Lettre ouverte à M. Idriss Déby, Président de la République tchadienne

13/03/2003
Communiqué

Monsieur le Président,

La FIDH et l’OMCT, dans le cadre de leur programme de l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme, et l’ACAT-Suisse expriment leur plus vive préoccupation à propos de la disparition de M. Luc Maokarem Beoudou, frère du Président de l’ACAT-Tchad, après son arrestation le 21 janvier 2003 dans le sud du pays.

M. Luc Maokarem Beoudou a été accusé d’avoir écrit, dans le journal tchadien Le Temps, un article à la fin du mois de novembre 2000 accusant un militaire travaillant pour le régime actuel du vol et de l’assassinat d’un commerçant. L’enquête et la rédaction de l’article en question ont en fait été effectuées par le Président de l’ACAT-Tchad, M. Marc Mbaiguedem Beoudou, au nom de l’association, et il semble que la ressemblance entre les deux frères ait été à l’origine de l’arrestation. En effet, à la suite de la publication de l’article en 2000, M. Marc Mbaiguedem Beoudou a été recherché par les autorités et a été obligé de fuir le Tchad. Il semblerait que les autorités tchadiennes aient délivré un mandat d’exécution à son égard, notamment au motif de ses activités. Selon le président de l’Association Tchadienne pour la Non-Violence qui s’est rendu sur les lieux le 7 mars 2003, le commissariat ne serait pas au courant de cette arrestation, et le personnel de la prison lui aurait déclaré que M. Luc Maokarem Beoudou aurait été libéré la semaine de 17 février 2003. Pourtant, aucun de ses proches n’a eu de ses nouvelles depuis et il n’est pas rentré chez lui.

L’Observatoire et l’ACAT-Suisse estiment que M. Luc Maokarem Beoudou a été arrêté et détenu arbitrairement en violation des instruments internationaux et régionaux de protection des droits de l’homme garantissant la liberté d’expression et de la Constitution tchadienne. Cette arrestation s’inscrit dans un contexte de recrudescence des représailles menées contre les journalistes et les acteurs de la société civile qui osent dénoncer les abus du régime (cf communiqué de presse de la FIDH du 7 février 2003), traduisant une fois de plus la volonté des autorités de neutraliser toute forme de contestation à l’encontre du pouvoir.

En l’absence de nouvelles de M. Luc Maokarem Beoudou, nos organisations considèrent qu’il a été victime de disparition forcée. Selon les termes de la Déclaration sur la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, adoptée par l’Assemblée générale des Nations Unies le 18 décembre 1992, des disparitions forcées ont lieu lorsque " des personnes sont arrêtées, détenues ou enlevées contre leur volonté ou privées de toute autre manière de leur liberté par des agents du gouvernement, de quelque service ou à quelque niveau que ce soit, par des groupes organisés ou par des particuliers, qui agissent au nom du gouvernement ou avec son appui direct ou indirect, son autorisation ou son assentiment, et qui refusent ensuite de révéler le sort réservé à ces personnes ou l’endroit où elles se trouvent, ou d’admettre qu’elles sont privées de liberté, les soustrayant ainsi à la protection de la loi ".

L’Observatoire et l’ACAT-Suisse appellent les autorités tchadiennes à :

 Mener une enquête complète et impartiale sur la disparition de M. Luc Maokarem Beoudou et informer ses proches, au plus vite, de l’endroit où il se trouve ;
 Procéder à sa libération immédiate au cas où il soit toujours détenu ;
 Mettre un terme à toute forme de représailles à l’encontre du Président de l’ACAT-Tchad et de tous les défenseurs tchadiens des droits de l’Homme ;
 Garantir le respect de la liberté d’expression et d’opinion, conformément à l’article 27 de la constitution tchadienne ;
 Se conformer aux dispositions de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme adoptée par l’Assemblée Générale des Nations Unies le 9 décembre 1998, notamment l’article 1 disposant que " chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international ", et l’article 6b qui dispose que " chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres […] conformément aux instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme et autres instruments internationaux applicables, de publier, communiquer à autrui ou diffuser librement des idées, informations et connaissances sur tous les droits de l’Homme et toutes les libertés fondamentales " ;
 Plus généralement, se conformer aux dispositions de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et aux instruments internationaux ratifiés par le Tchad.

En espérant que vous prendrez en compte la présente requête, nous vous prions, M. le Président, de bien vouloir croire en l’expression de notre haute considération.

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