Quelle justice pour le génocide rwandais ?

Huit ans après, la Communauté internationale se souvient toujours avec un complexe de culpabilité du génocide rwandais du
printemps 1994. En effet, ce génocide qui a coûté la vie à des centaines de milliers de victimes s’est déroulé en présence des
casques bleus des Nations unies paralysés par la bureaucratie onusienne et la campagne de retrait des casques bleus menée
par le gouvernement belge de l’époque.
Le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité créait le Tribunal pénal international pour le Rwanda, chargé de juger les
personnes présumées responsables d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire
commis sur le territoire du Rwanda ainsi que les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations commis
sur le territoire d’Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.
Ce tribunal connut des débuts difficiles : manque de moyens financiers, personnel insuffisant au début, puis nombre de
dysfonctionnements au moment même où il disposait d’assez de moyens humains et financiers. On a parlé entre autres des
lenteurs de procédure, de l’incompétence de certains membres du bureau du procureur, de mauvais traitements de témoins,
de partages d’honoraires entre avocats de la défense et leurs clients, de la présence des membres de famille ou d’anciens
collaborateurs voire de suspects du génocide dans les équipes de la défense. Ces derniers se sont plaints de l’inégalité des
moyens entre la défense et le bureau du procureur. Mais la plupart de ces problèmes a connu des améliorations et d’autres
ont reçu des solutions avec l’arrivée d’un nouveau greffier, le Sénégalais Adama Dieng, ancien Secrétaire général de la CIJ,
défenseur des droits de l’Homme reconnu pour sa connaissance du problème rwandais et de la problématique de la justice
internationale.

Au niveau des poursuites, le Bureau du
Procureur a accéléré les accusations,
s’attaquant aux principaux dossiers
comme le dossier des militaires dont le
leader est le fameux colonel Théoneste
Bagosora. Mais les déclarations récentes
selon lesquelles le Tribunal pénal
international pour le Rwanda devra
fermer ses portes en 2008
soulèvent beaucoup
d’interrogations chez les victimes
et chez les défenseurs des droits
de l’Homme. Quels sont les
facteurs qui prêchent en faveur de
cette solution ?

Certains avancent que le TPIR
devrait clôre son travail en 2008,
mettant surtout en lumière la
valeur d’exemplarité de toute
justice pénale. Il est en effet
légitime de se poser la question de
la valeur d’exemplarité d’une
justice pénale internationale qui
intervient longtemps après les
crimes, alors que les témoins n’ont plus
toujours des souvenirs précis des
événements, et que les magistrats ont du
mal à comprendre le contexte des faits
incriminés. Mais c’est ignorer que malgré
son maigre bilan, le Tribunal pénal
international pour le Rwanda maîtrise de
plus en plus le contexte du génocide
rwandais, sans oublier que sur le plan
jurisprudentiel c’est ce tribunal qui, pour
la première fois dans l’histoire de
l’humanité, a condamné un prévenu pour
crime de génocide. Les mêmes tenants
de cette thèse de sortie du TPIR en 2008
avancent que le Rwanda est aujourd’hui
capable de juger tous les présumés
auteurs du génocide. C’est ignorer que
les prisons rwandaises hébergent
toujours plus de cent mille prévenus. Les
juridictions gacaca, qui sont la seule
alternative acceptable à l’incapacité de la
justice rwandaise classique à juger les
présumés auteurs du génocide, ne seront
pas compétentes pour juger les cerveaux
du génocide rwandais. Donc, ce dernier
argument ne tient pas. Sans oublier que
le Rwanda pratique toujours la peine de
mort dans sa législation pénale.
Nous pensons que, malgré son bilan qui
génère des frustrations chez les rescapés
du génocide, le Tribunal pénal
international pour le Rwanda a encore
une mission à remplir, à peine
commencée avec les neuf
jugements prononcés. La
Résolution 1165 (1998)
donne au TPIR une mission de
stabilisation du Rwanda et de
la région. En effet, cette
résolution stipule que "dans
les circonstances
particulières qui règnent au
Rwanda, des poursuites
contre les personnes
présumées responsables de
violations graves du Droit
international humanitaire
contribueraient au processus
de réconciliation nationale
ainsi qu’au rétablissement et au maintien
de la paix au Rwanda et dans la région".
Malheureusement, on parle très peu de
cet élément.

