Un tribunal militaire suisse condamne un auteur du génocide rwandais

27/05/1999
Rapport

Du 12 au 30 avril 1999, s’est déroulé, devant le Tribunal
militaire de Lausanne, le procès de l’ancien bourgmestre
de la commune Mushubati, préfecture de Gitarama,
Monsieur Fulgence Niyonteze.

Réfugié en Suisse depuis
la fin du génocide des Rwandais Tutsi et les massacres
des Rwandais Hutu modérés qui, au printemps 1994,
ont fait près d’un million de victimes, Fulgence Niyonteze,
était en mission en France au moment du déclenchement
du génocide. Il a rejoint son poste le 18 mai 1994, en
plein génocide.

La Suisse n’ayant pas ratifié la Convention sur le
génocide, la justice helvétique a poursuivi Fulgence
Niyonteze sur la base des Conventions de Genève de
1949. L’auditeur militaire suisse, le major Claude Nicati,
a méthodiquement exposé aux sept magistrats le cadre
historique du génocide rwandais, la façon dont les
autorités administratives et politiques ont participé au
génocide et surtout comment elles ont entraîné une
grande partie de la population dans un plan génocidaire
conçu par une élite qui, pour se maintenir au pouvoir,
était prête à tout. Sans connaître le Kinyarwanda, mais
fort de l’expérience acquise au cours de différents séjours
sur le terrain au Rwanda, l’auditeur militaire a, entre
autres, expliqué aux magistrats du Tribunal la signification
le sens des termes "débroussailler, travailler" qui, à
l’époque, signifiaient tout simplement exterminer les
Tutsi.

Les avocats de la défense ont tenté de discréditer
l’accusation en soulignant les divergences et les
discordances existant entre les récits des témoins venus
directement du Rwanda. Rescapés du génocide, les
témoins rwandais, venus directement de leurs collines,
éprouvaient des difficultés à se rappeler, cinq après, les
détails sur les dates, les endroits et les distances,
éléments que voulaient exploiter les avocats suisses de
l’accusé. Comme l’a écrit le journaliste Michel Audétat
dans l’Hebdo (29 avril 1999), "pour nécessaire qu’il soit,
le procès d’un présumé criminel de guerre rwandais
devant un tribunal militaire suisse a fait apparaître un
profond fossé culturel".

La défense, se basant sur des témoignages de rwandais
vivant en Europe, à majorité des réfugiés politiques Hutu,
a invoqué "les syndicats des délateurs". La stratégie dite
des "syndicats des délateurs" est devenue une arme
commune utilisée par tous ceux qui défendent les auteurs
présumés du génocide rwandais et les demandeurs
d’asile suspectés de participation au génocide. S’il est
vrai que la délation existe au Rwanda, il est par contre
révoltant d’en faire un phénomène de société chez les
rescapés du génocide qui réclament que justice leur soit
faite. Parlant des témoins venus du Rwanda, le Président
du Tribunal militaire de Lausanne a qualifié leurs
déclarations de "sincères, honnêtes, courageuses,
étonnantes, exemptes de désir de vengeance".

Le 30 avril 1999, le Tribunal a rendu son verdict,
condamnant Fulgence Niyonteze à la réclusion à vie, peine
prévue par l’article 116 du Code pénal militaire suisse.
Les infractions retenues ont été l’assassinat, l’instigation
à l’assassinat et les infractions graves aux dispositions
des Conventions de Genève.

La FIDH avait mandaté Maître Patricia Jaspis, du Barreau
de Bruxelles, pour observer ce procès, le premier à se
dérouler devant une juridiction nationale, en dehors des
juridictions rwandaises et du Tribunal pénal international
pour le Rwanda. Son rapport est attendu avec beaucoup
d’impatience par tous ceux qui sont impliqués dans la
lutte contre l’impunité dont jouissent les auteurs des
crimes contre l’humanité. La justice suisse, en jugeant
un auteur présumé du génocide rwandais, a lancé un
signal for t aux autres pays qui ont donné l’asile aux
auteurs présumés du génocide.

Comme le disait récemment, au Palais des Congrès de
Bruxelles, Monsieur Robert Badinter, la conscience
universelle ne peut plus supporter que les auteurs des
crimes contre l’humanité passent le reste de leur vie à
pécher le poisson le week-end dans les lacs des pays
d’asile. Où qu’ils se trouvent, les auteurs des crimes
contre l’humanité doivent être traqués. Il y va de l’avenir
de l’humanité.

François-Xavier Nsanzuwera

Secrétaire général de la FIDH

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