Lettre ouverte à M. Benjamin William Mkapa

31/01/2001
Communiqué
en fr

Président de la République Unie de Tanzanie
A M. Aman Karume
Président du Gouvernement Révolutionnaire du Zanzibar
A M. Omar Mahita
Inspecteur Général de la Police de Tanzanie

Monsieur le Président Benjamin William Mkapa,
Monsieur le Président Aman Karume,
Monsieur l’Inspecteur Général Omar Mahita,

La Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme (FIDH) vient d’être informée par le Legal and Human Rights Centre, organisation membre de la FIDH et basée à Dar Es Salaam, des graves violations des droits de l’Homme qui ont été commises au Zanzibar, à Pemba et à Dar Es Salaam les 26 et 27 janvier derniers.

Selon les informations reçues, le parti d’opposition Civic United Front (CUF) à Zanzibar avait prévu des manifestations pacifiques dans l’ensemble du pays afin de demander un nouveau scrutin au Zanzibar, le premier s’étant déroulé dans des conditions frauduleuses, la rédaction d’une nouvelle Constitution plus démocratique, et la restructuration de la commission électorale afin d’améliorer l’indépendance de ses membres. Alors que les articles 18 et 20 de la Constitution de la République Unie de Tanzanie reconnaissent spécifiquement la liberté d’expression et de libre réunion et/ou de manifestation, les autorités gouvernementales, représentées par le Premier Ministre et le vice-Président ainsi que la police ont immédiatement condamné ces manifestations et ont averti les organisateurs que des mesures rigoureuses seraient prises à l’encontre de toute personne qui y prendrait part. En réponse à ces menaces, les militants du CUF ont déclaré que l’ordre donné par la police allait à l’encontre de leurs droits constitutionnels et que rien ne justifiait l’interdiction de ces manifestations. Différents appels provenant d’avocats, des médias, et de personnalités du Chama Cha Mapinduzi (CCM - parti au pouvoir) ont condamné la réaction des autorités.

Le 26 janvier, la veille des manifestations, certains fidèles s’étaient rassemblés devant la Mosquée à Zanzibar, discutant de la situation politique. Un groupe d’officiers de la police armée qui se tenait à quelques mètres leur ont demandé de se disperser. Alors qu’ils en demandaient la raison, la police les a agressés et a tiré sur deux personnes qui ont trouvé la mort.

Cet événement a marqué le début d’une vague d’assassinats sans précédent. Le 27 janvier à Zanzibar et dans les îles Pemba, quelques militants du CUF ont manifesté, défiant ainsi l’interdiction de la police. Prétextant d’empêcher la manifestation, la police a tué 13 personnes et a perdu 2 de ses membres tués par les manifestants en colère.

La police a aussi utilisé des gaz lacrymogènes contre les manifestants non armés à Dar El Salaam et dans les régions de Mwanza et Kagera. Elle a bloqué les routes et empêché les blessés d’être transférés dans les hôpitaux. Cela a bien entendu contribué à augmenter le nombre de décès.

Plus de 200 personnes, pour la plupart à Dar El Salaam, seraient toujours détenues pour avoir participé à des manifestations illégales. Certaines de ces arrestations arbitraires concernent des sympathisants du CUF et notamment le président national, le Professeur Ibrahim Lipumba qui a été accusé de tenir des réunions illégales. Il semble cependant que M. Lipumba ait été relâché sous caution le 30 janvier. Avant d’avoir été accusés, les détenus auraient été battus sévèrement et grièvement blessés. De plus, les médias ont fait état de cas de tortures.

Le 29 janvier, le nombre de décès s’élevait à 37 personnes (dont 24 personnes à Pemba). Toutes ont été tuées par la police sous le commandement du plus haut responsable de la région. Cependant, selon des informations qui doivent être confirmées, la FIDH a appris hier que plus de 300 personnes auraient trouvé la mort sous le feu de la police alors qu’ils tentaient de s’enfuir par la mer au Kenya.

La FIDH et le Legal and Human Rights Centre condamnent rigoureusement l’usage excessif de la force et les assassinats en masse. Nous appelons de façon urgente les autorités de la République Unie de Tanzanie et du Gouvernement Révolutionnaire du Zanzibar à :

 Remettre en liberté tous les détenus et mettre un terme à la torture.
 Mettre en place une commission d’enquête indépendante qui établira les faits publiquement s’agissant des assassinats, arrestations, tortures et l’usage excessif de la force ; et qui travaillera sur les moyens de fournir une réparation aux victimes.
 Prendre des mesures légales contre les auteurs de ces violations des droits de l’Homme en particulier les officiers de police.
 Respecter la liberté d’opinion et de libre réunion telles qu’elles sont reconnues par les articles 18 et 20 de la Constitution de la République Unie de Tanzanie.
 Mettre en application les textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme que la Tanzanie a accepté et ratifié ; en particulier l’article 20 de la Déclaration Universelle des droits de l’Homme de 1948, l’article 21 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques de 1966 et l’article 11 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples.

La FIDH est persuadée que seule la mise en œuvre de ces mesures garantira le rétablissement de la paix et le retour au calme durables au Zanzibar, à Pemba et en Tanzanie.

Dans l’espoir de voir cette requête retenir toute votre attention, je vous prie d’agréer, Monsieur le Président Benjamin William Mkapa, Monsieur le Président Aman Karume, Monsieur l’Inspecteur Général Omar Mahita, l’expression de ma haute très considération.

Sidiki Kaba
Président
Fédération Internationale des ligues des Droits de l’Homme.

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