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10/06/2009
Rapport
RDC

L’année 2008 a été marquée par la reprise de la guerre à l’est du pays, la radicalisation des tensions entre les acteurs politiques congolais et, dans ce contexte, une restriction sensible des libertés fondamentales gravement préjudiciables aux défenseurs des droits de l’Homme. En effet, piétinant les accords de paix de Goma signés en janvier 2008 et le processus "Amani Leo" ("paix maintenant" en swahili), de violents combats ont repris en août entre les troupes du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) du général dissident Laurent Nkunda et les Forces armées de la RDC (FARDC), notamment pour le contrôle des ressources naturelles et de certains territoires de la province du nord-Kivu. Les affrontements se sont déroulés en violation totale du droit international humanitaire et des droits de l’Homme. Les populations civiles ont été victimes d’exécutions sommaires, de viols, de recrutements forcés, de vols, de pillages et d’autres violations commises par les différentes forces armées en présence. La population a dû fuir en masse les combats, pour se rendre soit dans des camps de déplacés, soit en Ouganda.

Face à cette situation de conflit ouvert, les autorités gouvernementales et les rebelles ont radicalisé leurs positions à l’égard de toute voix contestataire pouvant, selon eux, saper leur autorité, qu’elle provienne des partis politiques ou de la société civile. Ainsi les libertés d’expression, de rassemblement pacifique et d’association ont été particulièrement mises à mal en 2008 : plusieurs médias indépendants ont été fermés sur décision du ministre de la Communication, à l’exemple de la chaîne de télévision Molière, ou ont été attaqués par les services de sécurité, notamment après avoir diffusé des interviews de membres de l’opposition. A cet égard, plusieurs journalistes ont été arrêtés et restaient détenus arbitrairement fin 2008. Par ailleurs, en dépit de l’introduction par l’article 26 de la Constitution d’un régime d’information, l’organisation de manifestations publiques est restée en pratique arbitrairement soumise à l’autorisation du Gouvernement1.

Cette intensification des tensions s’explique aussi par les avancées cruciales qu’a connu la justice internationale en 2008 : le 24 mai, M. Jean-Pierre Bemba Gombo, président du Mouvement pour la libération du Congo (MLC) et ancien candidat à l’élection présidentielle de 2006, a été arrêté par les autorités belges conformément au mandat d’arrêt international délivré par la Cour pénale internationale (CPI) pour les crimes présumés commis par ce dernier et les hommes placés sous sa responsabilité en République centrafricaine entre 2002 et 2003. En outre, le procès contre M. Thomas Lubanga, ancien chef rebelle de l’Union des patriotes congolais (UPC)2, qui s’est ouvert le 23 juin, devrait reprendre en 2009 à La Haye.

D’une manière générale, les défenseurs des droits de l’Homme en RDC ont payé en 2008 un lourd tribut, ne bénéficiant d’aucune protection de la part du Gouvernement.

Campagnes de stigmatisation et menaces contre les ONG et les défenseurs luttant contre l’impunité et soutenant les actions de la Cour pénale internationale

En 2008, les organisations de la société civile et leurs membres engagés dans la lutte contre l’impunité des auteurs de violations graves des droits de l’Homme, notamment en soutenant la justice internationale, et qui réclament le plein respect de la Constitution congolaise et l’instauration d’un régime démocratique en RDC, ont continué de se heurter à la répression des autorités au pouvoir.

