Pour que le Sénégal légalise enfin l’avortement médicalisé en cas de viol et d’inceste

SEYLLOU / AFP
  • Dans leur rapport « Double peine : les survivantes de viol et d’inceste contraintes de poursuivre leur grossesse au Sénégal » la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), ses trois organisations membres au Sénégal, la Ligue sénégalaise des droits humains (LSDH), l’Organisation nationale des droits de l’Homme (ONDH) et la Rencontre africaine pour la défense des droits de l’Homme (Raddho), ainsi que leur partenaire l’Association des juristes sénégalaises (AJS), alertaient sur une situation d’une violence inacceptable à l’encontre des femmes et des filles dans le pays.
  • Les organisations livraient des recommandations aux autorités sénégalaises pour que le Protocole de Maputo, signé il y a plus de 20 ans et dont l’article 14 consacre l’accès à l’avortement médicalisé aux victimes de viol et d’inceste, soit enfin respecté.
  • La FIDH, ses trois organisations membres et son organisation partenaire au Sénégal ont mené une mission de plaidoyer en janvier 2025, pour que les nouvelles autorités sénégalaises respectent les engagements pris il y a 20 ans par l’État sénégalais. Le 24 janvier 2025, les organisations ont partagé leurs conclusions lors d’une conférence de presse.

Déclaration prononcée à Dakar, le 24 janvier 2025.

Le 12 janvier 2025, le Sénégal s’est réveillé avec une triste nouvelle : une petite fille de neuf ans vivant à Joal, victime de viol commis par un adulte chargé de son éducation, attend un enfant.

Cette affaire est précédée de faits de viols dénoncés en mars 2023 par 27 filles vivant dans la région de Diourbel, âgées de 6 à 15 ans.

Cette recrudescence des violences faites aux femmes et aux enfants est mise en exergue par l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) sénégalaise qui, en novembre 2024, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes, a publié un rapport sur la situation des violences faites aux femmes. Ce rapport indique que 31,9 % des femmes âgées de 15 ans et plus ont subi au moins une forme de violence (physique, psychologique, sexuelle ou économique) au cours des 12 derniers mois. Par ailleurs, 17,3% des femmes de 15 ans et plus ont déclaré avoir été victimes de violences sexuelles hors union au moins une fois dans leur vie.

Relativement aux victimes de violences sexuelles, en 2022, l’Association des juristes sénégalaises a pu relever que, sur 331 victimes de viols recensées, 43 % avaient entre 4 et 14 ans. Par ailleurs, entre 2016 et 2017, le Centre de guidance infantile et familiale de Dakar a recensé 97 cas de viols suivis de grossesse, avec une moyenne d’âge de 11 ans, uniquement dans la région de Dakar.

C’est dans ce contexte de multiplication des violences faites aux femmes et aux filles que la FIDH, en partenariat avec l’AJS et en étroite collaboration avec ses organisations membres, la Raddho, la LSDH et l’ONDH, a mené, en décembre 2023, une mission de documentation sur les violences sexuelles et l’application du Protocole de Maputo ratifié par le Sénégal en 2004.

Cette mission de documentation a donné naissance au rapport intitulé « Double peine : les survivantes de viol et d’inceste contraintes de poursuivre leur grossesse au Sénégal » qui analyse les obstacles à la légalisation de l’avortement médicalisé en cas d’inceste ou de viol au Sénégal et fournit des recommandations pour que les autorités respectent leurs engagements en matière de droits des femmes.

Il ressort de ce rapport que, chaque année, dans notre pays, plus de 30 000 femmes et filles risquent leur vie et leur liberté en avortant clandestinement. L’avortement clandestin est l’une des causes principales de décès maternels au Sénégal et les femmes y ayant recours, quand elles survivent, encourent jusqu’à deux ans d’emprisonnement. En 2024, 11% de la population carcérale concerne les faits d’avortement et d’infanticide, il s’agit de la deuxième cause d’incarcération des femmes et des filles. Suite à la diffusion de ce rapport en septembre 2024, et en considération de la nouvelle alternance politique, la FIDH, ses organisations membres (LSDH, ONDH, Raddho) et l’AJS ont souhaité rencontrer les nouvelles autorités pour leur présenter les conclusions du rapport et les sensibiliser sur la nécessité de faire appliquer le Protocole de Maputo pour aider à la prise en charge médicale de nos femmes et de nos filles victimes de viols ou d’inceste suivi de grossesse.

En conclusion à la mission de plaidoyer qui prend fin ce jour, la FIDH, ses trois organisations membres au Sénégal -la LSDH, l’ONDH et la Radddho-, ainsi que leur partenaire de longue date l’AJS, demandent au gouvernement sénégalais de :

 prendre les dispositions législatives et judiciaires nécessaires pour une meilleure protection des femmes et des filles victimes de violences physiques, sexuelles, psychologiques, économiques ;
 mettre en place un dispositif efficace d’assistance juridique et judiciaire des victimes de viols et d’inceste, notamment par la mise en place d’un service d’assistance juridique spécifiquement dédiée à leur accompagnement ;
 prendre les mesures législatives nécessaires pour la mise en conformité des dispositions nationales aux engagements pris en 2004 par l’État sénégalais en ratifiant sans réserve le Protocole de Maputo dont l’article 14 prévoit l’accès à l’avortement médicalisé aux victimes de viol et d’inceste, ou lorsque la vie ou la santé de la mère ou du fœtus sont en danger ;
 veiller à l’effectivité de l’application des peines prononcées à l’encontre des auteurs de faits de violences à l’égard des femmes et des filles.

La FIDH et ses organisations membres (LSDH, ONDH, Raddho), en partenariat avec l’AJS, saluent les militants et militantes au courage remarquable qui continuent leur combat pour la légalisation de l’avortement médicalisé au Sénégal en cas d’inceste ou de viol et luttent pour l’universalité des droits des femmes et des filles malgré les nombreuses menaces et attaques à leur encontre.

En 2025, il est urgent que le gouvernement s’exprime sur le sujet, garantisse le respect de l’état de droit et mène des actions concrètes pour la promotion et une meilleure protection des droits des femmes.

Le Sénégal le doit aux petites filles et aux femmes du pays. Il s’y est engagé il y a 20 ans.

Lire la suite