Massacres au Kasaï : des crimes contre l’humanité au service d’un chaos organisé

20/12/2017
Rapport
RDC
en fa fr

Paris - Kinshasa, le 20 décembre 2017. En juillet 2017, une mission d’enquête de la FIDH et de ses organisations membres en République démocratique du Congo (RDC) s’est rendue en Angola auprès de réfugié.es congolais.es ayant fui les massacres commis sur le territoire de Kamonia, dans la province du Kasaï. Les témoignages accablants publiés aujourd’hui rendent compte de l’ampleur et de la gravité des crimes commis contre les civil.es, par les forces de défense et de sécurité congolaises et leurs supplétifs de la milice appelée Bana Mura. Leur degré d’organisation et de planification révèle une stratégie de terreur et de destruction délibérée, ayant abouti à des crimes contre l’humanité. Ces violences sont intervenues en réponse au soulèvement d’une milice locale, les Kamuina Nsapu, elle-même responsable d’exactions graves. Alors que le calendrier électoral ne cesse d’être repoussé en RDC, les atrocités commises au Kasaï s’inscrivent dans une instrumentalisation récurrente des tensions et violences par le régime de Joseph Kabila, afin de conserver le pouvoir par le chaos et la diversion.

Villages détruits à l’arme lourde, attaques d’hôpitaux et de lieux de culte, exécutions, tortures et mutilations, violences sexuelles, pillages, arrestations et détentions en dehors de toute procédure légale. Les témoignages récoltés par l’équipe de la FIDH auprès de réfugié.es congolais.es en Angola illustrent le calvaire subi durant au moins cinq mois par les populations civiles de Kamonia.

Le rapport rend compte d’exactions perpétrées dans une dizaine de villages. Il revient en particulier sur le massacre commis le 24 avril 2017 dans le village de Cinq, situé à quelques kilomètres de la frontière angolaise, et qui comptait alors une dizaine de milliers d’habitant.es. Les milices Bana Mura y ont déferlé dans l’objectif d’y éliminer les civil.es, appartenant principalement à l’ethnie Luba, à l’initiative et avec le soutien de l’armée et de la police congolaises. L’attaque a fait des centaines de mort.es, dont de nombreux.ses femmes et enfants, exécuté.es principalement par balle, machette, ou brûlé.es vif.ves. Lors de l’attaque de l’hôpital de Cinq, plus d’une centaine de patient.es, dont des femmes enceintes, ainsi que du personnel soignant a été exécutée.

De nombreux.ses survivant.es se sont enfui.es à travers la brousse. Plusieurs centaines ont été recensé.es par l’agence des Nations unies pour les réfugié.es (HCR), arrivé.es en Angola au terme d’un voyage aux allures de supplice, puisque traqué.es par les milices jusqu’à la frontière. Parmi elles/eux, de nombreux.ses enfants blessé.es à coups de machette.

D’après les témoignages recueillis par l’équipe de la FIDH et les informations transmises par des sources locales, notamment des organisations congolaises de défense des droits humains, d’autres villages auraient été touchés par des actes de violence similaires entre mars et août 2017. Nos organisations ont compilé une liste d’une vingtaine de villages supplémentaires où de telles attaques auraient eu lieu. Les témoignages de survivant.es de certaines de ces attaques sont inclus dans le présent rapport.

La cruauté des exactions commises laisse peu de doute sur l’objectif poursuivi : terroriser, détruire et faire fuir les populations Luba, accusées d’être complices des crimes commis par la milice Kamuina Nsapu et de soutenir l’opposition au régime de Joseph Kabila.

Dans sa dernière partie, le rapport de la FIDH décrit comment les crimes perpétrés sur le territoire de Kamonia ont été planifiés, dirigés et également directement commis par des agents de l’État congolais ainsi que leurs supplétifs des milices Bana Mura, qu’ils ont contribué à structurer et armer. Une liste d’au moins 50 noms de présumé.es responsables des crimes commis sur ce territoire a notamment été établie par nos organisations. Y figurent des éléments de l’armée, de la police et des renseignements, des membres de la milice Bana Mura, des chefs coutumiers locaux, des représentant.es de la majorité présidentielle et de l’administration congolaise. Cette liste, conservée de manière confidentielle, pourra être transmise à toute commission d’enquête ou organe judiciaire amené.e à conduire une enquête indépendante et impartiale sur les crimes commis sur le territoire de Kamonia, à se prononcer sur la responsabilité pénale de leurs auteur.es, ou la responsabilité de l’État congolais.

La FIDH et ses organisations membres en RDC appellent les autorités congolaises à mettre un terme immédiat aux violations graves des droits humains commises dans le Kasaï et à mener des enquêtes indépendantes et impartiales sur les crimes décrits dans le présent rapport afin de poursuivre en justice leurs responsables, accorder des réparations aux victimes et en finir avec l’impunité et la répétition des crimes.

Contexte :

Le 12 août 2016, le chef traditionnel Kamuina Nsapu Jean-Pierre Mpandi est assassiné par les forces armées congolaises (FARDC). Bien que sommairement armées, souvent de simples bouts de bois et couteaux, les milices Kamuina Nsapu se soulèvent et s’attaquent aux représentant.es, édifices et symboles du pouvoir central. Accusées de crimes et exactions, elles recourent notamment à l’enrôlement forcé d’enfants et procèdent à des exécutions sommaires, souvent sous la forme de décapitations. D’abord localisées à Kananga (Kasaï central), ces attaques se propagent rapidement dans les provinces avoisinantes (dont celle du Kasaï). La répression des forces de défense et de sécurité est excessive et se solde par un grand nombre d’exécutions sommaires. En septembre 2017, la Haute-Commissaire adjointe des Nations unies aux droits de l’Homme a estimé que la situation dans les provinces du Kasaï restait l’une des pires crises des droits humains dans le monde. Au moins 3,383 personnes auraient été tuées d’après l’Église catholique, près de 87 fosses communes ont été découvertes, au moins 1,4 millions de personnes, dont près de 600,000 enfants ont été contraintes de chercher refuge dans les provinces avoisinantes et plus de 30,000 autres ont fui vers l’Angola. Ces chiffres sont des estimations basses et les violences semblent avoir été commises à une échelle encore plus importante.

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