Cette affaire constitue la première tentative d’engagement de la responsabilité pénale d’une institution bancaire française pour des faits de complicité de crimes internationaux commis au Soudan.
Les faits subis par les survivantes et les survivants qui ont témoigné à Paris cette semaine représentent une part infime du préjudice subi par des dizaines de milliers de civil.e.s soudanais.es depuis le début du conflit en 2002. En tant que parties civiles, ils.elles apportent activement leur concours à l’enquête en cours.
« Les auditions des premières parties civiles par les juges et les enquêteur.ice.s constituent une étape cruciale, intervenant près d’un an et demi après l’ouverture de l’information judiciaire. Nous espérons que l’enquête continuera à avancer dans les mois à venir. »
Cette affaire démontre comment le financement de régimes répressifs - par l’assistance et la facilitation de la commission de violations de droits humains - ouvre la porte à de potentielles poursuites pénales.
« Les témoignages des parties civiles rappellent la brutalité du régime d’Omar al-Bashir et mettent en lumière la nécessité de poursuivre les acteurs.rices ayant permis ces crimes, notamment les institutions financières. Du Soudan à la Russie et à l’Ukraine, il est désormais établi que les crimes de masse ne peuvent être réalisés sans financements de masse. »
Contexte : crimes de masse contre des civil.e.s au Darfour
La BNP Paribas S.A a reconnu avoir agi comme première banque étrangère pour le compte du gouvernement soudanais entre 2002 et 2008. Durant cette période, le gouvernement soudanais a commis des crimes de masse contre des civil.e.s au Darfour et d’autres communautés soudanaises marginalisées avec l’aide des forces armées étatiques et des milices Janjawid. À cette période, la BNP Paribas était considérée comme la banque centrale soudanaise de facto.
Au cours de ces attaques contre les populations civiles, des dizaines de milliers de civil.e.s et de défenseuses et défenseurs des droits humains ont été tué.e.s, torturé.e.s, détenu.e.s, déplacé.e.s de force, violé.e.s et soumis.es à d’autres formes de violences sexuelles.
En 2005, le Conseil de sécurité des Nations unies a saisi la Cour pénale internationale (CPI) au sujet de la situation au Darfour. La juridiction internationale a alors ouvert une enquête portant sur les potentiels crimes de génocide, crimes de guerre et crimes contre l’humanité commis au Darfour depuis le 1er juillet 2002 et a émis plusieurs mandats d’arrêt. L’un d’eux visait l’ancien Président soudanais Omar al-Bashir.
Les relations étroites entretenues par la BNP Paribas avec le gouvernement soudanais ont été révélées en juin 2014, lorsque les États-Unis ont déclenché des poursuites contre la banque pour avoir violé les restrictions financières imposées sur les transactions avec le Soudan, l’Iran et Cuba.
Dans le cadre de ces poursuites, la banque a conclu un accord de plaider coupable (l’une des possibilités laissées par le système américain) avec le Ministère de la Justice des États-Unis, la condamnant à une amende de près de neuf milliards de dollars. Bien que le Ministère ait initialement prévu de consacrer une partie de ces fonds au dédommagement des victimes soudanaises, le Congrès des États-Unis a finalement décidé d’allouer cette somme au fonds destiné aux victimes américaines d’actes terroristes, privant les victimes soudanaises de tout espoir d’être indemnisées pour leur préjudice.
Afin de permettre aux victimes d’obtenir justice et d’être indemnisées, la FIDH s’est associée aux avocat.es de Global Diligence Alliance afin d’intenter une action judiciaire en France, où se trouve le siège de la BNP Paribas.
Prochaines étapes de la procédure judiciaire en France
Si les juges d’instruction estiment que suffisamment d’éléments ressortent de l’enquête, ils convoqueront les suspect.e.s afin de les mettre en examen. Ces mises en examen pourront viser la BNP Paribas et sa filiale suisse en tant que personnes morales, mais également toute personne physique, notamment les cadres dirigeant.e.s de la banque, dont la responsabilité pourra être établie.
Compte tenu de la complexité de l’affaire, il est prévisible que l’information judiciaire s’étende sur plusieurs années. À l’issue de celle-ci, les juges d’instruction rendront une ordonnance de clôture pouvant consister en un non-lieu ou à un renvoi de la banque et/ou de plusieurs cadres dirigeant.e.s, devant une juridiction répressive, pour une partie ou la totalité des infractions visées par l’enquête.
En cas de reconnaissance de leur culpabilité par les juridictions françaises, les dirigeant.e.s pourront encourir une peine d’emprisonnement. La BNP Paribas quant à elle, en tant que personne morale, pourra être condamnée à une peine pécuniaire, pouvant aller jusqu’à cinq fois l’amende maximale prévue pour les personnes physiques, ainsi qu’à d’autres mesures telles que la dissolution, le placement sous contrôle judiciaire ou l’interdiction de recevoir des fonds publics. En outre, les parties civiles pourront réclamer le versement de dommages et intérêts par la BNP Paribas, en réparation du préjudice subi.
Fondée en 1922 par 15 ligues de défense des droits humains, la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH) réunit aujourd’hui 192 organisations nationales provenant de 117 pays qui travaillent ensemble à l’élaboration de stratégies et d’activités visant à promouvoir les normes universelles en matière de droits humains. La FIDH agit avec ses organisations membres et partenaires pour surveiller, documenter et alerter la communauté internationale sur les violations des droits humains.
Global Diligence Alliance (GD Alliance) est une organisation à but non lucratif basée aux États-Unis qui a vocation à créer une alliance juridique mondiale pour lutter contre les formes les plus graves d’injustice sociale, raciale, économique et environnementale dans le monde. Global Diligence LLP, un cabinet de conseil juridique d’intérêt public basé au Royaume-Uni, est l’un des membres fondateurs de GD Alliance.