Faute avouée... ?

06/04/2003
Rapport

En avril 1994 débutait sur les collines
du Rwanda le génocide des Rwandais
tutsis et l’assassinat systématique des
Rwandais hutus en désaccord avec le
pouvoir en place ou tout simplement
qui s’opposaient aux massacres.

Des
centaines de milliers de gens ont été
torturés, violés, massacrés en moins de
quatre mois. Face à ces crimes, la
communauté internationale a mis en
place le Tribunal pénal international
pour le Rwanda (TPIR), qui siège à
Arusha et qui a jugé aujourd’hui neuf
personnes et instruit les procès de
plusieurs dizaines de prévenus de
génocide et de crimes contre l’humanité.
Au Rwanda, des milliers de détenus
croupissent dans les prisons, et les
procédures mises en place après le
génocide pour juger les prévenus n’ont
permis de traiter qu’un nombre
insuffisant de dossiers.

Dans sa position commune du 13 juillet
1999, le Conseil de l’Union européenne
avait demandé au Rwanda de choisir la
clémence comme principe général, et de
sensibiliser la population, et en
particulier les survivants du génocide, à
ce principe comme moyen de régler à la
fois les problèmes de l’impunité et du
grand nombre de personnes qui
attendent leurs procès en prison dans
des conditions de détention précaire.
Pour répondre à cette situation les
autorités rwandaises ont eu recours à
une forme de justice "traditionnelle", la
gacaca, qui aujourd’hui apparaît comme
la seule alternative raisonnable au
système de justice équitable au
Rwanda.

En 2001, le Rwanda a adopté la loi
créant les juridictions populaires dites
gacaca. Plus de 200.000 Juges-citoyens
furent élus par la population. Ces
dizaines de milliers de juges étaient
appelés à siéger dans plus de 10.000
juridictions.
La procédure d’aveu est la pierre
angulaire de tout le système : c’est cette
procédure qui détermine la
catégorisation des accusés en quatre
catégories distinctes [1]

et l’échelle des
peines encourues. En instituant cette
procédure, le gouvernement rwandais
espérait que les procès allaient être
rapides et ainsi éviter les détentions
préventives prolongées. Rappelons
qu’officiellement, on reconnaît avoir jugé
plus ou moins 7.000 prisonniers sur une
population carcérale estimée
aujourd’hui à 105.000 détenus.

Les personnes ayant avoué, avant d’être
mises sur la liste des criminels ou
pendant leurs procès, bénéficient d’une
très forte commutation de la peine
comparativement aux peines prévues
par le Code pénal ordinaire [2].. Ainsi, les
prévenus classés dans la 1ère catégorie
qui encourent la peine de mort passent
à la 2ème catégorie s’ils avouent avant
d’être mis sur la liste des auteurs du
génocide. De même, les accusés de la
2ème catégorie, qui normalement
encourent une peine comprise entre 25
ans d’emprisonnement et la perpétuité,
seront punis d’une peine allant de 7 à
12 ans d’emprisonnement, dont seule la
moitié sera passée en prison (le reste
étant commué en prestations d’intérêt
général) si l’aveu a été fait avant la
constitution de la liste des accusés.

Le 1er janvier 2003, le Président de la
République du Rwanda a demandé la
libération provisoire de plus ou moins
40.000 prisonniers poursuivis de
génocide, ayant "avoué". Cette mesure
concerne également les malades, les
mineurs au moment des faits et les
personnes âgées. Cette mesure paraît
juridiquement défendable : en effet, la
majorité des prisonniers libérés
viennent de passer plus de 8 ans en
prison, alors que le maximum de la
peine encourue pour des accusés de
2ème catégorie en cas d’aveu est de 7 à
12 ans. Ces accusés risquaient ainsi de
passer en détention préventive plus de
temps que la peine prévue par la loi.
Pourtant, cette mesure a été accueillie
comme une bombe par les rescapés du
génocide qui n’avaient pas été préparés
à une telle mesure. Le président de la
République a en effet pris cette décision
le jour de nouvel an, jour que ses
prédécesseurs prenaient comme une
occasion d’accorder une grâce
présidentielle, et au moment où on
attend les premières élections
présidentielles depuis la fin du génocide
des Tutsi. Ces raisons, mêlées à
l’opposition du président de la
République de poursuivre les militaires
de son armée impliqués dans les crimes
de guerre, ont fait penser aux rescapés
du génocide que cette mesure
constituait une amnistie déguisée : on
ne poursuit pas les militaires de l’APR
qui ont commis des crimes de guerre et
on libère les génocidaires !

Par ailleurs, les procureurs ont tenté de
convaincre les prisonniers de recourir à
l’aveu en soulignant les avantages de la
procédure. Même si les aveux doivent
être détaillés avant d’être recevables [3],
les procédures mises en place laissent
les rescapés s’interroger sur la sincérité
des aveux des accusés qui ont été
ensuite libérés. Les rescapés ont besoin
d’aveux et de pardons sincères. Que les
bourreaux de leurs familles
reconnaissent l’horreur commise. Mais
les autorités judiciaires semblent
poursuivre un autre but : avoir le
maximum d’aveux. Et puis il faut éviter
qu’une telle volonté et une telle décision
ne soit un piège pour les prévenus
innocents qui seraient obligés d’ "avouer
quelque chose" pour bénéficier des
avantages du système. Certains
procureurs de la République auraient
commencé à s’occuper de ces cas de
prévenus innocents mais officiellement
et publiquement une telle mesure n’a
pas encore été annoncée.

Même si la volonté politique de
connaître la vérité sur ce qui s’est passé
au Rwanda est forte, la libération des
prisonniers ayant avoué, sans discours
politique expliquant son bien fondé, ne
semble pas favoriser le bon
fonctionnement de la justice au Rwanda.
Il faut éviter le risque d’oublier les
innocents emprisonnés qui n’ont rien à
avouer. Il faudra également veiller à ce
que l’aveu ne soit une arme de
culpabilisation globale de toute une
communauté ethnique par des politiciens
qui seraient mal intentionnés. L’aveu doit
être avant tout une voie pour la
réconciliation nationale et pour la
recherche de la vérité sur ce qui s’est
passé au Rwanda en 1994.

François-Xavier Nsanzuwera

Secrétaire général de la FIDH

Lire la suite