Comment les avocats centrafricains se préparent-ils à représenter les parties civiles devant la Cour pénale spéciale ?

CPS

La FIDH, la LCDH et l’OCDH mènent depuis 2013 des actions conjointes pour documenter les crimes commis et lutter contre l’impunité des auteurs des crimes les plus graves. Dans ce cadre nous avons publié des rapports d’enquête, œuvré pour la création de la Cour Pénale Spéciale (CPS) et créé dès 2014 un Collectif d’avocats pour la lutte contre l’impunité et la représentation des victimes devant les différentes cours de justice centrafricaines : cours criminelles et la Cour pénale spéciale.

Le Collectif est composé d’une quinzaine d’avocats centrafricains issus de 5 associations centrafricaines de défense des droits humains et de plusieurs avocats africains et européens de la FIDH pour défendre les victimes des crimes commis en RCA.

Les avocats se préparent mais agissent également. Ils se préparent par le biais de formations dispensées par la FIDH son Groupe d’action judiciaires et ses organisations partenaires. Par exemple, des avocats ou des experts du réseau de la FIDH qui défendent des victimes en Côte d’Ivoire, au Mali ou en Guinée viennent partager leurs expériences et former leurs confrères, sur la stratégie judiciaire, sur la manière de préparer une victime à une audience pénale, sur les différentes demandes d’actes inhérents à l’instruction ainsi qu’à la préparation des victimes au passage en audition. Il s’agit surtout de faire profiter de l’expérience acquise à d’autres endroits de l’Afrique et du globe aux confrères centrafricains sur la façon de juger des crimes complexes et graves.

Y a t-il sur place, en Centrafrique, suffisamment d’avocats bien formés et expérimentés pour plaider devant un tribunal de ce calibre ?

Il y a en Centrafrique beaucoup d’avocats de valeur qui ont vocation à intervenir devant la Cour pénale spéciale (CPS). Certes la CPS bénéficie d’un apport international dans sa composition, son expertise et ses moyens mais elle est avant tout une juridiction centrafricaine auprès de laquelle tous les acteurs nationaux ont vocation à intervenir : magistrats, avocats, greffiers, officiers de police judiciaire, etc. L’objectif n’était pas de créer un tribunal international mais une juridiction nationale spécialisée pour juger des crimes exceptionnels par leur ampleur, leur complexité et leur gravité. Il était donc nécessaire de la doter de moyens adaptés à cet enjeu en terme de moyens, d’expertise et d’investigation sans lui enlever son caractère national. A ce titre, les avocats centrafricains devront effectivement adapter leurs connaissances et leurs pratiques pour défendre les victimes et les accusés de crimes graves, peu ou pas jugés par les juridictions centrafricaines ces dernières décennies mais cela est identique dans de nombreux pays : en Côte d’Ivoire par exemple une Cellule spéciale d’enquête et d’instruction a été créée pour enquêter sur la crise post-électorale de 2010-2011 ; en Europe, une dizaine de pays ont créé également des pôle judiciaires spécialisés pour enquêter sur les crimes les plus graves, etc. Ce n’est donc pas une spécialité centrafricaine et des avocats que de renforcer et spécialiser le système judiciaire pour juger des crimes graves et exceptionnels.

Il faut également noter qu’à 95% c’est bien le droit, les lois et les procédures centrafricaines qui seront appliquées par la CPS. Les 5% restant étant essentiellement du droit international issu des conventions internationales ratifiées par la Centrafrique qui seront utilisées en cas de carence du droit centrafricain (Article 3 du statut). En résumé le droit international est appliqué si le droit centrafricain est muet sur une question spécifique. Les praticiens de la justice centrafricaine ne seront donc pas dépaysés.

Quelles sont leurs limites et à quelles difficultés pourraient-ils se heurter, d’après vous ? Comment la FIDH les aide à les surmonter ?

La plus grande difficulté, qui n’est pas spécifique aux avocats, c’est d’avoir des enquêtes, des éléments de preuves à discuter et des gens à juger. L’accès, la sécurité et la participation des victimes et des témoins constitue par contre le grand enjeu pour les avocats des parties civiles et les associations qui les accompagnent et les soutiennent. De nombreuses victimes sont déplacées, d’autres sont localisées dans des zones enclavées et/ou toujours à la merci des groupes armés. Elles sont toutes dans des situations difficiles de vie : précarité économique, problèmes de santé souvent en raison des exactions subies, stigmatisation d’être victime surtout pour les survivantes de crimes sexuels, etc. Le temps de la justice est également long puisque entre la commission des crimes, la mise en place de la Cour, les enquêtes et la tenue des procès, plusieurs années s’écoulent en général avant que justice ne soit rendue.

Pour répondre à ces défis, la FIDH, l’OCDH et la LCDH - avec l’appui de la délégation de l’Union européenne en Centrafrique et le ministère français des affaires étrangères - ont développé depuis 2015 une stratégie d’action : création d’un bureau conjoint, enquêtes et documentations des crimes commis, création d’un Collectif d’avocats centrafricains et internationaux pour accompagner les victimes, intervention du Groupe d’action judiciaire de la FIDH qui font intervenir des avocats spécialisés dans la poursuite des crimes de guerre, crimes contre l’humanité, crimes de guerre et autres violations graves des droits humains, un plaidoyer international intense, etc.