Ainsi, les membres de la Voix des sans voix (VSV) ont fait l’objet d’actes d’intimidation suite à leurs actions de dénonciation de l’assassinat d’un membre de la famille de M. Laurent-Désiré Kabila en janvier 2008. La VSV a notamment appelé à un procès juste et équitable suite à cet assassinat. Depuis, les membres de la VSV font régulièrement l’objet de filatures, leurs téléphones ont été placés sur écoute et leurs bureaux sont surveillés par des agents de sécurité. D’autre part, en juin 2008, l’Alliance des patriotes pour la refondation du Congo (APARECO) a publié sur son site Internet un communiqué de presse intitulé "J. Kabila très en colère ordonne l’assassinat de Floribert Chebeya, président de la Voix des sans voix", selon lequel le Président Joseph Kabila aurait ordonné à l’Agence nationale des renseignements (ANR) de procéder à l’élimination physique de M. Floribert Chebeya Bahizire, reprochant à la VSV d’avoir saisi les autorités diplomatiques, et notamment l’Ambassadeur de France en RDC, en vue d’intervenir en faveur d’anciens militaires membres des forces armées zaïroises qui auraient été enlevés, arrêtés, détenus au secret et pour certains exécutés sommairement1. De même, en mars 2008, M. Christophe Ngulu Maene, membre du bureau local à Goma du Comité des observateurs des droits de l’Homme (CODHO), a été victime de menaces de mort de la part de militaires. Le 5 juillet 2008, alors que M. Christophe Ngulu Maene se trouvait en France pour la Conférence mondiale sur les droits de l’Homme, des inconnus se réclamant de l’armée à Goma ont proféré des menaces de mort par téléphone à l’encontre de son épouse, en ces termes : "ton mari est allé en Europe pour nous accuser auprès de la CPI, nous l’attendons dès son retour sa tête sera coupée [...]. C’est lui qui s’occupe au bureau du CODHO des dossiers concernant le décès du major Lumoo Buunda et de sa tante Véronique Ndoole Furaha après la fuite de Mme Chantal Sifa Bunyere2. Il va le payer très cher". Par crainte pour sa sécurité, M. Christophe Ngulu Maene a été contraint de prolonger son séjour en Europe3. Par ailleurs, en novembre 2008, M. François Batundi Lunda, membre de l’équipe de chercheurs du CODHO dans les territoires administratifs de Masisi et Rutshuru, occupés par le CNDP, a été contraint de fuir la RDC à la suite des menaces de mort qui pesaient sur lui de la part de plusieurs officiers de l’armée du CNDP, alors qu’il était en mission dans le territoire de Rutshuru, au nord-Kivu, où ont été commises de graves violations contre les populations civiles4.

Les ONG travaillant en étroite collaboration avec la CPI ont quant à elles été particulièrement visées tout au long de l’année. Ainsi, la FIDH, l’Association africaine des droits de l’Homme (ASADHO), le Groupe Lotus (GL) et la Ligue des électeurs (LE) ont été injuriés et menacés par des personnes proches ou appartenant au MLC, suite notamment à l’arrestation de M. Jean-Pierre Bemba en mai 2008. M. Dismas Kitenge, président du GL et vice-président de la FIDH, a par exemple été accusé le 28 mai 2008 d’avoir "vendu Bemba à la FIDH et aux occidentaux", et averti du mauvais sort qui l’attendait si M. Bemba était condamné. Par ailleurs, en juin 2008, des membres de l’UPC ont menacé MM. Christian Lukusha et Joël Bisubu, membres de Justice Plus travaillant à Bunia, suite à leurs prises de position publiques sur la décision, le 13 juin 2008, de la Chambre de première instance de la CPI de suspendre les poursuites à l’encontre de M. Thomas Lubanga. M. Christian Lukusha avait réagi sur Radio Okapi, accusant notamment les Nations unies d’avoir refusé d’accéder aux demandes répétées du bureau du procureur de la CPI de lever la confidentialité des documents qui lui ont été transmis, et considérant cette décision comme un frein à la lutte contre l’impunité et à l’établissement de la justice internationale. M. Joël Bisubu s’était lui exprimé en des termes analogues sur les ondes de la BBC. Ces défenseurs ont dû quitter Bunia par crainte pour leur intégrité physique et leur sécurité. En outre, en juillet 2008, les membres de la famille de Me Carine Bapita, membre de l’organisation "Femmes et enfants pour les droits de l’Homme" (FEDHO) et avocate congolaise représentant des victimes auprès de la CPI dans l’affaire Thomas Lubanga, ont dû entrer en clandestinité après avoir fait l’objet de menaces et d’actes d’intimidation.