Cette mission de réconciliation des
Rwandais ne peut aboutir que si le TPIR
remplit tout son mandat, à savoir juger
les auteurs présumés du génocide, les
auteurs des crimes contre l’humanité et
les auteurs des violations de l’article 3
commun aux Conventions de Genève et au
Protocole additionnel II. Or, se trouvent
dans cette dernière catégorie les militaires
du Front patriotique rwandais qui ont tué
des populations civiles entre le 1er janvier
et le 31 décembre 1994. Jusqu’à
maintenant aucun militaire du FPR n’a été
poursuivi, ce qui pousse les extrémistes
Hutu à accuser de partialité le TPIR. En
2008, au rythme actuel des procès,
Arusha n’aura pas atteint le nombre de
personnes jugées par le Tribunal militaire
de Nuremberg. Pouvons-nous nous
permettre un bilan inférieur à celui de
Nuremberg malgré les progrès réalisés en
matière de justice internationale ? La
question reste posée.

Il est vrai aussi que le TPIR ne pourra pas
juger tous les cerveaux du génocide
rwandais et tous les criminels de guerre de
cette période la plus tragique du Rwanda.
C’est pour cela que les défenseurs des
droits de l’Homme se battent pour que les
juridictions nationales adoptent dans leurs
législations nationales le principe de
compétence universelle leur permettant de
juger des criminels contre l’humanité quelle
que soit leur nationalité. Mais on connaît
également les réticences des
gouvernements à juger des criminels contre
l’humanité qui ne sont pas leurs nationaux.

Le Tribunal pénal international pour le
Rwanda ne pourra jamais écrire toute
l’histoire de la tragédie rwandaise, de sa
genèse, de sa réalisation, comme l’a bien
dit Madame Carla Del Ponte lors de
l’ouverture du procès dit des militaires le 2
avril 2002 à Arusha. Mais ce tribunal
contribuera énormément à la lutte contre
l’impunité devenue une culture politique
dans la région des Grands lacs. Si ce
tribunal parvient à juger les cerveaux du
génocide des rwandais tutsi et les grands
criminels de guerre des deux camps, il
donnera un grand élan au processus de
réconciliation nationale. En jugeant les
criminels de guerre des deux camps, ce
tribunal amènera toutes les victimes
rwandaises à sortir de leur concurrence
qui bloque actuellement une véritable
réconciliation entre tous les Rwandais.

François-Xavier Nsanzuwera

Ancien Procureur de la
République au Rwanda
Secrétaire général de la FIDH

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  • Co-signataires

    Le Tribunal pénal international pour le Rwanda a été créé le 8 novembre 1994 par une résolution du Conseil de sécurité, agissant au titre
    du Chapitre 7 de la Charte des Nations Unies. La création d’un Tribunal chargé de juger les auteurs des crimes commis vise également à
    contribuer au processus de réconciliation nationale au Rwanda et au maintien de la paix dans la région.
    Le Tribunal est compétent pour juger les personnes présumées responsables d’actes de génocide et autres violations graves du droit
    international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais présumés responsables de tels actes ou violations
    du droit international commis sur le territoire d’Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994.
    Le Tribunal, basé à Arusha en République de Tanzanie, est présidé par le juge Navanathem Pillay et co-présidé par le juge Mose. Il est
    composé de trois chambres de première instance, d’une chambre d’appel, d’un bureau du Procureur, Madame Carla Del Ponte, et d’un
    procureur adjoint basé à Kigali, ainsi que d’un greffe nouvellement dirigé par Monsieur Adama Dieng.

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