La FIDH appelle le Conseil de sécurité à saisir la CPI et à rejeter toute résolution visant la création d’un tribunal ad hoc.

Le Darfour n’arrête plus de compter ses morts. Plus de 70.000 depuis le début de la guerre civile en 2003, selon l’ONU. L’impunité est totale. Le 31 janvier 2005, la commission internationale d’enquête mandatée par le Conseil de sécurité de l’ONU a rendu public son rapport. Ce dernier qualifie les crimes commis dans la région occidentale du Soudan de crimes contre l’humanité. Au regard de leur extrême gravité, la FIDH estime qu’il incombe au Conseil de sécurité de saisir la Cour pénale internationale (CPI) de cette situation. Ayant qualifié cette situation de génocide, les États-Unis ne peuvent s’opposer aux droits des victimes à une justice internationale effective au nom de leur hostilité à la CPI.

Darfour : la FIDH appelle le Conseil de sécurité à saisir la CPI La recommandation de la commission internationale d’enquête de l’ONU doit être mise en oeuvre

Le rapport de la commission internationale d’enquête des Nations unies, remis au Secrétaire général, Koffi Annan, le 25 janvier 2005, a confirmé la perpétration massive au Darfour de crimes entrant dans le champ de compétence de la CPI.

Malgré la prise de conscience de la gravité des crimes commis au Darfour par la communauté internationale, la tragédie perdure. Les affrontements, qui opposent les troupes gouvernementales aux rebelles du Mouvement de libération du Soudan (SLM) et du Mouvement pour la justice et l’égalité (JEM) ont fait environ 70.000 morts et plus de 1,6 millions de déplacés. Selon le Comité International de la Croix Rouge, la situation humanitaire ne cesse de se détériorer au Darfour. Environ 2,5 à 3 millions de personnes ont besoin d’aide alimentaire notamment dans les zones rurales, dans la mesure où les récoltes n’ont pas pu avoir lieu en raison de la violence et de la terreur prévalant dans la région.

Les exactions redoublent depuis la signature par les parties le 9 novembre 2004 à Abuja (Nigeria) d’un Protocole humanitaire et d’un Protocole de sécurité. Les accords de cessez-le-feu signés entre les protagonistes le 8 avril 2004 sont systématiquement violés. Actes de violence, exécutions sommaires, violences sexuelles, menaces, harcèlement sont le lot quotidien de la population civile.

Les groupes marginalisés du Darfour, du Nord et de l’Est du Soudan se sentent exclus de l’accord de paix du 9 janvier 2005 entre le Nord et le Sud. Victimes privées de paix, victimes privées de justice : l’impunité des auteurs des crimes au Darfour est totale. Nous avons la conviction que, face à une telle situation, le recours à la justice est indispensable à l’instauration de la paix, dés lors qu’il s’agit d’une justice crédible, indépendante, effective et apte à répondre à la gravité des crimes commis.

Pour contourner l’obstacle de l’impunité au niveau national [1] et l’absence d’autre solution viable, la FIDH suggérait dès septembre 2004 aux membres du Conseil de sécurité de déférer la situation du Darfour au Procureur de la CPI, compétente pour connaître des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide. Une telle initiative, prévue par l’article 13 b) [2] de son statut, est d’ailleurs la seule qui permette à son Procureur d’être saisi de la situation au Darfour. Selon Louise Arbour, Haut Commissaire aux droits de l’Homme, « toute solution alternative, dont la création d’un tribunal spécial, serait soit inappropriée soit trop coûteuse et trop lente ».

Préconisée dans le rapport de la commission internationale d’enquête du Conseil de sécurité rendu public le 31 janvier 2005, la perspective d’une saisine de la CPI est désormais à l’ordre du jour.

Deux arguments sont avancés pour contrer cette perspective, preuve à contrario de son efficacité :

Le Soudan n’a ni ratifié le statut de la CPI ni exprimé sa volonté de saisir la justice internationale. Il vient au contraire d’annoncer sa volonté de juger ses nationaux. Or l’inefficacité du système judiciaire, au sein duquel les tribunaux d’exception sont la règle, ne permet pourtant pas de garantir une paix durable au Darfour et rend impossible la tenue, au Soudan, de jugements conformes aux droits fondamentaux.

Les États-Unis, hostiles à cette Cour, proposent de recourir à un tribunal spécial de l’ONU et de l’Union africaine (UA), qui siégerait à Arusha (Tanzanie), au sein même du Tribunal Pénal International pour le Rwanda (TPIR) qui poursuit actuellement les responsables du génocide rwandais de 1994. Selon le gouvernement américain l’utilisation des infrastructures du TPIR permettrait de juger plus rapidement les auteurs de crimes internationaux au Darfour. Cette alternative judiciaire ne résiste pas à l’analyse.
Alors que la CPI est déjà opérationnelle, la création d’un nouveau tribunal ad hoc constituerait un processus long. 18 accusés attendent d’être jugés par le TPIR. L’utilisation des infrastructures du TPIR ne sera probablement pas possible avant 2008.
Paradoxalement, le gouvernement américain milite depuis longtemps pour une stratégie d’achèvement des travaux des deux tribunaux ad hoc qu’il juge trop lents et trop coûteux.

Par ailleurs, selon M. Boucher, porte-parole du ministère américain des Affaires étrangères, cette alternative judiciaire permettrait « d’impliquer complètement les pays africains dans ce processus et de maintenir le rôle leader de l’Union africaine au Darfour ».
Les États africains, très impliqués dans le processus de création de la CPI, ne semblent pas être de cet avis et ont reconnu la nécessité de recourir au système de la Cour. En effet, seuls trois États parties à la CPI, ont à ce jour déféré leurs situations au Procureur de la CPI, trois États africains : l’Ouganda, la République démocratique du Congo et la République centrafricaine.

En outre, la saisine de la CPI par le Conseil de sécurité ne se justifie pas seulement faute d’alternative crédible. Elle a aussi d’autres fondements.

L’ouverture immédiate d’une enquête aurait un effet dissuasif sur les auteurs des crimes internationaux au Darfour. Le mandat de la CPI satisfait aux exigences de la prévention des crimes [3]. L’activation du système de justice internationale permet d’envoyer un signal fort et immédiat à tous les acteurs du conflit, leur signifiant que désormais les actes criminels qu’ils ont pu commettre ou qu’ils entendent perpétrer engagent leur responsabilité pénale individuelle et qu’ils devront répondre de leurs actes.

Le mandat de la CPI a aussi cette singularité qu’il permet de répondre aux attentes des victimes en leur permettant de faire valoir leurs droits à la justice et à la réparation, en participant directement à la procédure devant la Cour.

La FIDH attend des États membres du Conseil qu’ils refusent de monnayer l’éventuelle abstention américaine au prix de l’immunité des ressortissants d’Etats non parties à la CPI impliqués dans des opérations onusiennes. La réactivation de « l’exception américaine », triste privilège, consentie en 2002 et 2003 par le Conseil de sécurité serait désastreuse.
La FIDH appelle le Conseil de Sécurité à saisir la CPI de la situation au Darfour et à rejeter toute résolution visant la création d’un tribunal ad hoc.

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