Tchad : vague de répression sur fond de tensions militaires

09/05/2013
Communiqué
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La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et ses organisations membres au Tchad, la Ligue tchadienne des droits de l’Homme (LTDH) et l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’Homme (APTDH) s’inquiètent de la vague d’arrestations, d’intimidation et de harcèlement qui visent l’opposition politique, les journalistes et la société civile tchadienne après l’échec de ce que les autorités ont présenté comme une tentative de coup d’État. Nos organisations appellent les autorités à mettre un terme à cette répression et à libérer les personnes détenues alors que le pays semble se préparer à des tensions militaires sur plusieurs de ses frontières.

Le 1er mai 2013, les autorités tchadiennes ont annoncé avoir déjoué « une conspiration » dont les instigateurs auraient été arrêtés à la caserne de Gassi, une division de blindés de la garde présidentielle à la sortie sud de Ndjamena, et à proximité de l’église évangélique 22 dans le 7e arrondissement de Ndjamena. Selon les informations disponibles, ces arrestations auraient donné lieu à des combats entre soldats de la garde présidentielle, des militaires et des civils, qui auraient causé entre 3 et 8 morts selon les versions ainsi qu’une quinzaine de blessés. Une vingtaine de personnes auraient été arrêtées au cours de ces interventions et dans les jours qui ont suivi, notamment l’ancien rebelle, Moussa Tao Mahamat. Le nombre exact de personnes arrêtées le 1er mai n’a, à ce jour, pas été rendu public.

Le soir du 1er mai, le député d’opposition Saleh Makki de la Coordination des partis politiques pour la défense de la Constitution (CPDC) était arrêté chez lui. En l’espace de quelques jours, ce sont deux députés, deux généraux et un colonel qui ont été arrêtés : il s’agit du général Weiding Assi Assoue, ancien ministre de la défense et ex-chef d’État major, du général David Beadmadji Gomine, directeur de la justice militaire, qui a depuis été libéré pour raison de santé mais demeure inculpé et du colonel Ahidjo, actuel Gouverneur du Salama ; ainsi que de Mahamat Malloum Kadre, député du Mouvement patriotique du salut (MPS, le parti du président Déby) et le député Saleh Makki.

Edito du Monde le 11 mai 2013 : "Inquiétudes après une vague d’arrestations à N’Djaména" // Editorial in Le Monde, 11 May 2013 : "Serious concern after a wave of arrests in N’Djaména" (in French)

Le 7 mai 2013 au matin, le directeur de la police judiciaire et trois commissaires sont passés chez deux députés de l’opposition, Saleh Kebzabo, président de l’Union nationale pour le développement et le renouveau (UNDR) et chef de file de la CPDC et Gali Gata Ngoté, lui aussi député et membre de la CPDC. Ces derniers étaient absents. On apprenait ce pendant qu’au même moment, le ministère de la Justice déposait une lettre au Parlement permettant d’activer la procédure pour que soient entendus par la police judiciaire quatre députés, Saleh Kebzabo, Gali Gata Ngoté, mais aussi Ngarjely Yorongar, le président du parti FAR, et l’ancien ministre Routouang Yoma Golom. Selon des sources proches du gouvernement citées par RFI il s’agirait de vérifier les propos tenus par ceux qui sont soupçonnés d’avoir fomenté la tentative de déstabilisation, notamment Moussa Tao Mahamat, qui semble donc impliquer les quatre députés.

« Les autorités tchadiennes doivent respecter les procédures en vigueur même dans des circonstances exceptionnelles. Le respect de tous les droits de la défense est fondamental particulièrement dans le cadre d’accusations aussi graves » a déclaré Me Jacqueline Moudeïna, présidente de l’ATPDH.

A l’issu des auditions, les députés Gali Gata Ngoté et Routouang Yoma Golom ont été inculpés de « complot et d’atteinte à l’ordre constitutionnel » et incarcérés. Le député Ngarjely Yorongar a quant à lui été libér et reste à la disposition de la justice en tant que témoin. Saleh Kebzabo est toujours en dehors du pays. Selon d’autres sources, ces interpellations auraient été préalablement autorisées par le président de l’Assemblé nationale, confirmée par une lettre en date du 7 mai 2013. Pour qu’un député puisse être entendu ou inculpé par la justice, l’Assemblée nationale doit en effet préalablement lever son immunité parlementaire ou en autoriser l’audition. Or, pour les deux premiers députés arrêtées, une telle levée d’immunité n’a pas été ordonnée comme le souligne la lettre du président de l’Assemblé nationale en date du 7 mai 2013, confirmant le caractère arbitraire de leur arrestation et de leur détention.

