Le Darfour s’embrase : Non à la fatalité !

14/09/2007
Communiqué

Par Souhayr BELHASSEN, Présidente de la FIDH

En 2005, l’Assemblée générale des Nations unies impose par une résolution un principe novateur et fondamental pour le respect des droits de l’Homme dans le monde : « l’obligation de protéger ». Ce principe autorise la communauté internationale à intervenir, y compris par l’action de forces onusiennes, si un Etat ne peut ou ne veut agir pour protéger sa propre population victime de génocide, de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité. Ce principe voulu universel ne semble pourtant pas devoir s’appliquer à l’un des conflits les plus sanglants de ce début de siècle.

Depuis 2003, au Darfour, région occidentale du Soudan, environ 200.000 personnes sont mortes directement ou indirectement du fait du conflit qui oppose les rebelles du Mouvement/Armée de libération du Soudan (SLM/A) et du Mouvement Justice et Égalité (JEM) aux milices janjawids soutenues par Khartoum. Fuyant les offensives meurtrières des belligérants, les viols, les pillages, l’enrôlement forcé, plus de 2 millions de personnes ont été contraintes de se déplacer et 200.000 autres de se réfugier au Tchad, dans des conditions sécuritaires et humanitaires particulièrement précaires. Autre grave inquiétude : la déstabilisation sécuritaire de la sous-région - au Tchad et en République Centrafricaine- le Darfour devenant un lieu d’asile privilégié pour les rebelles tchadiens et centrafricains, avec la complicité de Khartoum.

Fil rouge de l’horreur absolue et de la barbarie humaine depuis quatre ans, la crise du Darfour peine pourtant à trouver sa place dans une actualité médiatique et diplomatique. Cette effroyable léthargie répond à certains facteurs, déshonorants pour la communauté internationale : une « lassitude » absolument impardonnable face à la triste récurrence des conflits africains ; l’absence d’abondantes ressources naturelles dans cette partie du Soudan. Par ailleurs, la lecture souvent biaisée voire instrumentalisée de la situation au Darfour a pu constituer un frein à une résolution rapide du conflit.

Face à la cristallisation du processus de résolution du conflit – véritable non-assistance à population en danger, la société civile soudanaise et internationale n’a pas cessé de se mobiliser pour faire entendre la voix des victimes. Dès 2004, la FIDH et sont organisation membre au Soudan, Sudan Organisation Against Torture (SOAT), ont multiplié les interventions publiques pour condamner les graves crimes internationaux commis au Darfour, dénoncer la complicité coupable de Khartoum et appeler la communauté internationale à agir.

En juin 2007, une mission de la FIDH s’est d’ailleurs rendue à l’Est du Tchad où elle a pu recueillir des témoignages des réfugiés soudanais nouvellement arrivés (entre janvier et mai 2007) et de déplacés tchadiens. Grâce à ces témoignages, la mission a pu affirmer la persistance ces derniers mois de violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire au Darfour : les attaques des janjawids sont récurrentes dans les villages soudanais proches de la frontière avec le Tchad, elles sont perpétrées avec la complicité des forces soudanaises de sécurité, en toute impunité.

Selon certains témoignages, il y a depuis 2006 une multiplication d’attaques janjawids à la frontière soudanaise et d’incursions janjawids au Tchad accompagnées d’exécutions sommaires, de violences sexuelles et de pillages perpétrés devant la force d’intervention de l’Union africaine et des forces tchadiennes de sécurité impuissantes.

En effet, selon un chef de bloc du camp de réfugiés soudanais de Bredjine, « au lieu de nous protéger, le gouvernement soudanais nous a tués. Nous avons dû fuir notre propre pays pour nous rendre au Tchad. Nous voulons revenir chez nous et reprendre notre terre mais l’insécurité nous en empêche. Les forces de l’Union africaine sont incapables de nous protéger. Nous voulons une force internationale. Nous souhaitons que les criminels rendent compte devant la justice internationale ».

Intervenir, enfin !

L’adoption le 2 août 2007 par le Conseil de sécurité des Nations unies de la Résolution 1769 qui décide le déploiement au Soudan d’une opération hybride Nations unies / Union africaine au Darfour (MINUAD) est par conséquent un signe d’espoir, le premier depuis la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité le 31 mars 2005. Si le fait que le mandat de la force d’intervention ne soit pas de désarmer les miliciens mais simplement de vérifier la présence d’armes et de matériels connexes au Darfour est source d’inquiétude, il est essentiel que cette force d’intervention soit immédiatement dotée des ressources nécessaires pour remplir son mandat le plus rapidement et efficacement possible et qu’elle bénéficie de la pleine coopération du gouvernement soudanais.

La FIDH encourage également le Conseil de sécurité dans sa volonté de soutenir toute initiative tendant à déployer dans les plus brefs délais une force internationale en vue d’améliorer la sécurité des réfugiés et personnes déplacées, à l’Est du Tchad et au Nord-Est de la République centrafricaine, victimes de violations graves des droits de l’Homme et du droit international humanitaire, conséquences de la régionalisation du conflit au Darfour.

Si la FIDH a salué la mention par le Conseil de sécurité de "la nécessité de traduire en justice les auteurs des crimes", l’absence de toute référence à la Cour pénale internationale (CPI) et notamment au besoin impérieux de coopération du gouvernement du Soudan avec la CPI, dans le but de respecter le droit à la justice et d’atteindre une paix durable, demeure un aveu de faiblesse pour le Conseil.

Ce laxisme aura sans doute encouragé le gouvernement soudanais à nommer, le 7 septembre 2007, M. Haroun, un officiel soudanais qui fait l’objet d’un mandat d’arrêt international délivré par la Cour pénale internationale (CPI) pour des crimes de guerre et crimes contre l’humanité, au poste de co-président du comité national chargé d’enquêter sur les violations des droits de l’Homme perpétrées au Soudan, et en particulier au Darfour, franchissant alors un nouveau pas vers l’impunité.

Cette nomination est une insulte aux victimes du Darfour dans leur quête de vérité, justice et réparation pour les graves crimes qu’elles ont subi, et démontre clairement le refus du gouvernement soudanais de traduire les responsables en justice, de mettre fin à l’impunité pour les crimes commis au Darfour et d’apporter une issue pacifique au conflit qui ravage la région.

En cette nouvelle Journée Mondiale pour le Darfour, on sait que le Darfour s’embrase et... ce serait tout ? Nous récusons absolument cette fatalité ! Imposer la sécurité et casser le cycle de l’impunité demeurent les deux objectifs fondamentaux. Chacun, où qu’il se trouve, peut y contribuer, par sa simple signature au bas des appels et pétitions de notre Coalition mondiale. Aussi, nous vous y appelons, nous gardons les yeux ouverts, ne détournez pas les yeux !

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