Par ailleurs, le Collectif des organisations des jeunes solidaires du Congo Kinshasa (COJESKI-RDC) a fait l’objet de menaces après avoir rendu publique en septembre 2008 une déclaration dans laquelle il appelait le chef de l’Etat à user de ses prérogatives constitutionnelles afin de mettre définitivement fin à la guerre et à l’insécurité qui déchirent le pays. Plusieurs coordonnateurs provinciaux du COJESKI-RDC ont notamment reçu des menaces par l’intermédiaire d’appels téléphoniques anonymes. En outre, dans la nuit du 22 octobre 2008, des militaires armés ont tenté de forcer sans succès le portail du quartier général et siège administratif du COJESKI-RDC, à Kinshasa. Ils ont également menacé le service de sécurité du COJESKI-RDC qui a refusé de leur ouvrir. Fin 2008, les membres du COJESKI-RDC continuaient de recevoir des menaces5.

Le harcèlement judiciaire : un outil pour museler les défenseurs

En 2008, le harcèlement judiciaire est resté un outil de musellement des voix dissidentes dans le pays, et les membres d’organisations qui dénoncent les violations perpétrées tant à l’est de la RDC que dans le reste du pays ont été assimilés à des ennemis de l’Etat ou à des traîtres, et ont été soumis à une répression féroce aussi bien de la part du Gouvernement que des milices et des groupes armés. Les défenseurs des droits de l’Homme sont ainsi restés une cible privilégiée, à l’instar de M. Georges Mwamba Wa Mwamba, responsable des relations publiques du GL, interpellé alors qu’il s’apprêtait à déposer une invitation pour un événement universitaire à l’attention du directeur de l’ANR de Kisangani. Placé en détention, il a fait l’objet de mauvais traitements de la part d’agents de l’ANR et a été accusé d’"espionnage" et de "déstabilisation du chef de l’Etat", charges qui ont été requalifiées plus tard en "tentative d’incendie" et "communication avec un détenu politique". Libéré le 10 juin 2008, l’instruction de son dossier n’était toujours pas clôturée à fin 2008. En outre, le 16 juillet 2008, M. Amigo Ngonde, président honoraire de l’ASADHO, a été informé par l’avocat général du parquet de grande instance de Kinshasa/Gombe qu’une plainte avait été déposée contre lui par le chef de la maison civile6 du Président Joseph Kabila, M. Théodore Mugalu, pour "diffamation" et "imputation dommageable", suite à la dénonciation écrite par ce dernier d’une arrestation arbitraire début 2008 contre une militante des droits des femmes. Fin 2008, M. Ngonde restait à la disposition de la justice.

Attaques et menaces contre les défenseurs soutenant les victimes de violences sexuelles

En 2008, les défenseurs qui ont dénoncé les violences sexuelles ont continué de risquer leur vie, à l’instar de Mme Wabihu Kasuba, chargée du monitoring au sein de l’organisation "Voix des sans voix ni liberté" (VOVOLIB) et conseillère à la maison d’écoute des victimes de violences sexuelles à Panzi, assassinée le 18 mai 2008 dans le sud-Kivu7. En mars 2008, Mme Thérèse Kerumbe, membre de l’association Solidarité féminine pour la paix et le développement intégral (SOFEPADI), a quant à elle reçu des menaces alors qu’elle se trouvait en Europe pour participer à une mission de plaidoyer organisée par la FIDH sur la lutte contre l’impunité et les violences sexuelles en RDC. Les demandes de protection adressées par la SOFEPADI aux autorités locales étant restées sans réponse, Mme Kerumbe a dû fuir Bunia, en Ituri, face à l’intensification des menaces à son encontre. La SOFEPADI n’ayant reçu aucune assurance sur sa sécurité, malgré des démarches répétées auprès du procureur, elle demeurait dans l’impossibilité de rentrer fin 2008. De plus, en novembre 2008, Mme Noella Usumange Aliswa, coordinatrice de la SOFEPADI, et sa famille ont été attaquées à leur domicile dans la ville de Bunia. Elle a été grièvement blessée et a dû être évacuée en Afrique du sud pour recevoir des soins appropriés. Cette agression serait directement liée au travail de la SOFEPADI en faveur des femmes victimes du conflit. En juillet 2008, le personnel du Centre psycho-médical pour la réhabilitation des victimes de la torture (CPMRVT/Kitshanga) a fait l’objet de menaces et d’actes de harcèlement de la part du CNDP, qui souhaitait obtenir les registres médicaux contenant les identités des victimes de violence sexuelle traitées par le Centre8.

