Le Soudan élu à la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, malgré de graves et constantes violations des droits de l’Homme

07/05/2004
Rapport
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La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme (FIDH) et la Sudan Organisation Against Torture (SOAT), son organisation membre au Soudan, considérant les graves et récurrentes violations des droits de l’Homme au Soudan, ainsi que la situation critique dans la province du Darfour, expriment leur consternation et leur vigoureuse indignation face à l’élection du Soudan à la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies par le Conseil Economique et Social (ECOSOC) des Nations Unies, le 4 mai 2004.

Par ailleurs, la FIDH et SOAT rappellent qu’à l’occasion de la 60ème session de la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies, après des semaines de négociations, une déclaration de la Présidence sur le Soudan a finalement été adoptée. La FIDH et SOAT, bien qu’elles se réjouissent de la décision de la Commission de nommer un expert indépendant sur la situation des droits de l’Homme au Soudan pour une période d’un an, regrettent que la Commission n’ait pas pris plus fermement position sur l’alarmante situation dans le pays. Cette déclaration, qui ne met qu’insuffisamment l’accent sur le besoin urgent de protéger les populations civiles du Soudan des effets du conflit armé, ne désigne par ailleurs aucun responsable des graves violations des droits de l’Homme et du droit humanitaire international. La déclaration de la Présidence n’appelle pas non plus la communauté internationale à élargir le mandat du Bureau du Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies à Khartoum, en incluant notamment une mission de supervision permettant d’améliorer le respect des droits de l’Homme et du droit humanitaire. En ce sens, la FIDH et SOAT regrettent que le projet de résolution sous le Point 9 (violations des droits de l’Homme) proposé par l’Union Européenne et présenté par les Etats-Unis, n’ait pas été adopté. La FIDH et SOAT dénoncent une fois encore les atteintes au Point 9 ainsi que la motion d’ajournement à laquelle a eu recours le Groupe Africain pour rejeter l’examen du projet de résolution américain.

La FIDH et SOAT expriment leur plus vive inquiétude face à la situation critique des droits de l’Homme et l’urgence humanitaire que traverse la région du Darfour. Bien qu’un cessez-le-feu ait été signé le 8 avril à N’Djamena, Tchad, entre le Gouvernement soudanais et les rebelles de l’Armée de Libération du Soudan (Sudan Liberation Army - SLA) et du Mouvement pour la Justice et l’Egalité (Justice and Equality Movement - JEM), les forces armées gouvernementales et les milices Janjaweed continuent à mener d’intolérables attaques contre les populations civiles.

D’après SOAT, le 17 avril 2004, les forces gouvernementales et les milices Janjaweed ont lancé une violente attaque contre les villages de Hillat Ibraheam, à 10 kms au sud de Nyala dans la province du Darfour, et de Abu Ajoura, à 35 kms au sud-ouest de Nyala. Cet assaut, qui constitue une violation caractérisée de l’accord de cessez-le-feu, a causé la mort de 45 personnes, et détruit 312 maisons.

De plus, la population Zaghawa (1) reste la cible des forces armées du Gouvernement. Le 19 mars 2004, 11 personnes, dont 3 mineurs âgés de 13 à 17 ans, ont été arrêtées par des membres des forces armées et des renseignements militaires dans le village de Jeway Kheena, dans la région du Darfour. Les 8 adultes, soupçonnés d’avoir participé à un assaut de la SLA contre la ville de Bouram le 10 mars 2004, ont d’abord été placés en détention dans un camp militaire de Bouram, où ils ont été soumis à des actes de torture. Selon les informations que SOAT a pu recueillir auprès de l’un des détenus qui a été remis en liberté le 2 avril, les 8 hommes ont été sévèrement battus à coups de pied, de bâton et de crosse de pistolet. Ils ont été suspendus pieds et poings liés à un arbre la tête en bas durant plusieurs heures, et l’un d’entre eux s’est vu insérer des objets métalliques dans le rectum. Le 28 mars, ils ont été transférés à la prison militaire de Nyala, où ils n’ont reçu aucune nourriture durant les trois jours qui ont suivi leur arrivée. Le lieu de détention des sept prisonniers restants est à ce jour inconnu. Quant aux trois enfants, suspectés de soutenir la rébellion, ils ont été placés en détention au camp militaire de Jeway Kheena, et ont été torturés par les services de renseignement militaire. Ils ont notamment été enchaînés, puis fouettés et battus à coups de crosse. La FIDH et SOAT ne disposent d’aucune information à ce jour permettant de savoir s’ils sont ou non encore maintenus prisonniers.

