Paris - 24 juillet 2024. Évidemment aucune surprise, malgré un semblant de compétition, pour la forme. Paul Kagame est réélu pour son quatrième mandat. Les élections rwandaises étaient verrouillées. La démocratie et le choix des électeurs et des électrices ne sont certainement pas au cœur de la vie politique du pays. Paul Kagame poursuit donc son règne, lui qui exerce le pouvoir depuis 1994. Les résultats définitifs des élections présidentielle et législatives devraient être rendus publics le 27 juillet 2024, mais les résultats provisoires affichent déjà une écrasante victoire du Front patriotique rwandais (FPR), le parti au pouvoir depuis la fin du génocide des Tutsis au Rwanda, en 1994.
Les résultats de l’élection présidentielle de 2024 rappellent ceux de 2017. Les mêmes candidats s’affrontaient et pour des résultats similaires. Paul Kagame a même vu son score passé à la hausse, avec 99,18% des voix, contre 98,79 % en 2017. Les deux opposants de Paul Kagame avaient déjà obtenu des scores anecdotiques, moins de 1 % des voix chacun. Les deux candidats avaient déclaré en 2017 être victimes de harcèlement et la cible de menaces et d’intimidations.
Quant aux élections législatives, elles donnent, pour le moment, 68,83% au parti FPR, assurant ainsi une majorité absolue à l’Assemblée nationale.
Un règne interminable, une démocratie inexistante
Réélu systématiquement avec des scores dépassant à chaque fois 90 % des suffrages exprimés, Paul Kagame, 66 ans, dirige le Rwanda d’une main de fer depuis 30 ans. Cette confiscation du pouvoir a été rendue possible par la réforme constitutionnelle de 2015, qui a autorisé Paul Kagame à effectuer un 4e et un 5e mandat. En effet, cette réforme constitutionnelle a réduit la durée du mandat présidentiel à cinq ans, renouvelable une fois. Après une période transitoire de sept ans (2017 - 2024), les compteurs pour Paul Kagame ont été remis à zéro, lui permettant donc de se présenter à l’élection cette année (2024) et à la prochaine (2029), ce qui le maintiendrait potentiellement au pouvoir jusqu’en 2034.
Les élections de 2024 ont été, à l’instar des précédentes, marquées par le musellement des forces politiques d’opposition. Afin d’empêcher l’émergence d’une réelle alternative politique, le gouvernement entrave par différents procédés toute vie démocratique. Le Parti FDU Inkingi, autrefois présidé par Victoire Ingabire Umuhoza, le parti Développement et liberté pour tous (Dalfa-Umurinzi), actuellement présidé par cette dernière, ou encore le Parti social Imberakuri, enregistré en 2009 mais dont le fondateur Bernard Ntaganda a été écarté, n’ont jamais pu réellement concourir aux élections. Les procédures d’enregistrement de ces partis n’ont pas abouti, depuis 2010 pour le FDU Inkingi et 2019 pour Dalfa Umurinzi. La Haute Cour rwandaise a refusé la réhabilitation légale dans la vie politique de Victoire Ingabire Umuhoza le 13 mars 2024 et celle de Bernard Ntaganda le 14 mai 2024. Diane Rwigara, en qualité de candidate indépendante et à la tête du Mouvement pour le salut du peuple, s’est aussi vue interdire la possibilité de se présenter aux élections en 2017 puis en 2024 par la commission électorale.
Ces obstacles ne sont pas nouveaux. Créé en 2009, le Parti démocratique vert a attendu quatre ans pour recevoir son enregistrement en 2013. C’est encore après plusieurs années qu’il a pu participer à l’élection présidentielle de 2024. Une exception, puisque les autres partis n’ont jamais pu atteindre ce stade. Outre ces obstacles administratifs, les membres des partis d’opposition sont constamment menacé·es, subissant arrestations et détentions arbitraires, et disparitions forcées lorsqu’ils ou elles ne sont pas tué·es, comme l’assistant de Victoire Ingabire Umuhoza en 2019. Dans la quasi totalité des cas de violations contre des opposant·es politiques, aucune enquête officielle ni indépendante n’a été menée.
