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Défendre les LGBT au Cameroun est dangereux

Un rapport dénonce l’homophobie et la violence dont sont victimes les défenseurs des droits des lesbiennes, gays, bisexuels et transgenres dans un pays où la loi punit l’homosexualité d’une peine de six mois à cinq ans de prison.
Image via Flickr / InSapphoWeTrust

Un rapport de la FIDH (Fédération internationale des ligues des droits de l'Homme), rédigé à partir d'une enquête menée en 2014 et présenté ce mercredi 25 février à Douala, au sud-ouest du pays, recense les violences dont sont victimes non seulement les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles, transgenres et intersexuées (LGBTI), mais aussi ceux qui leur viennent en aide. Le rapport indique que ces violences augmentent en nature et en nombre de manière soutenue ces dernières années, avec notamment un cas de torture et d'assassinat d'un militant en 2013.

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Les types de violences constatées vont des maisons incendiées aux cambriolages, jusqu'aux violences entraînant la mort. Les menaces et intimidations par SMS ou via les réseaux sociaux sont monnaie courante.

Yves Yomb est le directeur d'Alternatives Cameroun, la plus vieille association de défense des LGBTI dans le pays, créée en 2006 à Douala. Joint par téléphone ce mardi par VICE News, il explique qu'il voit dans ce rapport de la FIDH comme une « matérialisation de preuves » des violences commises. « À chaque fois que l'on va rencontrer les autorités camerounaises, et qu'on leur parle des violations des droits des personnes LGBTI au Cameroun, on nous dit qu'on n'a pas de preuves, ce rapport en est une. » Le militant explique qu'il espère voir la condition de vie des homosexuels s'améliorer, mais aussi celle de ceux qui « ont donné un visage à cette lutte », les défenseurs des droits, également menacés.

Les membres d'Alternatives Cameroun offrent une aide juridique aux personnes condamnées en raison de leur orientation sexuelle, travaillent à la prévention du Sida, et soutiennent les personnes rejetées par leur entourage et leur famille à cause de leur orientation sexuelle.

Les locaux de l'association ont été incendiés en 2013. Les membres de l'association, estiment que l'origine de l'incendie était criminelle, ils ont porté plainte. Plainte qui est restée lettre morte. Le local a rouvert.

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Les membres de l'association ont beaucoup travaillé à « banaliser » leurs locaux, en « ouvrant les portes de l'association », explique à VICE News Maître Catherine Daoud, avocate au barreau de Paris et auteure du rapport. Ils ont ouvert un « troquet, où tout le monde peut venir boire un verre, les jeunes du coin s'y rendent. » Cette ouverture permet de ne pas avoir l'air « de gens bizarres qui feraient des choses louches entre eux, » conclut l'avocate.

Yves Yomb, explique à VICE News qu'au départ, le centre était vu seulement comme « un centre de pédés», et qu'en s'ouvrant à d'autres personnes, et en offrant un dépistage du VIH — pour Catherine Daoud la lutte contre le sida est entravée au Cameroun par l'homophobie — les personnes LGBTI se sentent plus à l'aise à l'idée de se rendre dans le centre.

Stigmatisation de l'homosexualité au Cameroun

Le Cameroun est l'un des 38 pays du continent africain dont la loi pénalise l'homosexualité. L'article 347 bis du Code pénal punit « toute personne qui a des rapports sexuels avec une personne de son sexe » d'une amende et d'une peine de prison pouvant aller de 6 mois à 5 ans.

Depuis 2011, au moins 28 personnes ont été condamnées pour homosexualité, relève la FIDH. Le rapport (lisible en fin d'article) pointe aussi le fait que dans ce pays du golfe de Guinée, plusieurs cercles de la société civile sont les vecteurs d'une certaine homophobie. Dans le viseur, les instances religieuses, catholiques et musulmanes. « L'homosexualité constitue une tare », a déclaré le porte-parole de l'évêché de Yaoundé aux chargés de mission de la FIDH. Les médias ne sont pas en reste, certains ont publié en février 2006 un « Top 50 des personnalités homosexuelles ».

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Des personnalités proches du président Paul Biya figuraient dans cette liste. Il avait alors déclaré que la vie privée devait être respectée, mais pour autant n'a pas fait supprimer l'article de loi pénalisant l'homosexualité, regrette Maître Catherine Daoud.

« Peut-être que le pouvoir a l'impression que ce ne serait pas bien vu par la société, de supprimer cet élément du Code pénal, » explique l'avocate à VICE News. « C'est au gouvernement camerounais de montrer ce qui est juste, ce que c'est que le respect de la justice. Le fait de ne pas réagir entretient un climat qui peut laisser penser aux homophobes qu'ils sont dans leur bon droit. »

Le rapport cite une déclaration du porte-parole du gouvernement camerounais le 29 août 2013, qui a déclaré dans un point presse à propos de la dépénalisation, que la quasi-totalité des Camerounais sont contre « l'homosexualité parce qu'ils appartiennent à des croyances qui vont à l'encontre de l'homosexualité, » et que par conséquent « Le président de la République a donc le devoir de respecter la volonté de son peuple et surtout de faire appliquer la loi dans ses dispositions actuelles. »

Une position répétée le 23 janvier 2014, date à laquelle le porte-parole explique à nouveau que la population camerounaise rejetant l'homosexualité dans sa grande majorité, le président ne cèderait pas sur une modification de la loi.

Sollicité par VICE News pour réagir à la publication de ce rapport, le gouvernement camerounais n'était pas en mesure de nous répondre dans les délais de parution de cet article.

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L'assassinat d'Eric Ohena Lembembele 15 juillet 2013, journaliste engagé dans la défense des droits des personnes LGBTI et directeur exécutif de la Cameroonian Foundation for AIDS (CAMFAIDS), est emblématique des violences commises à l'encontre des homosexuels dans le pays, et a connu un retentissement international. Le journaliste a été retrouvé mort dans son domicile de Yaoundé (la capitale du pays), portant des traces de torture. Ce meurtre n'a toujours pas été élucidé, dénonce le rapport de la FIDH.

« L'enquête bâclée et les irrégularités de procédure dans l'affaire de l'assassinat d'Eric Ohena Lembembe sont révélatrices de l'impunité garantie aux auteurs des violences commises contre les personnes LGBTI et les défenseurs de leurs droits, » précise le rapport.

Les auteurs de ce rapport ont entre autres rencontré Victor Ndoki, le porte-parole du Délégué général à la Sûreté nationale, qui affirme que « La police a fait tout ce qu'il y avait à faire dans cette affaire. C'est pourquoi nous avons été très surpris par les réactions internationales. »

Pour, Catherine Daoud, le cas d'Eric Ohena Lembembe témoigne de la difficulté rencontrée par les défenseurs des droits LGBTI, qui sont souvent stigmatisés, non seulement parce qu'ils sont homosexuels, mais aussi en leur qualité de défenseurs des droits. « Ils prennent beaucoup de risques. »

Suivez Mélodie Bouchaud sur Twitter : @meloboucho

Image via Flickr / InSapphoWeTrust

Cameroun : Les défenseurs des droits des personnes LGBTI confrontés à l'homophobie et la violence