Par ailleurs, les dispositions de l’accord de cessez-le-feu stipulant la libération des prisonniers de guerre semblent être largement ignorées par le Gouvernement : 14 hommes suspectés de soutenir la rébellion, et qui avaient été arrêtés il y a 2 mois, sont toujours emprisonnés au centre de détention de Nyala, où ils auraient subi de graves actes de torture.

La FIDH et SOAT rappellent la dimension dramatique qu’a atteinte la crise humanitaire dans la province du Darfour. Les camps de réfugiés de la région et de l’est du Tchad sont submergés par le flot grandissant de personnes déplacées, et la situation sanitaire des camps se détériore d’autant plus que l’assistance humanitaire ne bénéficie toujours pas du libre accès au territoire. Une mission humanitaire des Nations Unies, qui s’est rendue dans le Darfour et dans les camps de réfugiés de l’est tchadien entre le 28 et le 30 avril 2004, a rapporté qu’il s’agissait de « l’une des plus grave crise humanitaire dans le monde ». La mission a également souligné « l’urgence du travail humanitaire », d’autant plus indispensable que la saison des pluies va bientôt commencer.

La FIDH et SOAT dénoncent avec la plus grande fermeté la persistance des violations des conventions relatives aux droits de l’Homme et du droit humanitaire international (2), notamment le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, la Convention relative aux droits de l’Enfant et la Convention de Genève. Par ailleurs, la FIDH et SOAT condamnent vigoureusement les violations flagrantes de l’accord de cessez-le-feu.

La FIDH et SOAT, considérant l’intervention de la Commission des droits de l’Homme des Nations Unies comme insuffisante, espèrent que la 35ème session de la Commission Africaine des droits de l’Homme et des peuples, qui se tiendra à Banjul en mai 2004, sera l’occasion, pour les institutions intergouvernementales, de faire preuve de la plus grande fermeté au regard de la situation dramatique au Soudan. En effet, l’examen du rapport périodique du Soudan, auquel la FIDH et SOAT vont présenter un rapport alternatif, est à l’ordre du jour de la Commission. La FIDH et SOAT appellent la Commission à :

 réagir fermement à la situation actuelle au Soudan, et condamner les graves et récurrentes violations des droits de l’Homme dans le pays ;

 faire pression sur les autorités soudanaises afin qu’elles prennent les mesures nécessaires pour qu’une solution pacifique au conflit puisse être trouvée, et pour que le libre accès au territoire soit garanti à la future délégation de la Commission Africaine ;

 demander à la Conférence des Chefs d’Etat et du Gouvernement de l’Union Africaine d’adopter une décision afin de garantir le strict respect des droits de l’Homme au Soudan.

La FIDH et SOAT exhortent les deux parties impliquées à :

 mettre fin immédiatement et définitivement aux hostilités ;

 poursuivre les négociations afin de parvenir à un cessez-le-feu effectif et un processus de paix politique ;

 respecter les principes fondamentaux de distinction et de précaution garantis par le droit international humanitaire, et mettre fin aux attaques contre les populations civiles ;

 strictement respecter le cessez-le-feu humanitaire conclu le 8 avril 2004, afin de permettre à l’aide humanitaire de secourir les populations en besoin.

La FIDH et SOAT exhortent également le Gouvernement du Soudan à :

 strictement respecter les principes fondamentaux garantis par les instruments du droit international humanitaire et des droits de l’Homme auxquels il est lié, notamment son obligation de protéger les populations civiles en toutes circonstances, comme le stipulent l’article 23 de la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, et les articles 2 et 6 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques ;

 strictement respecter la Convention relative aux droits de l’Enfant, ratifiée par le Soudan le 3 août 1990 ;

 engager immédiatement des enquêtes impartiales et approfondies sur les accusations de torture et de mauvais traitements, afin d’identifier leurs auteurs, de les poursuivre en justice et de les juger en conformité avec les principes internationaux des droits de l’Homme ;

 garantir aux travailleurs humanitaires et aux experts internationaux le libre accès à la région de Darfour et aux victimes sans restriction.

(1) Depuis le début du conflit, les forces gouvernementales et les milices Janjaweed se sont tout particulièrement attaquées aux communautés Fur, Zaghawa et Massalit.

(2) Voir communiqué de presse de la FIDH du 13 avril 2004

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