Tchad : « 4 ans après les évènements de février 2008 : l’impunité plombe les espoirs de réformes »

02/04/2012
Rapport

La FIDH et ses organisations membres au Tchad, la LTDH et l’ATPDH publient un rapport de situation, quatre ans après la tentative de prise de pouvoir par les rebelles armés et la répression gouvernementale qui s’en est suivie, dont la disparition forcée de l’opposant politique, Ibni Oumar Mahamat Saleh. Nos organisations estiment que peu d’avancées concrètes ont été réalisée par les autorités tchadiennes pour mettre en œuvre les recommandations de la Commission nationale d’enquête qui avait conclu à la responsabilité des autorités dans les nombreuses violations des droits de l’Homme perpétrées à la suite de l’attaque rebelle. Alors que la Haut-Commissaire adjoint des Nations Unies aux droits de l’homme, Madame Kyung-Wha Kang, est en visite au Tchad, nos organisations appellent le gouvernement à faire plus et mieux, notamment pour faire juger les auteurs de violations des droits de l’Homme, pour réformer la justice et le secteur de la sécurité, et élucider le sort d’Ibni Oumar Mahamat Saleh.

En février 2008, le pouvoir du président Idriss Deby Itno était menacé par la plus importante offensive des mouvements armés rebelles depuis son accession au pouvoir en 1990 : venu du Soudan voisin, les rebelles avaient assiégés Ndjamena et le palais présidentiel. Au prix d’une contre-offensive meurtrière, le régime tchadien, soutenue logistiquement par la Libye et la France, repoussait les rebelles et entamait une vaste opération de représailles contre tous ceux qui, selon les autorités, auraient soutenus les rebelles : les populations ethniquement proches des rebelles ont été ciblées, les leaders de l’opposition politique ont été raflés et détenus au secret, les prisonniers de guerre ont disparus. Les violations des droits de l’Homme perpétrées par les forces gouvernementales et leurs affidés du Mouvement pour la Justice et l’Égalité (JEM), y compris des viols de femmes, ont été pointées du doigt par la Commission nationale d’enquête mise sur pieds à la suite des pressions internationales pour faire la lumière sur les « événements de février 2008 » et notamment la disparition forcée du principal opposant au régime, Ibni Oumar Mahamat Saleh, et des 136 prisonniers de guerre encore à ce jour portés disparus.

Quatre ans après les faits, la FIDH, la LTDH et l’ATPDH font le point sur la mise en œuvre des 13 recommandations formulées pour éviter que l’État tchadien ne se rende responsable de nouvelles violations graves des droits de l’Homme. Jugement des responsables gouvernementaux, indemnisations des victimes, suppression des prisons secrètes et contrôle des lieux de détention officiels, réforme de la justice et du secteur de la sécurité, ouverture du jeu démocratique et gouvernance, etc : où en sont les actions et les réformes du gouvernement pour éviter un nouveau « février 2008 » ?

« Le bilan est plus que mitigé » a déclaré Souhayr Belhassen, présidente de la FIDH. « Personne n’a voulu dire ce qu’était devenu Ibni Oumar Mahamat Saleh, aucun responsable gouvernemental ou de l’armée n’ont été inquiétés et les réformes institutionnelles n’avancent pas réellement comme elles le devraient. Le Tchad a bien adopté quelques instruments internationaux de protection des droits de l’Homme dont il faut se féliciter et quelques projet de réformes ; il joue un rôle, jusqu’à présent positif pour le jugement d’Hissène Habré ; mais le verre demeure plus vide que plein » a-t-elle regretté.

Le rapport « 4 ans après : l’impunité plombe les réformes » revient sur la mise en place difficile d’une commission nationale d’enquête indépendante, l’action gouvernementales pour la mise en œuvre des 13 recommandations de la Commission, et la stagnation de la lutte contre l’impunité des auteurs des violations de février 2008 tout comme des ex-agents de la police secrète sous le régime d’Hissène Habré, la DDS.

« Nous souhaitons qu’Hissène Habré soit jugé, mais que son régime le soit aussi à travers les ex-agents de la DDS qui sont aussi responsables des 40 000 victimes et qui se promènent encore librement dans nos rues, au Tchad. L’instruction ouverte contre les ex-agents de la DDS depuis plus 11 ans n’avance pas » a déclaré Me Jacqueline Moudeïna, présidente de l’ATPDH et avocate des victimes d’Hissène Habré. « S’ils ne sont pas jugés, notre société restera hantée par ses bourreaux et bloquée par l’impunité » a-t-elle ajoutée.

En une trentaine de recommandations, la FIDH, la LTDH et l’ATPDH tracent une nouvelle feuille de route pour les autorités tchadiennes et ses partenaires internationaux pour mettre fin à l’impunité au Tchad, indemniser et réhabiliter les victimes, et réaliser enfin les réformes prioritaires pour permettre l’établissement d’un État de droit et d’une réelle gouvernance démocratique au Tchad.

« Cette feuille de route pour la justice, la sécurité et les droits de l’Homme constitue la contribution des organisations de défense des droits de l’Homme au processus démocratique au Tchad. Sans réelle volonté politique d’aller de l’avant, un retour des conflits et des rébellions n’est pas à exclure. En appliquant ces recommandations, le pourvoir peut l’éviter » a déclaré Massalbaye Tenebaye, président de la LTDH.

Lire le rapport : « 4 ans après : l’impunité plombe les réformes »

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