Le procès du massacre d’eldorado do carajas.Une farce annoncée

23/05/2002
Communiqué
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Le 16 mai 2002, s’est achevé à Belém la première partie du jugement des auteurs du massacre d’Eldorado dos Carajás, qui a eu lieu le 17 avril 1996, au cours duquel 19 paysans sans terre ont été assassinés par la Police Militaire de Parauapebas et Marabá, dans le sud-est de l’État du Pará.

S’il convient d’accueillir avec satisfaction la condamnation du Colonel Mario Colares Pantoja à 228 ans de prison pour avoir ordonné ce massacre, la FIDH, de concert avec Justice Globale et le Mouvement National des Droits de l’homme Brésilien MND, ses associations membres , exprime sa profonde consternation concernant l’acquittement des autres responsables du massacre, ainsi que les irrégularités ayant entachées ce procès. La pire impunité est celle qui se pare des habits de la justice, pour proclamer la liberté des bourreaux.

De plus, la FIDH ne peut qu’exprimer sa perplexité concernant la libération du Colonel Pantoja, en application de la loi "Fleury", qui prévoit la mise en liberté des condamnés interjetant appel lorsqu’ils ont fait preuve de " bonne conduite " et peuvent se prévaloir de " bons antécédents ".

Bien que l’on ne conteste pas le fait que le Colonel Pantoja bénéficie du droit d’interjeter appel, il est inadmissible qu’un condamné à 228 ans de prison pour le meurtre de 19 personnes jouisse de la plus totale liberté pour motifs de "bonne conduite".

Cette décision est d’autant plus préoccupante qu’il existe des précédents au Brésil de mise en liberté de coupables de graves massacres, comme ce fut le cas du Colonel Ubiratán, condamné à 600 ans de prison pour le meurtre de 111 personnes et qui demeure en liberté après son jugement survenu en juin 2001.

Par ailleurs, la condamnation du colonel Pantoja ne doit pas faire oublier que le capitaine Raimundo Amande Lameira et le Major Oliveira, dont les accusations sont identiques à celles des autres officiers, ont été acquittés lors de cette première partie du procès.

La FIDH accueille avec satisfaction la décision de la défense d’interjeter appel devant la Cour de justice de l’État (TJE).

Ce fait est d’autant plus préoccupant que le capitaine Lameira a été acquitté au seul motif d’avoir exécuté des ordres, un argument fallacieux et contraire au droit international dont on peu craindre qu’il bénéficie également aux 149 autres officiers accusés, dont le procès s’ouvrira prochainement.

Enfin, la FIDH tient à exprimer sa plus grande préoccupation au regard des graves irrégularités qui ont entaché l’instruction et le procès. En effet, le Mouvement des Paysans sans Terre du Brésil (MST), ainsi que d’autres mouvements de défense des droits de l’homme, comme les associations membres de la FIDH au Brésil, ont qualifié à de nombreuses occasions ce procès de farce et ont souligné à diverses reprises les importantes irrégularités de celui-ci au regard, en particulier du droit à un procès équitable. Selon l’avocat français Frei Henri Burín des Rosiers, de la Commission Pastorale de la Terre (CPT), organisation du sud de l’État de Pará, toute décision qu’adopterait ce tribunal, que ce soit une condamnation ou un acquittement, manquerait de crédibilité, au vu des irrégularités constatées.

Il en va de même du Mouvement de Travailleurs Sans Terre (MST) qui a renoncé à prendre part au procès compte tenu du nombre important d’irrégularités ayant entachées ce dernier. Pour n’en citer que quelques unes, il convient d’ indiquer le dessaisissement de la juge Eva JO Amaral Coelho, quelques jours avant le début du procès au profit de Robert Moura ; le sort réservé aux journalistes, expulsés de la salle lorsque ces derniers ont tenté d’envoyer des images du procès à leurs journaux respectifs.

Parmi les irrégularités de la procédure judiciaire, la FIDH est particulièrement préoccupée par la destruction de preuves et des négligences survenues non seulement lors de la phase initiale de cette enquête mais également durant son déroulement. Concrètement, les registres d’armes ont été détruits après le massacre, empêchant d’identifier le propriétaire de chaque arme. De même, aucun examen résiduographique de poudre n’a été effectuée. De la même manière, les uniformes des policiers militaires impliqués n’ont pas été analysés pour y identifier le sang des victimes, enfin l’absence de toute confrontation a empêché l’identification des policiers responsables par les témoins.

Dans ces conditions, la condamnation des auteurs des crimes paraît illusoire, sinon, ce qui ne serait pas acceptable non plus, sur la base des considérations politiques.

En conséquence la FIDH :

1. Demande aux autorités brésiliennes de procéder à une enquête indépendante sur les conditions de légalité du procès. Un procès équitable implique la prise en compte effective des victimes, et ces dernières ne sont dédommagées qu’à travers l’exercice crédible de la justice.

2. Appelle le gouvernement brésilien à réparer les dommages subis en particulier par les familles des victimes, de ce massacre. Le rejet de toute manœuvre politicienne et l’exercice d’une répression judiciaire conforme aux normes internationales, constituent la meilleure garantie afin que ces faits ne se reproduisent pas. Il incombe à l’Etat d’assurer la condamnation effective des coupables et l’indemnisation des familles des victimes.

3. Enfin, la FIDH soutien la demande formulée par ses partenaires brésiliennes afin que le gouvernement brésilien institue la fédéralisation du traitement des violations des droits de l’Homme.

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