Résolution d’urgence sur les élections et la gouvernance en Afrique

27/08/2016
Déclaration
en es fr

Présentée par la Ligue des électeurs (LE), le Groupe Lotus (GL), l’Association congolaise des droits de l’Homme (ASADHO) et la Maison des droits de l’Homme au Cameroun (MDHC)

Réaffirmant l’importance de tenir des élections pacifiques, transparentes, libres, justes et équitables et organisées par des institutions indépendantes comme l’un des fondements de tout État de droit et d’une vie politique apaisée ;

Insistant sur le droit inaliénable des peuples à choisir librement leurs dirigeants au cours de scrutins libres, indépendants, transparents et apaisés, quels que soient les contextes et enjeux sécuritaires, politiques ou sociaux ;

Considérant que le droit inaliénable des peuples à choisir librement leurs dirigeants au cours de scrutins réguliers, libres, transparents et apaisés est d’une importance cruciale pour assurer le droit et la possibilité de tout citoyen de participer, sans aucune discrimination et sans restriction déraisonnable, des citoyens, et particulièrement des femmes et des jeunes, de la société civile, des défenseurs des droits humains et mouvements citoyens, de prendre part à la direction des affaires publiques, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis ; de voter et d’être élu, au cours d’élections périodiques, honnêtes, au suffrage universel et égal et au scrutin secret, assurant l’expression libre de la volonté des électeurs ; d’accéder, dans des conditions générales d’égalité, aux fonctions publiques de son pays ;

Rappelant qu’entre 2016 et 2018, 34 élections, dont 16 élections présidentielles, doivent se tenir dans 21 pays africains, dont notamment celles organisées au Gabon, en République démocratique du Congo, en Gambie, au Rwanda, au Kenya, au Cameroun et au Zimbabwe ;

Rappelant les principes du cadre politique et institutionnel en matière de promotion de la gouvernance et des droits humains de l’Union africaine, notamment garantis par l’Acte constitutif de l’Union africaine ; la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (Charte africaine) qui dispose en son article 13 (1) que « tous les citoyens ont le droit de participer librement à la direction des affaires publiques de leur pays, soit directement, soit par l’intermédiaire de représentants librement choisis, ce, conformément aux règles édictées par la loi » ; et la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) qui souligne l’importance de consolider sur le continent une culture d’alternance politique fondée sur la tenue régulière d’élections transparentes, libres et justes, conduites par des organes électoraux nationaux, indépendants, compétents et impartiaux ;

Rappelant les différentes résolutions de la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP) sur le processus électoral et la gouvernance participative en Afrique, notamment la résolution CADHP/Rés. 293 (EXT.OS/XVII) 2015 dans laquelle la Commission « reconnaiss[ait] que la crédibilité du processus électoral et la légitimité des autorités issues de cet exercice dépendent fortement de la participation effective des citoyens dans un processus transparent et équitable, ainsi que le respect de leurs libertés fondamentales d’expression, d’association et de réunion » ainsi que les résolutions CADHP/Rés. 272 (LV) 2014, CADHP/Rés. 232 (EXT.OS/XIII) 2013, CADHP/Rés.239 (EXT.OS/XIV) 2013, et CADHP/Rés. 184 (EXT.OS/IX) 2011 ;

Rappelant également les différentes résolutions de la CADHP sur le respect des libertés d’expression, d’association, de réunion et sur la protection des défenseurs des droits de l’Homme en Afrique ;

Extrêmement préoccupée par la détérioration du contexte pré-électoral et sécuritaire au Gabon ces dernières semaines, notamment caractérisé par des tensions politiques liées aux nombreux recours contre la validité de la candidature d’Ali Bongo, président sortant, introduits par l’opposition et rejetés par la Cour constitutionnelle le 25 juillet dernier, mais également aux allégations de fraudes et corruption ayant émaillées la préparation du fichier électoral pour l’élection du 27 août 2016. Condamnant la violente répression par les forces de l’ordre de la manifestation pacifique organisée par l’opposition politique le 23 juillet 2016, au cours de laquelle des dizaines de manifestants ont été blessés, y compris par balle, et une dizaine d’autres arrêtés. Rappelant aux autorités politiques ainsi qu’à tous les acteurs impliqués leurs responsabilités afin d’assurer le bon déroulement de l’échéance électorale du 27 août prochain et éviter toute escalade de la violence pouvant résulter en la commission de violations des droits humains ;

Profondément préoccupée par la situation politique et sécuritaire prévalant en République démocratique du Congo, où le contexte pré-électoral tendu est marqué par l’absence de tout dialogue politique national, notamment s’agissant de l’organisation de l’élection présidentielle prévue pour cette année 2016. Condamnant l’intensification des attaques du pouvoir à l’encontre de l’opposition politique et de la société civile indépendante et notamment de ceux qui dénoncent les tentatives du Président Kabila de briguer un troisième mandat en dépit de la Constitution congolaise, sous la forme d’arrestations et de détentions arbitraires, d’actes d’intimidation et de harcèlement, y compris judiciaire, à leur encontre. Dénonçant la répression systématique des manifestations publiques depuis janvier 2015, et du recours excessif et disproportionné à la force, y compris létale, à l’encontre de manifestants pacifiques et ce en violation des règles et normes internationales applicables aux forces de l’ordre en matière de gestion des manifestations publiques ;

