Tchad-Cameroun : Pour qui le pétrole coulera-t-il ?

Qu’est-ce que ces Grandes Compagnies, en échange, ont fait pour le pays ? Rien. Les concessions furent accordées dans l’espoir que les Compagnies "feraient valoir" le pays. Elles l’ont exploité, ce qui n’est pas la même chose ; saigné, pressuré comme une orange dont on va bientôt rejeter la peau vide.
André Gide, Voyage au Congo (1927), Folio-Gallimard, p. 92.

Le conseil d’administration de la Banque mondiale s’est prononcé le 6 juin dernier en faveur du financement du projet d’exploitation et d’exportation du pétrole tchadien, via un pipeline traversant le Cameroun. Cette décision d’investissement est justifiée par le fait que l’exploitation des gisements découverts, il y a une trentaine d’années, dans la région de Doba, au sud du Tchad, généreront des revenus considérables, permettant de doter ce pays de moyens supplémentaires destinés à lutter contre la pauvreté qui frappe plus des trois quarts de sa population.

Cette décision vient au terme de près de quatre années de débats, alimentés par la mobilisation massive d’ONG de développement, et d’organisations de défense des droits de l’Homme, au Tchad, au Cameroun, aux Etats-Unis et en Europe. Cette mobilisation a permis d’améliorer de nombreux aspects de ce dossier, en particulier les conditions de l’indemnisation des populations touchées et la protection de l’environnement.

Dans l’histoire pétrolière, marquée en Birmanie, au Soudan, au Congo, au Nigeria, au Vénézuela et ailleurs par des violations massives des droits de l’Homme, des retombées économiques négligeables pour les populations malgré l’afflux de devises, un accroissement des inégalités ou la confiscation de la rente par des élites corrompues, ce projet revêt un caractère exceptionnel. Pour la première fois en effet, des dispositions ont été prises pour que les recettes pétrolières servent le développement économique et social et la lutte contre la pauvreté. Une loi adoptée par le Parlement tchadien définit des principes clairs pour l’allocation des ressources à cette fin. Par ailleurs, la Banque mondiale gardera un contrôle strict sur la gestion de ces dernières, dans un contexte où la corruption et le brigandage d’Etat ne permettent de faire aucun crédit au gouvernement actuel.

Ce projet méritait-il alors d’être attaqué comme il l’a été par la communauté internationale des ONG, quand des violations bien plus graves des droits politiques, économiques, sociaux et environnementaux liées à l’exploitation du pétrole s’observent ailleurs ? N’exprime t-’il pas une volonté de démontrer par les faits que l’exploitation du pétrole n’est pas nécessairement synonyme de désolation pour les populations, dès lors que des précautions et qu’un certain nombre de conditionnalités sont définies en amont ? Beaucoup a été fait pour que ce projet soit socialement et écologiquement responsable, et certaines ONG et observateurs, dans le feu de la critique, ont parfois cédé à l’exagération. Fallait-il alors consacrer un rapport (de plus) à ce sujet ?

Oui. Car ce projet s’inscrit dans une logique nouvelle : celle de l’habillage écologique et social du comportement des firmes multinationales. Moyennant quelques conditions, leurs investissements pourraient servir les intérêts des exclus du développement. Ce rapport, qui rappelle que ces firmes restent, in fine, les principales bénéficiaires d’un projet qui verra le jour grâce à l’intervention d’une agence internationale « au service de la lutte contre la pauvreté », critique cette assertion. Il montre aussi, à travers l’étude du plan de compensation des populations touchées, que sans la mobilisation des ONG, la Banque mondiale a bien du mal à respecter ses propres directives et objectifs. Il rappelle enfin qu’en l’absence de démocratie dans les pays concernés, les louables intentions de la Banque ne sont aujourd’hui que des vœux pieux.

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