Dakar, Paris, 26 septembre 2024. Au Sénégal, il est interdit de mettre un terme à une grossesse même si elle est issue d’un viol. Chaque année, plus de 30 000 femmes et filles risquent leur vie et leur liberté en avortant clandestinement. « Les femmes ayant recours à un avortement encourent jusqu’à deux ans d’emprisonnement ainsi qu’une amende », rappelle Coumba Gueye, de l’Association des juristes sénégalaises (AJS). « En 2024, 11% de la population carcérale concerne les faits d’avortement et d’infanticide. Il s’agit de la deuxième cause d’incarcération des femmes et des filles au Sénégal après le trafic de stupéfiants. Trouver des solutions incombe à tous les acteurs ».
L’avortement clandestin est l’une des causes principales de décès maternels et la seule qui puisse être évitée. La direction de la santé de la mère et de l’enfant du ministère de la Santé et de l’Action sociale a déclaré avoir recensé plus de 30 000 avortements clandestins en 2020. Ces avortements, très risqués, car pratiqués en dehors des circuits médicaux, représentent la cinquième cause de décès maternels.
Pour Alice Bordaçarre, responsable du bureau des droits des femmes et égalité de genre à la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), « La pénalisation de l’avortement est présentée comme dissuasive, mais c’est un leurre. Les taux d’avortement sont similaires dans les pays où l’avortement est légal. En d’autres termes, il n’y pas moins d’avortement au Sénégal malgré la pénalisation, mais les femmes en meurent. On ne peut pas se présenter comme étant pro-vie et contre la légalisation de l’avortement ».
Maître Abibatou Samb, avocate et chargée de mission pour l’Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH), résume : « l’avortement est pratiqué au Sénégal, c’est une réalité sociale. Il faut l’encadrer car on met en danger les femmes qui le font, surtout dans l’environnement familial. Des filles avortent en avalant des tessons de bouteille, ont une hémorragie, finissent à l’hôpital et sont dénoncées ».
Le Sénégal ne respecte pas ses engagements
En 2004, l’État du Sénégal a ratifié le Protocole à la Charte africaine des droits de la femme en Afrique, dit Protocole de Maputo. Il reconnaît comme un droit fondamental l’accès à l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste. Ces dispositions n’ont toujours pas été intégrées dans le droit interne.
Fatou Bintou Thioune coordinatrice du programme égalité femme - homme de la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho), déclare : « L’État doit prendre les mesures nécessaires pour harmoniser certaines dispositions du protocole de Maputo avec le droit interne. Cela fait déjà 20 ans, on ne peut plus attendre. En signant ce protocole, le Sénégal en a pris l’engagement. Mais surtout, respecter ce protocole sauverait des vies et faciliterait la prise en charge de la santé sexuelle et reproductive des femmes et des filles sénégalaises. »
10 ans après un précédent rapport sur le sujet, les associations signataires sont sans appel : la situation a empiré au Sénégal. L’État sénégalais est ambivalent sur la question des droits des femmes et soumis à l’influence néfaste d’acteurs parfois internationaux appartenant à la mouvance anti-droits, qui instrumentalisent la question de l’avortement médicalisé à des fins politiques.
Joseph Bagne Faye, juriste au sein de la Ligue sénégalaise des droits de l’Homme (LSDH) déclare : « Les défenseur·es des droits humains qui travaillent sur ce sujet sont menacé·es. Le Sénégal a le devoir de les protéger. À quand une loi de protection ? »
Alice Mogwe, présidente de la FIDH ajoute : « le temps passe, les obligations internationales du Sénégal demeurent. En 2024, nous espérons que le renouveau politique permettra enfin le respect de l’état de droit et que le gouvernement mènera des actions concrètes pour les droits des femmes. Le Sénégal le doit aux petites filles et aux femmes du pays. Il s’y est engagé il y a 20 ans. »