1er avril 2025.
Madame la Haute Représentante,
Messieurs les Ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne,
Voilà maintenant deux ans que le conflit qui fait rage au Soudan a éclaté, décimant des milliers de victimes et détruisant des infrastructures civiles dans tout le pays, tandis que l’Union européenne (UE) et d’autres parties prenantes internationales ont été incapables de prendre les mesures efficaces pour protéger les civil·es pris·es pour cibles.
Le conflit en cours au Soudan entre les Forces armées soudanaises (SAF) et les Forces de soutien rapide (RSF) qui a éclaté en avril 2023 a entraîné la mort de dizaines de milliers de victimes et en a blessé bien davantage. Le Soudan est aujourd’hui confronté à un déplacement de population d’une ampleur sans précédent dans le monde. 12,9 millions de personnes ont été contraintes de fuir leur domicile. Parmi elles, 8,9 millions sont déplacées à l’intérieur du pays, dont 53 % sont des enfants, tandis qu’environ 3,8 millions sont réfugiées dans les pays voisins, souvent dans des conditions de vie très difficiles.
Les personnes qui sont restées au Soudan sont la cible de meurtres, d’exécutions sommaires, de blessures, de viols, de viols collectifs, sont réduites en esclavage sexuel et autres formes de violence sexuelle, sont victimes d’actes de torture, de disparitions forcées et de pillages généralisés. Tous ces actes relèvent de crimes de guerre et certains peuvent également constituer des crimes contre l’humanité. Les enfants sont pris au piège des bombardements aériens et des tirs d’artillerie, qui font de nombreuses victimes et portent gravement atteinte à leur sécurité, leur éducation et leur bien-être. Depuis le début de la guerre, l’accès à une information indépendante et fiable est mis à mal, alors que les journalistes font l’objet de menaces (de mort), d’actes de violence et d’agressions de la part des deux camps. Les infrastructures des médias, notamment leurs bureaux et équipements, ont été pillées, incendiées et délibérément détruites.
Les massacres, les déplacements forcés et les violences sexuelles fondés sur l’appartenance ethnique perpétrés par les deux camps ont refait surface. Ces exactions font douloureusement écho à la crise du Darfour entre 2003 et 2005, marquée par des atrocités de masse ciblant des communautés ethniques. La résurgence de telles pratiques fait craindre un retour aux périodes les plus sombres des conflits au Soudan, à une époque où le nettoyage ethnique systématique et les crimes de guerre décimaient des communautés entières.
Les parties au conflit ont à plusieurs reprises bloqué et/ou pillé délibérément l’aide humanitaire et pris pour cible le personnel intervenant d’urgence, laissant une nouvelle fois les survivant·es réduit·es à une position de victimes. Les défenseur·es des droits humains, notamment celles et ceux œuvrant à la mise en place d’initiatives en matière de bonne gouvernance, à la construction de la paix, à la documentation des violations des droits humains et des violences sexuelles et basées sur le genre ont été identifié·es par les deux parties au conflit et pris·es pour cible.
Les efforts diplomatiques ne sont pas parvenus à infléchir le comportement des parties au conflit, ni à mettre un terme aux violations des droits humains. La récente décision du gouvernement des États-Unis de suspendre son aide étrangère ne fait qu’amplifier l’urgence d’une action diplomatique ferme et rapide, d’une aide humanitaire vitale, ainsi que d’un engagement renouvelé visant à obliger les responsables à rendre des comptes, pour la population civile soudanaise, les victimes de violations des droits humains et les organisations de la société civile qui œuvrent sur le terrain.
Dans sa résolution du 13 mars, le Parlement européen a lancé des appels urgents aux parties au conflit ainsi qu’à l’UE et à ses États membres afin qu’ils se mobilisent pour protéger les civil·es, apporter une aide humanitaire suffisante et obliger les auteur·rices de ces crimes à rendre des comptes.
À l’occasion du deuxième anniversaire du conflit, nos organisations demandent que la situation au Soudan soit inscrite à part entière à l’ordre du jour du prochain Conseil des affaires étrangères du 14 avril, afin d’intensifier l’action de l’UE sur cette question.
Nous invitons de nouveau l’UE ainsi que ses États membres à prendre des mesures fermes et stratégiques pour la défense des droits humains de tous·tes celles et ceux affecté·es par le conflit qui fait rage au Soudan.