L’expérience conjuguée de la FIDH, de l’OCDH, de la LCDH et d’autres ONG centrafricaines de défense des droits humains comme l’ACAT-RCA ou le RONGDH impliquées dans ces actions communes permet notamment : d’identifier et d’accéder aux victimes même les plus reculées, gagner leur confiance et leur apporter toutes les explications nécessaires pour qu’elles fassent ou non le choix de s’engager dans un processus judiciaire, agir dans la durée pour les accompagner dans leur quête de vérité, de justice et leur droit à réparation. Cet engagement ferme à aller jusqu’au bout est un acte fort puisque, par exemple, dans l’affaire de l’ex-président tchadien Hissène Habré, la FIDH a accompagné les survivant.e.s pendant près de 20 ans pour obtenir la condamnation en 2015 du dictateur par les Chambre africaine extraordinaires, cette cour hybride créée par l’Union africaine et le Sénégal, qui a d’ailleurs inspiré la naissance de la CPS.

Pour surmonter de tels obstacles il faut également des outils spécifiques, une expérience solide en matière judiciaire, une volonté politique forte des organisations qui accompagnent les survivant.e.s, et des partenaires politiques et financiers engagés et constants dans leur soutien. La FIDH et son réseau ont développé ces compétences au gré des combats pour la justice et contre l’impunité en Côte d’ivoire, au Mali, en Guinée comme dans de nombreux pays du continent et du monde. Assurer la sécurité des survivants, accompagner les associations de victimes, associer et former la société civile et les avocats à ces combats de longue haleine tout comme mobiliser la volonté politique des acteurs nationaux et internationaux à lutter contre l’impunité même lorsqu’il est tentant de négocier la paix au dépit de la justice, constitue une spécificité reconnue de la FIDH depuis des décennies.

La FIDH est-elle prête à jouer un rôle dans le processus judiciaire devant la Cour pénale spéciale ?

La FIDH avec la LCDH et l’OCDH ses organisations membres en Centrafrique ont joué, jouent et joueront un rôle judiciaire et militant en Centrafrique que ce soit devant la CPS, les autres juridictions ou auprès des acteurs politiques nationaux et internationaux. C’est notre mandat et un engagement pris auprès des victimes que nous accompagnons, certaines depuis 2003.

Nos organisations ont d’ailleurs joué un rôle dès le début de la crise actuelle en menant des missions d’enquête depuis 2013 jusqu’à présent sur les graves violations graves des droits humains et droit humanitaire. Nous avons et continuons à identifier, soutenir et accompagner les victimes, même durant les temps forts des crises successives qu’a connu la Centrafrique depuis 2002-2003. Sur le plan politique et judiciaire, la FIDH et ses organisations membres ont mené un plaidoyer actif pour la mise en place d’un mécanisme de responsabilité adapté qui est devenu la CPS et nous poursuivons nos efforts pour garantir une place centrale aux victimes tant devant cette cour temporaire que devant les autres juridictions nationales et internationales. Dans cette perspective, nos organisations et nos avocats préparent les dossiers judiciaires et interviennent lors des sessions criminelles. Nous nous préparons pour intervenir judiciairement devant la CPS dès qu’elle sera officiellement en charge des dossiers.

La FIDH, la LCDH et l’OCDH souhaitent y assurer la représentation des victimes et être elles-même parties civiles dans les affaires sélectionnées par la Cour pénale spéciale. En outre, il est possible de saisir directement la CPS d’une plainte avec constitution de partie civile afin d’initier des enquêtes sur des affaires qui n’auraient pas été traitées par le procureur ou les juges d’instructions.

Un pool ad hoc est-il déjà constitué à cet effet ?

Un pool ad hoc est en cours de constitution, UNODC travaille activement à ce sujet, les critères de composition du pool ne sont pas encore définitifs mais il semble que plusieurs critères d’admission soient requis pour les avocats tels que le nombre d’année d’exercice de la profession et l’engagement dans les droits humains.

Comment évaluez-vous la session criminelle qui vient de s’achever devant la justice centrafricaine ? Je pose la question parce qu’on a l’impression que les grands dossiers "de crimes internationaux" ne sont pas abordés jusqu’à ce jour par la justice nationale.

La reprise des sessions criminelles en RCA est une avancée en ce qu’elle démontre le retour d’une justice, certes imparfaite, mais fonctionnelle. Cela s’inscrit dans les efforts pour la restauration de l’État de droit dans le pays. Un pays, surtout en crise, a besoin d’une justice. L’engouement suscité par les sessions criminelles auprès de la population est révélatrice du besoin et des attentes envers la justice en Centrafrique.

Il faut souligner également qu’il y a une sorte de répartition entre la justice criminelle quotidienne et la Cour pénale spéciale (CPS). La CPS n’a pas été créée pour remplacer et se substituer à la justice du quotidien. Dans cette logique, il est positif que la justice criminelle, dite ordinaire, fonctionne à nouveau. Néanmoins, on peut déplorer un certain nombre d’irrégularité dans les procédures menées lors des sessions criminelles, comme la non prise en compte de la minorité ou l’absence de traducteur. En outre, en raison de plusieurs lacunes dans les enquêtes, aucune condamnation pour crime de guerre ou crime contre l’humanité n’a été prononcée. Sur les 15 condamnations rendues, 10 l’ont été pour association de malfaiteurs. Cela démontre si cela était nécessaire, que les crimes internationaux requièrent une expertise plus approfondie : il est nécessaire de démontrer un contexte, des faits, des intentions et une mise en oeuvre d’une logique criminelle spécifique qui requiert des techniques et une expertise élaborées.

La Cour pénale spéciale a été spécialement créée pour traiter ces "grands dossiers de crimes internationaux". Il est probablement prématuré d’exiger de la justice criminelle habituelle de traiter des dossiers sensibles, complexes et très politiques pour lesquels elle n’est pas proprement outillée.

L’impact des sessions criminelles démontre cependant que les besoins de justice sont importants et qu’il est temps que la CPS agisse et que les populations perçoivent son action dans les prochains mois.

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