Au niveau des poursuites, le Bureau du
Procureur a accéléré les accusations,
s’attaquant aux principaux dossiers
comme le dossier des militaires dont le
leader est le fameux colonel Théoneste
Bagosora. Mais les déclarations récentes
selon lesquelles le Tribunal pénal
international pour le Rwanda devra
fermer ses portes en 2008
soulèvent beaucoup
d’interrogations chez les victimes
et chez les défenseurs des droits
de l’Homme. Quels sont les
facteurs qui prêchent en faveur de
cette solution ?
Certains avancent que le TPIR
devrait clôre son travail en 2008,
mettant surtout en lumière la
valeur d’exemplarité de toute
justice pénale. Il est en effet
légitime de se poser la question de
la valeur d’exemplarité d’une
justice pénale internationale qui
intervient longtemps après les
crimes, alors que les témoins n’ont plus
toujours des souvenirs précis des
événements, et que les magistrats ont du
mal à comprendre le contexte des faits
incriminés. Mais c’est ignorer que malgré
son maigre bilan, le Tribunal pénal
international pour le Rwanda maîtrise de
plus en plus le contexte du génocide
rwandais, sans oublier que sur le plan
jurisprudentiel c’est ce tribunal qui, pour
la première fois dans l’histoire de
l’humanité, a condamné un prévenu pour
crime de génocide. Les mêmes tenants
de cette thèse de sortie du TPIR en 2008
avancent que le Rwanda est aujourd’hui
capable de juger tous les présumés
auteurs du génocide. C’est ignorer que
les prisons rwandaises hébergent
toujours plus de cent mille prévenus. Les
juridictions gacaca, qui sont la seule
alternative acceptable à l’incapacité de la
justice rwandaise classique à juger les
présumés auteurs du génocide, ne seront
pas compétentes pour juger les cerveaux
du génocide rwandais. Donc, ce dernier
argument ne tient pas. Sans oublier que
le Rwanda pratique toujours la peine de
mort dans sa législation pénale.
Nous pensons que, malgré son bilan qui
génère des frustrations chez les rescapés
du génocide, le Tribunal pénal
international pour le Rwanda a encore
une mission à remplir, à peine
commencée avec les neuf
jugements prononcés. La
Résolution 1165 (1998)
donne au TPIR une mission de
stabilisation du Rwanda et de
la région. En effet, cette
résolution stipule que "dans
les circonstances
particulières qui règnent au
Rwanda, des poursuites
contre les personnes
présumées responsables de
violations graves du Droit
international humanitaire
contribueraient au processus
de réconciliation nationale
ainsi qu’au rétablissement et au maintien
de la paix au Rwanda et dans la région".
Malheureusement, on parle très peu de
cet élément.
Cette mission de réconciliation des
Rwandais ne peut aboutir que si le TPIR
remplit tout son mandat, à savoir juger
les auteurs présumés du génocide, les
auteurs des crimes contre l’humanité et
les auteurs des violations de l’article 3
commun aux Conventions de Genève et au
Protocole additionnel II. Or, se trouvent
dans cette dernière catégorie les militaires
du Front patriotique rwandais qui ont tué
des populations civiles entre le 1er janvier
et le 31 décembre 1994. Jusqu’à
maintenant aucun militaire du FPR n’a été
poursuivi, ce qui pousse les extrémistes
Hutu à accuser de partialité le TPIR. En
2008, au rythme actuel des procès,
Arusha n’aura pas atteint le nombre de
personnes jugées par le Tribunal militaire
de Nuremberg. Pouvons-nous nous
permettre un bilan inférieur à celui de
Nuremberg malgré les progrès réalisés en
matière de justice internationale ? La
question reste posée.
Il est vrai aussi que le TPIR ne pourra pas
juger tous les cerveaux du génocide
rwandais et tous les criminels de guerre de
cette période la plus tragique du Rwanda.
C’est pour cela que les défenseurs des
droits de l’Homme se battent pour que les
juridictions nationales adoptent dans leurs
législations nationales le principe de
compétence universelle leur permettant de
juger des criminels contre l’humanité quelle
que soit leur nationalité. Mais on connaît
également les réticences des
gouvernements à juger des criminels contre
l’humanité qui ne sont pas leurs nationaux.
Le Tribunal pénal international pour le
Rwanda ne pourra jamais écrire toute
l’histoire de la tragédie rwandaise, de sa
genèse, de sa réalisation, comme l’a bien
dit Madame Carla Del Ponte lors de
l’ouverture du procès dit des militaires le 2
avril 2002 à Arusha. Mais ce tribunal
contribuera énormément à la lutte contre
l’impunité devenue une culture politique
dans la région des Grands lacs. Si ce
tribunal parvient à juger les cerveaux du
génocide des rwandais tutsi et les grands
criminels de guerre des deux camps, il
donnera un grand élan au processus de
réconciliation nationale. En jugeant les
criminels de guerre des deux camps, ce
tribunal amènera toutes les victimes
rwandaises à sortir de leur concurrence
qui bloque actuellement une véritable
réconciliation entre tous les Rwandais.
François-Xavier Nsanzuwera
Ancien Procureur de la
République au Rwanda
Secrétaire général de la FIDH