Impunité relative aux assassinats de journalistes défenseurs des droits de l’Homme

En 2008, la Mission des Nations unies en RDC (MONUC) a fait état du climat de tension prévalant à Bukavu ainsi que de menaces pesant contre les avocats de la partie civile du procès en appel suite au meurtre de M. Serge Maheshe, journaliste à Radio Okapi, une structure jouant un rôle essentiel dans la lutte contre les violences et l’arbitraire, notamment dans l’est de la RDC9. En mars 2008, plusieurs membres d’ONG observant le procès ont ainsi été intimidés par l’Auditeur militaire supérieur pour avoir révélé les violations graves des normes relatives au droit à un procès équitable. Dans ce climat d’impunité, le 21 novembre 2008, M. Didace Namujimbo, également journaliste à Radio Okapi, a été tué d’une balle dans la tête près de son domicile à Bukavu. Alors qu’une enquête a été ouverte par le procureur général de Bukavu, les auteurs de cet assassinat n’avaient toujours pas été identifiés à fin 2008.

Harcèlement des défenseurs luttant contre l’exploitation illégale des ressources naturelles

Les autorités étant particulièrement sensibles à tout ce qui touche aux ressources naturelles, les défenseurs des droits économiques, sociaux et culturels qui dénoncent les conséquences environnementales des activités minières et forestières ou des cas de corruption s’exposent à des menaces et entraves dans leur travail. Ainsi, le 21 mars 2008, M. Hubert Tshiswaka, alors directeur exécutif de Action contre l’impunité pour les droits de l’Homme (ACIDH), basée à Lubumbashi, et actuellement membre de l’"Open Society Institute for Southern Africa" (OSISA), a été arrêté par l’ANR pour avoir distribué un dépliant dénonçant notamment les contrats léonins signés par le Gouvernement congolais et certaines entreprises multinationales dans le secteur minier au Katanga, ainsi que le détournement de fonds publics par les autorités congolaises. Il a été libéré le jour même, en l’absence de charges à son encontre. Par ailleurs, 27 défenseurs des droits de l’Homme de Bumba, province de l’Equateur, restaient poursuivis fin 2008 pour "imputation dommageable pour diffamation", après qu’ils eurent adressé une pétition au Gouvernement dénonçant l’exploitation forestière abusive de la Société industrielle et forestière de RDC (SIFORCO). Cette pétition avait été rédigée lors d’un séminaire organisé à Bumba par la VSV en septembre 200610.

Menaces contre la liberté d’association

En 2008, plusieurs associations de défense des droits de l’Homme ont continué à travailler sans personnalité juridique en dépit de l’accomplissement de toutes les formalités administratives requises. Les membres de ces associations font régulièrement l’objet de harcèlement, d’intimidation et de menaces d’arrestation de la part des services administratifs et de sécurité. Le 9 septembre 2008, le ministre de la Justice et des droits humains a ainsi fait publier dans la presse nationale une longue liste reprenant 140 ONG, dont l’ASADHO, le GL et la VSV, les présentant comme fonctionnant "en illégalité" en dépit du fait que celles-ci comme tant d’autres détiennent des autorisations de fonctionnement. Il a fait accompagner cette publication d’une campagne de dénigrement contre les ONG de défense des droits de l’Homme. Cette campagne a été reprise dans les médias étatiques, notamment par la Radio télévision nationale.

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