Condamnant fermement la série de violences commises à l’est de la République démocratique du Congo, notamment les attaques contre les populations à Beni et sa région des 5 et 30 juillet 2016, et dans la nuit du 13 au 14 août, causant pour cette seule nuit la mort de 51 civils, ainsi que début août 2016 dans le Kasaï central, où des affrontements entre la police et la population à Tshimbulu ont fait au moins 19 morts, 4 disparus et une quarantaine de personnes arrêtées. Exigeant la poursuite d’enquêtes approfondies afin de faire toute la lumière sur ces événements, en identifier tous les auteurs et rendre justice aux victimes au terme de procédures judiciaires devant des juridictions respectant les principes d’impartialité, d’indépendance et d’équité, et en s’abstenant d’avoir recours à des juridictions d’exception à l’image du premier procès des présumés auteurs de ces massacres, ouvert le 20 août 2016 à Béni, devant un tribunal militaire d’exception ;

Vivement préoccupée par la détérioration continue de la situation sécuritaire et des droits humains en Éthiopie et notamment depuis le déclenchement de la crise actuelle en novembre 2015 lorsque les larges manifestations pacifiques en Oromia puis en Amhara ont été violemment réprimées par les forces de sécurité, faisant un usage totalement excessif et disproportionné de la force, causant la mort de plusieurs centaines de manifestants pacifiques et résultant en des arrestations et détentions arbitraires massives. Particulièrement inquiète du fait que la répression généralisée reste la réponse systématique des autorités face aux demandes, frustrations et contestations populaires en faveur d’un dialogue politique véritable, du respect des libertés fondamentales et des droits humains. Condamnant fermement la répression des manifestants réclamant une réforme politique, la justice et l’État de droit des 6 et 7 août 2016 en Oromia et Amhara qui a résulté en la mort d’une centaine de personnes et l’arrestation de centaines d’autres dont certains seraient encore détenus dans des bases d’entraînement de la police et de l’armée et d’autres centres non officiels et donc particulièrement vulnérables à la torture et autres formes de mauvais traitements. Rappelant que cette détérioration de la situation sécuritaire et des droits humains s’inscrit directement dans le contexte post-électoral de contestation populaire accrue depuis que le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (EPRDF), détenant un pouvoir sans partage depuis 25 ans, a renforcé sa main-mise lors des dernières élections générales en mai 2015 en remportant tous les sièges au Parlement ;

Rappelant la mobilisation de dizaines d’organisations de la société civile, africaines et internationales, et de mouvements citoyens, au sein de la Coalition #MonVoteDoitCompter, initiée par la FIDH, afin de lutter contre les manipulations, fraudes et violences dues aux élections tronquées et d’exiger des gouvernants le respect des principes et valeurs démocratiques, de gouvernance et des droits humains, particulièrement au cours des processus électoraux ;

Rappelant également l’adoption de la Feuille de route pour le changement par les élections par 30 organisations de la société civile, de défense des droits humains et de mouvements citoyens, lors de la Conférence de Dakar sur la participation citoyenne et la promotion de la démocratie en Afrique des 18 et 19 juillet 2016 ;

La FIDH réunit à l’occasion de son 39ème Congrès mondial à Johannesburg :

Appelle les autorités, partis et acteurs politiques des États concernés par des processus électoraux en cours ou prévus à :

Avant les élections
Veiller au strict respect des libertés fondamentales et droits humains dans leur ensemble, et en particulier de la liberté de circulation, d’expression, de presse, d’association et de réunion pacifique ;
Veiller au bon fonctionnement, à l’indépendance et à l’impartialité des organes et des institutions de gestion des processus électoraux (commission électorales nationales indépendantes, Cours constitutionnelles, ministères, structures administratives, etc.), et le cas échéant, procéder à leurs réformes afin de les mettre en conformité avec les principes internationaux et régionaux en matière d’organisation des processus électoraux ;
Améliorer la tenue de l’état civil (établissement et délivrance des titres d’identité) et l’organisation des recensements de la population, notamment afin de garantir l’établissement anticipé d’un ficher électoral crédible, fiable et actualisé ;
Veiller à ce que les cartes et découpages électoraux soient réalisés de manière cohérente et dans le respect des réalités démographiques des régions, tout en luttant contre les tentatives de manipulation du découpage électoral ;
Respecter le calendrier et les échéances électorales prévus et tels que définis par les organes et institutions indépendants en charge de l’organisation des élections ;
Inclure dans la loi électorale, le cas échéant, la capacité de recours de la société civile en cas de contestation électorale ;
Prohiber et lutter, le cas échéant, contre toute modification des constitutions et lois électorales ne visant qu’à maintenir des régimes et des personnalités politiques en place, à l’encontre des principes démocratiques et de gouvernance, et dans un but manifeste de poursuivre l’accaparement des richesses et des systèmes politiques nationaux par une minorité ;
Assurer l’éducation et la sensibilisation des populations civiles, y compris des leaders religieux et d’opinion, aux principes des droits humains, de lutte contre la corruption et l’achat de conscience ;
Permettre la participation de toutes les composantes de la société, en particulier de la société civile et des mouvements citoyens, aux différentes étapes du processus électoral, avant, pendant et après les élections ;
Assurer la protection des défenseurs des droits humains, des activistes de la société civile et des journalistes menacés en raison de leur engagement pour la démocratie ou leur contestation pacifique du pouvoir en place ;
Exiger et procéder à la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées et détenues en raison de leur engagement en faveur d’un processus électoral crédible et du respect des droits humains.

