Nos organisations déplorent le harcèlement, notamment la détention arbitraire, par les autorités à l’encontre des membres de la société civile zimbabwéenne qui dénoncent les abus de pouvoir dans la gestion de la crise sanitaire par le Zimbabwe.
L’affaire de M. Godfrey Kurauone, un défenseur des droits humains ainsi qu’un conseiller municipal du parti d’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique, pour la circonscription 4 à Masvingo (qui se situe au sud-ouest de Zimbabwe) et qui a mené de nombreuses initiatives communautaires ayant pour but d’accroître la participation citoyenne dans la gouvernance, est représentative de cette tendance inquiétante. Hier, le tribunal d’instance de Masvingo l’a déclaré non coupable « d’entrave à la circulation. » Cette accusation avait été portée contre lui avant les manifestations du 31 juillet. Avant le 10 septembre, jour de sa libération, M. Kurauone était détenu depuis le 31 juillet dans la prison de Masvingo, où, en dépit d’une dégradation de sa santé en détention provisoire, il était privé de soins médicaux appropriés.
D’après des sources sûres en contact avec nos organisations, M. Godfrey Kurauone a été arrêté le 31 juillet 2020, alors qu’il se trouvait au département de la sécurité du commissariat de Masvingo, sous des accusations de nuisance criminelle (comme définie dans la section 46 (2) (v) du droit pénal) pour avoir chanté une chanson engagée. Au moment de son arrestation, M. Kurauone se rendait au poste de police, une des conditions établies lors de sa liberté sous caution concernant une arrestation antérieure qui avait eu lieu le 15 juin pour non-respect des règles de confinement alors qu’il distribuait de la nourriture aux sans-abris de Masvingo. Le 3 août, M. Kurauone s’est présenté au tribunal d’instance de Masvingo, où sa demande de liberté sous caution a été refusée. Le 12 août, il s’est présenté à la cour suprême de Masvingo pour une audience sur la libération sous caution, qui a été reportée au lendemain : le juge a rejeté cette demande. La date du jugement était annoncée pour le 25 août, mais a été ensuite reportée au 1er septembre. Alors que les accusations de nuisance criminelles portées contre lui ont été abandonnées et que M. Kurauone a été finalement libéré après avoir été acquitté des charges d’entrave à la libre circulation le 10 septembre, il continue à faire face aux charges l’accusant de discréditer l’autorité du président à la suite de sa transgression des règles du confinement afin de distribuer de la nourriture à Masvingo.
Godfrey Kurauone fait face à de nombreuses accusations à caractère politique, ainsi qu’à une procédure judiciaire marquée par des retards injustifiés. Son affaire judiciaire est représentative du harcèlement dont sont victimes de nombreux membres de la société civile zimbabwéenne (journalistes, opposants politiques, défenseurs des droits humains, et avocats) depuis que le premier cas de Covid-19 a été recensé dans le pays le 20 mars, et plus particulièrement depuis que le président Emerson Mnangagwa a déclaré l’état d’urgence et décrété un confinement national. Alors que le confinement a été prolongé jusqu’à nouvel ordre, les cas de violations de droits humains ne cessent d’augmenter, ce qui laisse à penser que le gouvernement utilise le Covid-19 comme couverture afin de violer les libertés fondamentales et attaquer ceux qui sont perçus comme des opposants.
Dans un contexte marqué par un profond mécontentement à l’égard de la gestion de la crise sanitaire, il y a eu un pic de violations des droits fondamentaux et des libertés individuelles depuis la mise en place du confinement au Zimbabwe. Nos organisations ont documenté des cas d’enlèvement, d’arrestation arbitraire, et de violence policière contre des représentants de la société civile, notamment des opposants politiques, des journalistes, des défenseurs des droits humains et autres personnes dénonçant les actions du gouvernement. Les poursuites judiciaires sont utilisées comme outils de répression afin de réduire au silence tout dissident qui critique la manière dont le gouvernement fait face à la crise.
Entre le 30 mars et le 9 août, l’organisation ZimRights a documenté 820 cas de violations des droits humains, dont 511 arrestations arbitraires, 278 agressions par des agents de l’Etat, 20 attaques contre des journalistes, quatre enlèvements, deux agressions par arme à feu, un cas de morsure de chien ainsi que quatre allégations d’exécution extrajudiciaire. Les analyses menées par nos organisations concernant ces différents cas révèlent une tendance de violations des droits humains avec pour but d’épuiser mentalement, de réduire au silence, de punir, d’appauvrir, et parfois de blesser les individus visés, et de les exposer au risque d’infection au Covid-19 lors de leur détention arbitraire en prison.
