Situation des droits de l’Homme alarmante et grave crise humanitaire au Darfour

13/04/2004
Communiqué
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La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) se réjouit de l’accord de cessez-le-feu humanitaire signé le 8 avril 2004 à N’Djamena, Tchad, entre le Gouvernement soudanais et les rebelles de l’Armée de Libération du Soudan (Sudan Liberation Army - SLA) et du Mouvement pour la Justice et l’Egalité (Justice and Equality Movement - JEM). Bien que la signature de cet accord constitue une avancée positive vers un règlement pacifique du conflit, la FIDH tient cependant à rappeler que la durée de ce cessez-le-feu n’est que de 45 jours renouvelables. Par ailleurs, la FIDH estime cet engagement insuffisant eût égard à son manque d’implication politique et à la gravité de la situation dans la région du Darfour.

La FIDH exprime, une nouvelle fois, sa plus vive inquiétude face à l’alarmante situation des droits de l’Homme et à la grave crise humanitaire que traverse actuellement la province du Darfour, et souligne que des attaques inacceptables ont été menées contre des populations civiles quelques jours seulement avant la signature de ce cessez-le-feu. En effet, selon les informations transmises par la Sudan Organisation Against Torture (SOAT), ligue membre de la FIDH au Soudan, les forces militaires du gouvernement soudanais ont lancé, le 4 avril 2004, une attaque aérienne contre le village de Mahajrea, dans le sud du Darfour. La FIDH condamne fermement cet assaut, qui a fait 4 victimes parmi les villageois, dont deux adolescents de 15 ans, ainsi qu’un blessé grave.

La FIDH dénonce également avec la plus grande fermeté le massacre perpétré dans le village de Delaij, dans la province du Darfour, entre le 5 et 7 mars 2004. D’après SOAT, un groupe d’officiers des renseignements militaires, accompagnés de chefs de milices, ont procédé à l’arrestation de 168 personnes de la tribu des Furs, dans une dizaine de villages au sud de Garsilla, province de Wadi Salih, dans l’ouest du Darfour. Ces 168 civils, soupçonnés de soutenir la SLA, ont été placés en détention avant d’être emmenés au village de Delaij, où ils ont été fusillés par des pelotons d’exécution au mépris de toute norme juridique.

Les affrontements dans la région du Darfour, qui opposent les forces du gouvernement et les milices alliées Janjaweed, aux groupes rebelles armés SLA et JEM, ont connu une dramatique recrudescence durant les derniers mois. Les populations civiles de la région, en particulier les communautés Fur, Zaghawas et Massalit, demeurent la principale cible des attaques, et des milliers de personnes ont été contraintes de fuir leurs terres et leurs villages dévastés. Selon les estimations des Nations Unies, 750,000 personnes ont été déplacées dans la province du Darfour, et entre 100 et 130,000 personnes ont trouvé refuge au Tchad frontalier. Aujourd’hui, tout l’ouest du Soudan est touché par une crise humanitaire d’une extrême gravité. Depuis janvier 2004 et la reprise des hostilités suite à l’échec du précédent cessez-le-feu conclu entre le gouvernement et la SLA le 3 septembre 2003 à Achadi (Tchad), le nombre de personnes déplacées a constamment augmenté. Les camps de réfugiés à l’est du Tchad, ainsi que les centres urbains au sud du Soudan sont submergés par le flot permanent des réfugiés du Darfour : la semaine dernière, 15 000 personnes ont fui vers Kass, portant le nombre total de réfugiés dans la ville à 35 000. Par ailleurs, en raison du manque de sécurité dans la région, la plupart des organisations humanitaires n’ont pas accès à la province du Darfour, et sont dans l’impossibilité de subvenir aux besoins des réfugiés en eau potable, en nourriture, en abris et en soins médicaux. La situation sanitaire se dégrade de manière alarmante dans les camps, où des centaines de cas de rougeole se sont déclarés durant les dernières semaines.

Depuis que le gouvernement a lancé une vaste campagne de terreur dans la région, les populations civiles sont constamment soumises à des attaques aussi violentes qu’aveugles, qui auraient fait près de 10 000 victimes. Les témoins rapportent de nombreux cas de détentions arbitraires, et dénoncent l’usage régulier de la torture, les enlèvements et les exécutions extrajudiciaires des personnes suspectées de soutenir les rebelles, ainsi que le viol systématique des femmes et des jeunes filles.

La FIDH condamne sévèrement ces violations des conventions relatives aux droits de l’Homme et du droit international humanitaire, notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples et la Convention de Genève. Par ailleurs, la FIDH craint que cette campagne massive de terreur ne vise à évacuer les tribus africaines de la région, et redoute que ces attaques ne soient « une tactique de la terre brûlée », et une « campagne coordonnée de nettoyage ethnique », comme l’ont affirmé de hauts représentants des Nations Unies.

A cet égard, la FIDH se réjouit de la décision des Nations Unies d’envoyer sur le terrain une mission d’information, chargée d’enquêter sur la situation des droits de l’Homme au Darfour. Cette mission, qui a débuté le 6 avril 2004, a d’ores et déjà commencé à interroger des réfugiés soudanais au Tchad. Toutefois, ses membres doivent encore négocier l’accès au Darfour auprès des autorités locales.

La FIDH appelle la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, actuellement réunie à Genève en sa 60ème session à :

 adopter une résolution sous le Point 9 (violations graves des droits de l’Homme), condamnant fermement les violations commises dans la province du Darfour, et établissant un Rapporteur Spécial sur le Soudan, ayant pour mandat de superviser la situation des droits de l’Homme dans la région.

La FIDH, qui présentera avec SOAT un rapport alternatif conjoint portant sur la situation des droits de l’Homme au Soudan lors de la 35ème session de la Commission Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples, qui se tiendra en mai 2004 à Dakar, appelle également la Commission à :

 réagir avec la plus grande force aux violations des droits de l’Homme commises au Darfour, et prendre les mesures nécessaires pour qu’une solution pacifique au conflit puisse être trouvée.

La FIDH exhorte les deux parties impliquées à :

 mettre fin immédiatement et définitivement aux hostilités ;

 poursuivre les négociations afin de mettre en place un cessez-le-feu effectif et un processus de paix politique ;

 respecter les principes fondamentaux de distinction et de précaution garantis par le droit international humanitaire, et mettre fin aux attaques contre les populations civiles ;

 strictement respecter le cessez-le-feu humanitaire conclu le 8 avril 2004, afin de permettre à l’aide humanitaire de secourir les populations civiles.

La FIDH exhorte également le Gouvernement du Soudan à :

 strictement respecter les principes fondamentaux garantis par les instruments du droit international humanitaire et des droits de l’Homme auxquels il est lié, notamment son obligation de protéger les populations civiles en toutes circonstances, comme le stipulent l’article 23 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, et les articles 2 et 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

 engager immédiatement des enquêtes approfondies et impartiales sur les accusations de torture et de mauvais traitements, afin d’identifier leurs auteurs, de les poursuivre en justice et de les juger en conformité avec les principes internationaux des droits de l’Homme ;

 garantir sans restriction aux travailleurs humanitaires et aux experts internationaux le libre accès à la région de Darfour et aux victimes.

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