immunité d’Augusto PINOCHET. Or, la composition actuelle du Sénat comportant notamment 10 Sénateurs désignés fait obstacle à tout développement normal du processus judiciaire visant Augusto PINOCHET. On précisera qu’en ce qui concerne la composition de la Cour Suprême celle-ci est présidée par Roberto DAVILA DIAZ nommé comme d’autres membres de cet Organisme juridictionnel par Augusto PINOCHET, et comprend des membres désignés par le Président de la République après accord du Sénat.

En outre, les éléments recueillis par la Mission atteste de l’existence de pressions insistantes des Forces armées, opposées à voir juger Augusto PINOCHET, sur les Autorités gouvernementales pressions qui s’expriment notamment par le canal du Conseil de la Sécurité Nationale composé pour moitié des 4 Commandants en Chef des armées.

La Mission tient cependant à relever le travail important d’investigation accompli par le Juge Juan GUZMAN instruisant actuellement 18 plaintes portant sur plusieurs milliers de victimes, suite aux nombreux éléments recueillis par ce Magistrat constitutifs des délits invoqués à l’encontre d’Augusto PINOCHET et d’Officiers militaires. Le Juge Juan GUZMAN considère notamment que le délit de séquestration suivi de disparition constitue un délit permanent non susceptible d’être affecté par la Loi d’amnistie.

Enfin, la Mission Internationale d’Enquête, avant son arrivée au CHILI, a été saisie par le C.O.D.E.P.U. et diverses Associations d’ex-prisonniers politiques de faits graves relatifs aux conditions de détention de prisonniers revendiquant le statut de prisonniers politiques et qui se seraient produits plus particulièrement lors du transfert de 56 détenus de la Maison d’arrêt de Haute Sécurité (C.A.S.) à celle de COLLINA II le 6 février 1999.

La Mission a rencontré le Directeur National de la Gendarmerie et obtenu l’autorisation de visiter à la Maison d’Arrêt de COLLINA II un groupe représentatif de détenus avec lesquels elle s’est longuement entretenue. Ces détenus ont exposés à la Mission de façon précise des faits de torture et de mauvais traitements qui auraient été commis lors de leur transfert le 6 février 1999 :
· coups systématiquement portés par un détachement spécial et important de carabiniers,
· utilisation de piles provoquant des décharges électricité et brûlures de cigarettes portées sur les prisonniers,
· pratique, sur certains détenus, consistant à leur plonger et maintenir la tête dans une bassine d’eau.

Ces détenus ont exposé qu’ils ne comprenaient pas qu’on leur refuse le statut de prisonnier politique tout en les jugeant en vertu des dispositions de la Loi anti-terroriste de 1990 et qu’ils soient déférés pour certains d’entre eux pour les mêmes faits à la fois à la justice militaire et à la justice civile entraînant une double peine.

La Mission Internationale d’Enquête rédigera un rapport qui sera publié durant la première quinzaine du mois d’avril 1999 et entend effectuer des recommandations à l’intention des Autorités chiliennes.

Lire la suite