Pendant et après les élections
Garantir les conditions favorables à la tenue d’un scrutin crédible, libre et transparent, ainsi qu’à une situation post-électorale apaisée notamment en :
Veillant au strict respect des libertés fondamentales et droits humains dans leur ensemble, et en particulier de la liberté de circulation, d’expression, de presse, d’association et de réunion pacifique ;
Prohibant toute violence à l’encontre des populations et luttant contre toute tentative de violence éventuelle, dans le respect des normes nationales, régionales et internationales en matière de respect des droits humains ;
Autorisant et permettant toutes les conditions nécessaires à une observation citoyenne active ;
Garantissant le fonctionnement normal des moyens de communications aux niveaux national et international (téléphone, sms, internet) ;
Recensant, le cas échéant, les violations des droits humains commises dans le cadre des processus électoraux puis menant des enquêtes indépendantes, impartiales et exhaustives afin d’en identifier et sanctionner les auteurs et rendre justice aux victimes ;
Garantissant une proclamation des résultats conforme aux dispositions légales, c’est-à-dire réalisée dans les délais légaux impartis, par l’organe et/ou institution en charge de la gestion des processus électoraux, et sans interférence politique ;
Utilisant uniquement les voies légales de recours devant le juge électoral ou les instances compétentes, en cas de contestation des résultats électoraux, et proscrivant et condamnant toute violence post-électorale ;
Tenant compte et mettant en œuvre les recommandations émises par la société civile en matière de gestion de la situation post-électorale ;
Mettant en œuvre des audits des processus électoraux et en veillant à l’application des recommandations qui en sont issues ;
Assurant la protection des défenseurs des droits humains, des activistes de la société civile et journalistes menacés en raison de leur engagement pour la démocratie ou leur contestation pacifique du pouvoir en place ;
Exigeant et procédant à la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées et détenues en raison de leur engagement en faveur d’un processus électoral crédible et du respect des droits humains.

Exhorte l’Union africaine et ses États membres à :
Ratifier et respecter la Charte africaine de la démocratie, des élections et de la gouvernance (CADEG) pour ceux qui ne l’ont pas encore fait, notamment en introduisant en droit interne ses dispositions et assurant sa promotion auprès de leurs citoyens ;
Reconnaître que les modifications constitutionnelles non-consensuelles, les coups d’État civils et autres manipulations électorales sont des changements anticonstitutionnels de pouvoir prévus et sanctionnés par l’article 30 de l’Acte constitutif de l’Union africaine, l’article 7g du Protocole relatif à la création du Conseil de paix et de sécurité de l’Union africaine ainsi que la Déclaration de Lomé ; et faire adopter par l’Union africaine un régime de sanctions complémentaires en cas de violation de ces dispositions ;
Adopter des lois électorales nationales garantissant l’application en droit interne des principes internationaux et régionaux ;
Faciliter la participation des organisations de la société civile et des mouvements citoyens aux processus électoraux, notamment en inscrivant l’observation citoyenne des élections comme un droit constitutionnel ;
Exiger et procéder à la libération immédiate de toutes les personnes arrêtées et détenues en raison de leur engagement en faveur d’un processus électoral crédible et du respect des droits humains.

Appelle la communauté internationale à :
Adopter des positions constantes et respectueuses des principes, valeurs et droits internationalement reconnus en matière de respect des droits humains et de gouvernance, ce afin d’éviter l’application de standards différenciés dans l’appréciation des violations des droits humains en particulier du droit de choisir librement ses dirigeants ;
Reconnaître et dénoncer publiquement que les modifications constitutionnelles non consensuelles, les coups d’État civils et autres manipulations électorales sont des changements anticonstitutionnels et atteintes graves à la démocratie et, le cas échéant, adopter des sanctions ;
Soutenir la société civile, les mouvements citoyens et les acteurs de changement pacifiques dans leurs revendications en faveur du respect des libertés fondamentales et des réformes institutionnelles démocratiques.

Appelle les organisations de la société civile, des mouvements citoyens et des acteurs indépendants à :
Rejoindre la campagne et coalition #MonVoteDoitCompter pour garantir une large mobilisation en faveur des enjeux électoraux et démocratiques en Afrique.

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