Lettre ouverte à M. Benjamin William Mkapa

Président de la République unie de Tanzanie

08/10/2003
Appel urgent
en fr

La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), dans le cadre de leur programme conjoint, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’Homme, expriment leur vive inquiétude face à la loi tanzanienne de 2002 concernant les ONG (loi sur les ONG), qui impose de sévères restrictions aux libertés d’association et d’expression. L’Observatoire tient à exprimer son soutien à l’initiative des ONG tanzaniennes contre l’entrée en vigueur de la loi sur les ONG, qui doit avoir lieu, par le biais de sa publication à la Gazette Officielle, avant la fin du mois d’octobre 2003

La loi sur les ONG a été élaborée par l’Assemblée parlementaire de Tanzanie sans que les ONG nationales ne soient préalablement consultées. Bien que la mobilisation des ONG ait conduit à un amendement du texte prenant en compte certaines modifications proposées par la société civile, la loi sur les ONG, votée par l’Assemblée en novembre 2002, contient toujours des dispositions très restrictives qui violent les instruments nationaux et internationaux de protection des droits de l’homme. En décembre 2002, Votre Excellence a officiellement ratifié la loi sur les ONG.

Obligation d’enregistrement

L’article 35(1) de la loi sur les ONG prévoit des sanctions pénales à l’encontre des ONG qui ne s’enregistrent pas. Selon cet article, toute personne gérant une ONG sans avoir obtenu d’enregistrement "sera passible d’une amende n’excédant pas cinq cent mille shillings, ou d’une peine d’emprisonnement n’excédant pas un an, ou d’une amende et d’une peine d’emprisonnement". Cette disposition est contraire à l’article 1er de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’Homme, adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998 , qui dispose que "Chacun a le droit, individuellement ou en association avec d’autres, de promouvoir la protection et la réalisation des droits de l’homme et des libertés fondamentales aux niveaux national et international". Elle est également contraire à l’article 22(2) du Pacte international sur les droits civils et politiques, qui prévoit que "l’exercice du droit à la liberté d’association ne peut faire l’objet que des seules restrictions [...] qui sont nécessaires dans une société démocratique, dans l’intérêt de la sécurité nationale, de la sûreté publique, de l’ordre public, ou pour protéger la santé ou la moralité publiques ou les droits et les libertés d’autrui".

Etant données les sanctions pénales liées à l’absence d’enregistrement, cette situation pourrait s’avérer extrêmement dangereuse pour les ONG, d’autant plus que les cas dans lesquels l’enregistrement peut être refusé ne sont pas clairement définis. En effet, la loi sur les ONG prévoit la possibilité que le "Bureau de coordination des ONG" (Bureau des ONG) peut refuser d’approuver la demande d’enregistrement d’une ONG, en particulier si ses activités se servent pas l’intérêt général. La définition d’"intérêt général" est cependant extrêmement vague. En effet, d’après l’article 2 de la loi,1 "l’intérêt public comprend toute forme d’activités dont le but est de réaliser et améliorer le niveau de vie ou l’éradication de la pauvreté d’un groupe de personnes donné ou de la population en général".

D’autre part, la loi sur les ONG prévoit que le directeur du Bureau des ONG est nommé directement par le Président de la République, et ne contient aucune autre disposition sur la compétence des membres de ce Bureau ou leur mode d’élection.

Ingérences avec les activités des ONG

D’après la loi sur les ONG, le Bureau des ONG peut prévoir "une ligne de conduite politique des ONG en vue de l’harmonisation de leurs activités avec le plan national de développement". Certains de ces plans nationaux de développement sont cependant à l’origine d’une controverse pour les ONG, certaines organisations faisant en effet campagne contre ces plans, en particulier en ce qui concerne la privatisation ou l’acquisition de terrains. Ainsi, cette obligation d’harmoniser les activités des ONG avec les plans nationaux de développement est contraire à leur nature non-gouvernementale.

De plus, l’Article 7 de la loi sur les ONG dispose également que le Bureau des ONG a le droit "d’étudier et d’enquêter sur tout sujet" afin de s’assurer que les ONG respectent leurs propres statuts.

Ces dispositions contredisent clairement le principe de non-ingérence dans les activités des ONG et sont ainsi contraires à l’article 18(1) de la Constitution tanzanienne qui stipule : "toute personne a le droit, dans le respect du droit national, à la liberté d’opinion et d’expression, et a le droit de rechercher, recevoir, communiquer à autrui ou diffuser des informations et idées par le biais de tout media sans considération de frontières nationales, et a également le droit de n’être soumis à aucune intrusion dans ses communications".

Interdiction des coalitions et réseaux nationaux d’ONG

L’article 25 de la loi sur les ONG crée un Conseil national pour les ONG (le Conseil), forum collectif d’ONG dont le but est de coordonner et de mettre en contact les ONG travaillant en Tanzanie. L’article 25(4) interdit cependant à toute ONG de "prendre en charge ou de prétendre à la prise en charge de tout ce que le Conseil a la possibilité ou l’obligation de faire en vertu de la loi". Cette disposition ôte aux ONG la possibilité de se rassembler volontairement au sein d’une coalition d’ONG, et interdit les coalitions pré-existantes. L’article 25(4) refuse par conséquent aux ONG le plein exercice de leur liberté d’association, ce qui est contraire à l’article 5 de les Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme. Cet article dispose que chacun a le droit, individuellement et en association avec d’autres, "de former des organisations, associations ou groupes non gouvernementaux, de s’y affilier et d’y participer".

L’Observatoire est très préoccupé par les dispositions de la loi sur les ONG. L’Observatoire considère que cette loi illustre la volonté des autorités tanzaniennes de contrôler les activités des ONG et de contrecarrer leur travail. L’Observatoire note que l’entrée en vigueur de la loi sur les ONG en l’état constituerait une violation de l’article 2(2) de la Déclaration sur les défenseurs des droits de l’homme, qui stipule que "chaque Etat adopte les mesures législatives, administratives et autres nécessaire pour assurer la garantie effective des droits et libertés visées par la présente Déclaration". Cela contredirait également l’article 3, qui dispose : "Les dispositions du droit interne qui sont conformes à la Charte des Nations Unies et aux autres obligations internationales de l’État dans le domaine des droits de l’homme et des libertés fondamentales servent de cadre juridique pour la mise en œuvre et l’exercice des droits de l’homme et des libertés fondamentales ainsi que pour toutes les activités visées dans la présente Déclaration qui ont pour objet la promotion, la protection et la réalisation effective de ces droits et libertés".

L’Observatoire demande instamment à Votre Excellence de prendre les mesures nécessaires pour que la loi sur les ONG n’entre pas en vigueur, et de la renvoyer devant les autorités compétentes afin de l’amender, en vue de garantir le plein exercice des libertés d’association et d’expression, conformément aux instruments nationaux et internationaux de protection des droits de l’Homme.

Sidki Kaba
Président de la FIDH

Eric Sottas
Directeur de l’OMCT

1-Déclaration sur le droit et la responsabilité des individus, groupes et organes de la société de promouvoir et protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales universellement reconnus.

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