« Même si nous condamnons tous les coups d’État ou les tentatives, l’histoire récente du Tchad nous a montré que celles-ci, avérées ou non, servaient le plus souvent à des purges ou des règlements de compte » a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « C’est dans des circonstances similaires qu’à été arrêtés et a depuis lors disparu l’opposant et député Ibni Oumar Mahamat Saleh en février 2008. Nous attendons toujours des réponses sur son cas comme sur les assassinats, les disparitions et les arrestations qui se sont multipliées ces dernières semaines au Tchad » a-t-elle ajoutée.

En effet, le journaliste Eric Topona, secrétaire général de l’Union des journalistes tchadiens, a été convoqué, inculpé et incarcéré le 6 mai dernier à la maison d’arrêt d’Amsinene, dans la banlieue de Ndjamena. Il est poursuivi pour « atteinte à l’ordre constitutionnel » dans le cadre de l’affaire Jean Laokolé, un jeune blogueur accusé de diffamation et lui aussi en prison. Le lendemain, le 7 mai 2013, le directeur de publication du journal indépendant Abba Garde, Avenir Moussey De la Tchire, a été arrêté par la police judiciaire, pour la diffusion d’articles appelant à « la haine et au soulèvement populaire », selon la police. Il a été présenté le 9 mai à un juge, inculpé et placé sous mandat de dépôt. Le cas du journaliste Jean-Claude Nekim, directeur de publication de célèbre N’Djaména bi-hebdo est toujours pendant. Puisque après de multiples poursuites judiciaires en raison des prises de position de son journal, Jean-Claude Nekim est toujours poursuivi dans plusieurs procédures dont une plainte émanant du propre frère du président de la République, Daoussa Deby. Il a reçu deux convocations auxquelles il doit se rendre prochainement. Enfin, la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme (LSDH), Amnesty International Sénégal et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (RADDHO) se sont insurgées de l’expulsion, dans la nuit du 07 au 08 mai vers la Guinée Conakry, du journaliste et bloggeur tchadien, Makaïla Nguebla qui vivait au Sénégal depuis 2005. Les organisations sénégalaises de défense des droits de l’Homme note que cette « expulsion subite liée à ses activités de journaliste et de bloggeur (...) survient au lendemain de la visite du Ministre tchadien de la justice, Monsieur Jean-Bernard PADARÉ au Sénégal ».

« La multiplication des atteintes à la liberté de la presse sont inacceptables et inquiétantes pour le présent et l’avenir du Tchad. On essaye de faire taire la presse ou toute voix indépendante. C’est inquiétant » a déclaré Valentin Baldal, coordinateur national de la LTDH.

Le 8 mai 2013, la justice a de nouveau reporté au 14 mai prochain, le procès en appel des trois membres de l’Union des Syndicats du Tchad (UST), MM. François Djondang, Michel Barka et Younous Mahadjir, respectivement secrétaire général, président et vice-président de l’UST, condamnés en première instance pour « incitation à la haine ethnique ». Le 18 septembre 2012, la Chambre correctionnelle de citation directe du Tribunal de première instance de N’Djamena les avait condamné à 18 mois de prison avec sursis et une amende de 1,5 millions de francs CFA (environ 2 290 euros) pour « incitation à la haine ethnique » à la suite d’une pétition de l’UST datée du 1er septembre 2012 qui protestait notamment contre « la cherté de la vie » et « la paupérisation de la population », imputées à la mauvaise gestion et la corruption des autorités (voir http://www.fidh.org/Tchad-Condamnation-de-trois-12194).

« Nous avions à l’époque condamné tant les conditions que le verdict de ce procès qui n’a rempli en aucune manière les conditions d’un procès équitable. Aujourd’hui comme hier, nous demandons la relaxe des dirigeants de l’UST » a déclaré Souahyr Belassen, présidente de la FIDH.

Ces faits interviennent dans un contexte tendu au Tchad comme dans la sous-région. Des barrières de contrôle ont refait leur apparition sur les grands axes routiers au Tchad et des mouvements militaires importants notamment d’armes lourdes ont été signalés allant en direction du Sud vers la frontière centrafricaine où de nombreux militaires tchadiens sont engagés aux côtés de la Seleka, qui a pris le pouvoir en Centrafrique, début 2013. Par ailleurs, des concentrations de groupes rebelles ont été signalés au Soudan, à proximité de la frontière tchadienne, moins de deux mois après que les rebelles de l’Union des forces de la résistance (UFR), qui avaient déposé les armes en 2009, aient annoncé depuis le Qatar, fin mars, vouloir reprendre les hostilités contre le pouvoir. Le président Deby a aussi affirmé, le 4 mai 2013 sur les ondes de Radio France internationale, que des rebelles tchadiens étaient « en train de se regrouper » dans un camp de la région de Benghazi (est de la Libye) désignant de la sorte une nouvelle menace pour la sécurité du pays à sa frontière nord.

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