Condamner les violations commises par l’ensemble des parties au conflit, en les exhortant à :
• Mettre immédiatement fin à toutes formes de violence et d’attaque à l’encontre des civil·es et des infrastructures civiles, notamment les attaques aveugles, les exécutions sommaires et les viols généralisés, ainsi que toute autre forme de violence sexuelle à l’encontre des femmes et des filles, la destruction des habitations, des écoles et des hôpitaux ;
• Mettre fin aux attaques ciblées et actes de harcèlement à l’encontre des activistes, défenseur·es des droits humains, journalistes et membres de la société civile soudanais·es ;
• Cesser d’entraver délibérément l’aide humanitaire, toutes les attaques à l’encontre du personnel humanitaire et médical, dont les membres des salles d’intervention d’urgence (ERR) ;
• Faire pression sur toutes les parties au conflit afin qu’elles garantissent un accès immédiat, sûr et sans entrave à l’aide humanitaire, en coopération avec les Nations unies, l’Union africaine (AU), l’Autorité intergouvernementale pour le développement (IGAD) et les États animés par les mêmes aspirations ;
• Restaurer les services de communication dans tout le pays, en mettant fin aux coupures d’internet qui bafouent le droit du peuple soudanais à l’information, font obstacle aux services humanitaires et aux services d’intervention d’urgence, portent atteinte à la sécurité et à la protection des civil·es et empêchent le suivi et les enquêtes sur les violations en cours des droits humains et du droit humanitaire international.
Intensifier l’action de l’UE
• Utiliser l’ensemble des instruments disponibles au sein de l’UE et de ses États membres pour répondre immédiatement aux graves violations des droits humains et du droit humanitaire international au Soudan et obliger leurs auteur·rices à rendre des comptes ;
• Décider de publier les conclusions du Conseil définissant la stratégie de l’UE et des États membres visant à concrétiser leur engagement en matière de droits humains, de droit humanitaire, de justice, de lutte contre l’impunité et de protection des civil·es au Soudan, tout en adressant un message clair aux responsables de graves violations qu’ils devront répondre de leurs actes ;
• Renforcer d’urgence le financement pour répondre à la crise humanitaire au Soudan et dans les camps de réfugié·es des pays voisins, en soutenant notamment le personnel d’intervention et les défenseur·es des droits humains à l’échelle locale. Garantir un soutien suffisant à l’éducation en situation d’urgence ainsi qu’un soutien particulier à la protection, au soin, au traitement et aux mécanismes d’accompagnement pour les survivant·es de violences sexuelles et basées sur le genre.
Protéger les civil·es
• Soutenir activement d’autres parties prenantes internationales et régionales afin d’encourager les initiatives d’envergure en faveur de la protection des civil·es, notamment le suivi et les enquêtes sur les violations des droits humains, ainsi que les efforts visant à lutter contre l’impunité dans tout le Soudan ;
• Appeler tous les pays tiers, y compris les Émirats arabes unies, à respecter l’embargo sur le transfert d’armes au Darfour imposé par le Conseil de sécurité des Nations unies, en s’abstenant de livrer des armes et des munitions aux SAF, aux RSF et aux autres groupes armés. Veiller à ce que tous les pays et autres entités qui ont violé l’embargo sur les armes au Darfour soient tenus responsables de leurs actes.
Défendre la justice et la lutte contre l’impunité
• Allouer les ressources nécessaires et soutenir pleinement tous les efforts actuellement déployés pour enquêter sur les violations et établir la responsabilité de leurs auteur·rices, notamment le travail des missions d’enquête menées par le Conseil des droits de l’homme des Nations unies et par la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples au Soudan ;
• Veiller à ce que le Bureau du Procureur de la Cour pénale internationale (CPI) dispose des moyens adéquats pour mener à bien l’ensemble de ses missions, y compris les enquêtes sur les violations en cours au Darfour. Apporter un soutien politique total au travail de la CPI et plaider pour l’élargissement de sa compétence aux crimes internationaux commis sur l’ensemble du territoire soudanais ;
• Traiter avec les parties au conflit et les États voisins afin qu’ils permettent l’accès de l’ensemble des mécanismes de mise en accusation aux zones qu’ils contrôlent ;
• Renforcer le recours à la compétence universelle pour enquêter sur les responsables des graves violations au Soudan et les traduire en justice, en veillant à ce qu’ils ne trouvent pas refuge dans les États membres de l’UE.
Soutenir les civil·es, les défenseur·es des droits humains, les membres de la société civile et les journalistes soudanais·es
• Établir une réelle et vaste consultation avec les défenseur·es des droits humains et les organisations de la société civile soudanais·es, notamment avec le personnel humanitaire et les journalistes locaux, et veiller à ce que leurs points de vue et préoccupations soient pris en compte dans tout processus de paix ou autre processus décisionnel qui les concerne. Conformément aux Lignes directrices de l’Union européenne sur la protection des défenseur·es des droits humains, protéger, promouvoir et soutenir activement leur travail.
• Assurer la protection et le soutien aux personnes fuyant le Soudan, en mettant en place des voies d’accès sûres et légales, y compris vers des pays en dehors du continent africain. S’abstenir de renvoyer toute personne ressortissante du Soudan vers ce pays ou vers un pays tiers qui risquerait de la renvoyer au Soudan.
• Mener des négociations ambitieuses pour permettre l’acheminement de l’aide humanitaire par tous les moyens possibles, y compris transfrontalier, aériens, à travers les lignes de front, et garantir un accès équitable pour l’ensemble des acteur·rices humanitaires, notamment les ONG.