Argentine : inquiétudes face à la détérioration croissante des droits humains

22/02/2016
Communiqué
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La FIDH et ses organisations membres en Argentine, le CAJ et la LADH, expriment leur inquiétude grandissante face à la détérioration de la situation des droits humains en Argentine liée à la proclamation de l’état d’urgence, à la criminalisation et à la répression de la contestation sociale, et à la fragilisation des politiques publiques de mémoire, vérité et justice pour les crimes du passé. Le 19 janvier 2016, le gouvernement argentin a décrété, pour un an prorogeable, l’état d’urgence dans tout le pays en vue de lutter contre la criminalité organisée et, plus particulièrement, contre le trafic de stupéfiants. Dans ce contexte, le gouvernement prend des décisions par décrets en l’absence de tout contrôle démocratique et en mettant en péril les droits fondamentaux de la population argentine.

« Gouverner par décret sous un régime d’état d’urgence rappelle de tristes souvenirs aux Argentins : les sombres années de la dictature pendant lesquelles, prétextant des “motifs de sécurité”, les décrets furent utilisés pour justifier des violations des droits fondamentaux qui ont fait des milliers de morts et de disparus »

ont déclaré les organisations.

Nos organisations dénoncent la procédure suivie par le président de la République pour désigner par décret deux juges de la Cour suprême de justice, au mépris des principes démocratiques constitutionnels tels que l’équilibre des pouvoirs et l’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire. En outre, elles dénoncent la réforme par décret de la loi sur les médias, qui permet désormais aux plus grands conglomérats de s’approprier un grand nombre de chaînes de télévision et de journaux, mettant ainsi potentiellement en péril la liberté et la pluralité de l’information.

Nos organisations condamnent également les déclarations publiques de hauts fonctionnaires visant à minorer les crimes du passé ou appelant à la remise en liberté de militaires et civils accusés d’avoir commis des crimes contre l’humanité pendant la dictature. Ces déclarations, qui ont été relayées par le journal La Nación en décembre dernier, remettent en cause bon nombre des victoires en matière de mémoire, vérité et justice obtenues grâce à la mobilisation démocratique de la société civile argentine.

« Á un mois du 40ème anniversaire du coup d’État en Argentine, il est primordial de préserver et de renforcer les progrès réalisés en matière de lutte contre l’impunité et de reconnaissance des violations graves des droits humains, et de consolider l’État de droit »

ont indiqué les organisations.

Par ailleurs, nos organisations dénoncent la criminalisation et la répression de la contestation sociale. Illustration de ce phénomène : la détention depuis le 15 janvier dernier de Mme Milagro Sala, leader sociale et députée du Mercosur, pour avoir convoqué des manifestations pacifiques dans la ville de San Salvador (province de Jujuy). Elle est accusée d’« incitation à commettre des délits et à causer des émeutes » ainsi que de « sédition ».

Citons également la répression par les forces de l’ordre de la grève des travailleurs de l’entreprise d’aviculture Cresta Roja, qui manifestaient contre le licenciement de 5 000 personnes. La gendarmerie a tiré sur les manifestants des balles en caoutchouc visant les parties sensibles du corps. Un autre sinistre exemple de la répression est celui des violences commises dans le quartier Villa 1114 (Buenos Aires) par des gendarmes qui ont tiré des balles en caoutchouc sur un groupe d’enfants âgés de 7 à 14 ans qui se préparaient pour un carnaval.

Ces faits démontrent la gravité de la décision récemment prise par le gouvernement de mettre en œuvre un « protocole d’intervention policière pendant les manifestations publiques », qui autorise les forces armées à utiliser des armes à feu contre les manifestants.

Nos organisations rappellent aux autorités argentines que le droit à la sécurité doit être garanti dans le respect absolu des libertés fondamentales, et notamment des droits de réunion, d’association et de liberté d’expression — et cela, sur l’ensemble du territoire, en vertu des traités internationaux des droits humains ratifiés par ce pays. En outre, nos organisations rappellent avec insistance que le devoir de mémoire et justice pour les crimes du passé représente la pierre angulaire d’un État de droit respectueux des droits humains.

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