Les trois accusés, Issa Sallet Adoum, Yaouba Ousman et Mahamat Tahir, membres du groupe des 3R (Retour, réclamation, réhabilitation), ont été reconnus coupables de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité commis en mai 2019 dans la sous-préfecture de Paoua au Nord-Ouest de la RCA. Tous trois ont été reconnus coupables de meurtres, actes inhumains et traitements humiliants et dégradants. Issa Sallet Adoum a, en outre, été jugé responsable en tant que supérieur hiérarchique de viols commis par ses subordonnés. Il a été condamné à une peine d’emprisonnement à perpétuité et ses coaccusés ont écopé d’une peine de 20 ans d’emprisonnement.
Le procès à l’encontre des trois accusés s’est officiellement ouvert le 19 avril 2022 (bien que les audiences n’aient débuté que le 16 mai suivant) et s’est clôturé le 19 août 2022 (pour en savoir plus sur l’affaire, voir le questions-réponses). Les audiences ont été retransmises à la radio, contribuant à ce que la population centrafricaine soit informée de l’avancée de l’affaire. De nombreux·ses témoins ont été entendu·es, y compris à huis clos pour des raisons de sensibilité de leur témoignage. Selon Human Rights Watch en revanche, des préoccupations relatives à la sécurité des témoins et victimes ont été soulevées par plusieurs avocat·es.
Ce premier verdict de la CPS est ainsi une avancée importante pour la justice centrafricaine, mais d’importantes questions restent encore à régler.
Quid des réparations pour les victimes ?
À présent que les accusés Issa Sallet Adoum, Yaouba Ousman et Mahamat Tahir ont été condamnés, la question des réparations se pose. L’audience sur les intérêts civils, qui devait avoir lieu vendredi 4 novembre 2022, a finalement été reportée au 20 janvier 2023, laissant ainsi les victimes dans l’attente pendant plusieurs mois encore, alors que les avocat·es de la défense ont fait appel de la décision de culpabilité.
La manière dont la question des réparations sera abordée et la décision qui sera prise à cet égard par la CPS contribueront grandement à déterminer à quel point ce premier verdict de la cour peut réellement avoir l’impact escompté et contribuer à une justice significative et durable. Pour nos organisations, il est essentiel que les victimes et communautés affectées soient consultées de façon adéquate sur leurs besoins et attentes et que la décision prise soit suffisamment représentative.
Protection des victimes et témoins : un pré-requis essentiel à une justice significative
La protection des victimes et témoins est au cœur de tout processus de justice et d’établissement de la vérité. Le 4 octobre 2022, la FIDH et ses organisations membres en RCA, la Ligue centrafricaine des droits de l’homme (LCDH) et l’OCDH, avaient ainsi, dans une analyse approfondie de la relation de complémentarité entre les acteurs nationaux et internationaux pertinents dans la lutte contre l’impunité pour les crimes de droit international perpétrés en RCA, soulevé des failles encore existantes dans ce domaine. Dans les recommandations adressées aux autorités centrafricaines, nos organisations avaient notamment soulevé le besoin de « mettre en place un cadre national de protection des victimes et témoins (et leur famille) impliqué·es dans des procédures judiciaires au niveau national, régional et/ou international ou devant tout autre mécanisme d’établissement de la vérité, assorti d’un budget adéquat et de mécanismes indépendants de suivi et de mise en œuvre ». Ainsi, il revient à chaque organisme compétent de s’assurer que toutes les mesures soient prises pour protéger les victimes et témoins qui interviennent devant lui. Dans un pays en conflit tel que la RCA, il est essentiel que cette protection soit généralisée, uniformisée et bien ancrée.
Complémentarité entre les acteurs de la justice : une nécessité pour lutter durablement contre l’impunité
La condamnation par la CPS s’inscrit par ailleurs dans une logique de complémentarité entre différents acteurs de la justice. La RCA est en effet l’une des situations uniques dans lesquelles œuvrent conjointement plusieurs niveaux de justice : national (juridictions dites ordinaires), hybride (la CPS) et international (la Cour pénale internationale – CPI). Il s’agit en théorie d’un cadre au fort potentiel pour lutter contre l’impunité des responsables de crimes les plus graves perpétrés sur le territoire, puisque les différentes institutions sont compétentes pour connaître des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et crimes de génocide. Par la clôture de sa première affaire, la CPS montre qu’elle est un acteur engagé et opérationnel dans ce triangle judiciaire.
Cette avancée importante, si suivie d’autres efforts tangibles, lui permettra progressivement de regagner la confiance de la population qui, après plusieurs années d’attente, des obstacles importants (comme l’inexécution des mandats d’arrêt) et quelques occasions manquées (comme celle de l’affaire Ali Hassan Bouba), commençait à perdre espoir quant à sa capacité à remplir son mandat. Cet engagement est d’autant plus notable qu’au cours des dernières semaines, la CPS a connu un regain d’activités comme le montrent les arrestations récentes de Firmin Junior Danboy, Vianney Semndiro et Abdel Kader Khalil, suspectés de crimes de guerre et crimes contre l’humanité.
Pour nos organisations, il est essentiel que les efforts se poursuivent tant au niveau de la CPS que des autres juridictions compétentes, notamment les juridictions ordinaires et la CPI. Le nombre de responsables de crimes de droit international en RCA est extrêmement élevé et ne cesse d’augmenter, ce qui nécessite une action coordonnée et complémentaire de tous les acteurs pertinents. Cela permettra de s’assurer que la justice ne s’arrête pas à une poignée seulement de responsables et enverra un message fort en vertu duquel en RCA, tous les crimes seront punis.