Généralement, ce harcèlement commence par des propos haineux de la part des hauts responsables politiques ou des médias contrôlés par l’Etat, puis par des arrestations arbitraires par la police, dans un contexte marqué par le mécontentement et la dénonciation de la corruption, des pratiques qui existent en temps normal au Zimbabwe. L’intensification des actes de harcèlement peut inclure des détentions arbitraires, souvent sans possibilité d’avoir recours aux services d’un avocat, d’un docteur ou encore d’avertir un proche. Les audiences sont aussi souvent reportées par le juge, et les demandes de remise en liberté refusées à plusieurs reprises. Et si la personne est finalement libérée sous caution, elle peut tout de même être inculpée et faire l’objet de mesures restrictives de liberté (confiscation du passeport, contrôle à la police hebdomadaire, et restrictions des libertés fondamentales).
Nos organisations condamnent fermement le harcèlement commis par les autorités du Zimbabwe à l’encontre de plusieurs membres de la société civile zimbabwéenne : journalistes, militants et opposants politiques. Nous appelons les autorités du Zimbabwe à mettre un terme à tout acte de harcèlement et à s’abstenir de tout abus du pouvoir en matière d’état d’urgence, dans le but de limiter arbitrairement les libertés individuelles et les droits fondamentaux.
Contexte
Ces violations ont été commises dans un contexte marqué par des restrictions sévères pratiquées dans le cadre de la lutte contre la pandémie, mais aussi dans un contexte de crise économique et sociale.
La situation économique au Zimbabwe demeure difficile, avec des produits de première nécessité à des prix qui ne sont pas abordables pour de nombreux citoyens. L’inflation est à un niveau qui n’a jamais été atteint jusque-là, ce qui diminue le salaire de nombreux professionnels à un niveau inférieur au seuil de pauvreté. Par conséquent, les fonctionnaires, particulièrement ceux travaillant dans le domaine de la santé, se sont mis en grève, ce qui a malheureusement été ignoré par le gouvernement. Malgré l’aide financière apportée par des donneurs locaux et internationaux, la réponse et la préparation face au Covid-19 au Zimbabwe restent insuffisantes. Il y a eu des allégations de détournement de fonds destinés au Covid-19 dans le cadre d’un régime corrompu, dont les bénéficiaires désignés n’ont pu bénéficier. Les infirmières et autres professionnels de la santé travaillent dans des conditions difficiles, sans équipement de protection individuelle. En conséquence, nombreux sont ceux qui ont contracté le Covid-19, et doivent donc s’isoler.
L’arrestation de Godfrey Kurauone s’inscrit dans une vague d’arrestations des supposés meneurs de la manifestation du 31 juillet, organisée dans le but de protester contre les récents cas de corruption. Son nom apparaît sur une liste publiée par la police de la République du Zimbabwe, une liste qui inclue le nom de militants que la police souhaitait interroger concernant ces événements. Plus de 33 personnes en lien avec la manifestation du 31 juillet 2020 ont été arrêtées, y compris Job Sikhala, un député de l’opposition, le Mouvement pour le changement démocratique et avocat : son audience de mise en liberté sous caution a été reportée au 11 septembre.
L’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, un partenariat de la FIDH et de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), a déjà dénoncé plusieurs affaires de ce genre, telles que celles de M. Hopewell Chin’ono, journaliste d’investigation, et de M. Jacob Ngarivhume, un chef de l’opposition, ainsi que de leur avocate spécialisée dans les droits humains, Mme. Beatrice Mtetwa ; celles de trois membres du parti d’opposition au Zimbabwe, le Mouvement pour le changement démocratique, à savoir Mme. Cecilia Chimbiri, Mme. Netsai Marova, et Mme. Joana Mamombe, qui ont été victimes d’abus sexuels et de torture ; celle de Mme. Tsitsi Dangarembga, une figure du féminisme africain et une romancière récompensée ; ainsi que celle de M. Gamuchirai Mukura, le directeur exécutif de l’organisation non-gouvernementale oeuvrant pour la jeunesse, Community Tolerance Reconciliation and Developent (COTRAD).