Verrouillage de l’espace civique et pratique autoritaire
Au-delà des acteurs et actrices politiques de l’opposition, l’espace civique rwandais est entièrement restreint et contrôlé par le FPR. En intensifiant le contrôle des sphères politiques, économiques et médiatiques et en restreignant toujours davantage l’espace civique et démocratique, le gouvernement continue d’attenter aux libertés fondamentales. Deux rapports d’analyse de la FIDH : Rwanda : La démocratie mise sous tutelle (2017) et Au Rwanda, un espace civique et démocratique sous le contrôle total du parti unique FPR (2022) mettent en lumière les moyens employés pour se maintenir au pouvoir et entraver les droits civils et politiques.
Entre les violations des droits aux libertés d’expression, d’association et de réunion, cumulées à la répression, à la mise au pas des associations, à la fermeture de l’espace médiatique, au contrôle de l’économie, le paysage politique et civique rwandais est sous contrôle total du FPR. Les arrestations, les intimidations, les détentions arbitraires, les disparitions forcées et les morts suspectes se multiplient. Les voix dissidentes et indépendantes, journalistes comme activistes, n’existent quasiment plus. Les rares activistes préservant encore leur indépendance n’ont d’autres choix que ceux de la prudence, de la discrétion ou de l’exil.
Nouveau mandat : l’urgence de replacer les droits humains et les libertés fondamentales au cœur des priorités
Bien que sans surprise, ce nouveau mandat présidentiel est l’occasion pour la FIDH et l’ODHR de réitérer aux autorités élues et aux partenaires du Rwanda leurs vives préoccupations face à cette situation délétère. Pour garantir une paix et un développement durables, elles appellent l’État rwandais à :
– ouvrir son espace civique et démocratique ;
– lever les restrictions aux libertés publiques et garantir leur respect ;
– assurer les conditions d’une réelle diversité politique et d’une compétition véritable, pour permettre aux citoyen·nes rwandais·es d’exercer un droit de vote effectif, de choisir librement leurs dirigeant·es lors d’élections libres, justes et transparentes ;
– mener des enquêtes indépendantes sur les assassinats politiques et les disparitions suspectes d’opposant·es.
« À l’orée de ce nouveau mandat, nous restons très préoccupé·es face aux dérives autoritaires constantes du régime qui visent à verrouiller l’espace démocratique et musellent toute opposition depuis plusieurs décennies. Il est primordial que le gouvernement rwandais replace au cœur de son programme des mesures effectives pour le respect des droits humains, notamment en matière de lutte contre l’impunité et de promotion de la liberté d’expression. Il incombe aussi aux partenaires internationaux du Rwanda, tant sur le plan juridique que moral, d’encourager et de conditionner leur relation avec ce gouvernement à la mise en œuvre de ces mesures progressistes. Seule une réouverture effective d’un espace démocratique pacifique et respectueux des droits humains permettra au Rwanda de répondre de ses engagements juridiques internationaux ». Alice Mogwe, présidente de la FIDH
Enfin, la FIDH et l’ODHR demandent la condamnation publique par les partenaires du Rwanda, des attaques de son armée en République démocratique du Congo (RDC), ainsi que de son soutien à des milices, en particulier au M23, régulièrement responsables de massacres, de viols de masse et d’innombrables crimes qui ne peuvent rester impunis. À ce titre, la FIDH et l’ODHR appellent à la suspension immédiate de l’aide militaire à l’armée rwandaise apportée dans le cadre de la Facilité européenne pour la paix et exhortent l’Union européenne à conditionner son soutien à un engagement préalable de retrait du soutien de l’armée rwandaise au M23 et au respect des droits humains en général dans le pays comme à l’étranger.