Affaire Bemba : La CPI, en prise à de fortes critiques, doit maintenir la représentation légale des victimes pour la mise en place attendue de l’assistance aux victimes

(Bangui) Présentes aux côtés des victimes depuis 2002, la FIDH et ses organisations membres en République Centrafricaine (RCA), la LCDH et l’OCDH, viennent de terminer une nouvelle mission auprès des victimes de l’affaire Bemba. Rejet de la CPI, incompréhension, fossé entre l’acquittement de Jean-Pierre Bemba et ce qu’elles ont effectivement vécu, espoir d’une assistance par le Fonds au profit des victimes de la CPI, tels sont les ressentis et attentes des victimes. Des leçons à apprendre pour la CPI mais aussi pour la Cour pénale spéciale.

« Très en colère », « choquée », « triste », « abandonnés par la CPI », « déçu.es de la justice internationale de laquelle nous attendions une satisfaction ». C’est en ces mots que les dizaines de victimes rencontrées par la mission de la FIDH ont réagi à l’acquittement de Jean-Pierre Bemba par la Chambre d’appel de la Cour pénale internationale, le 8 juin dernier. En effet, après dix années de procédure et une condamnation en première instance pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis par les troupes du Mouvement de Libération du Congo (MLC), dont il était le chef, en RCA en 2002-2003, Jean-Pierre Bemba a été acquitté par la Chambre d’appel de la CPI, à la majorité de sa composition.

« Regardez, moi j’ai les cicatrices des milices de Bemba sur le corps ».
« On a vu Bemba arriver en hélicoptère, piller nos maisons, repartir avec nos biens, donner ses ordres ici » ont déclaré les victimes du PK12 et de Damara, interloquées lorsque la FIDH leur expliquait les motivations de l’acquittement.
« Je suis inquiète » « Cet acquittement va accroître les tensions en Centrafrique, d’autres vont penser qu’ils ne risquent rien ». « Les actes que Bemba a posés ici ont fait des émules ». « Ne pensez-vous pas que l’acquittement de Bemba encouragera d’autres à récidiver ? » « Ses complices et co auteurs pourront-ils être jugés ? »
Certaines victimes, qui voyaient dans le jugement de Bemba un ultime espoir de justice et reconnaissance, ont décidé d’arrêter leur traitement antiretroviraux.
« Après avoir témoigné, participé, assisté à de nombreuses réunions, plus rien, personne n’est venu nous voir » «  Ce qui me fait plus mal c’est qu’on n’existe plus dans le monde entier ».

« Comment avez vous fait pour que Bemba ne soit pas condamné ? »
« La CPI n’a pas bien fait son travail »

Choc, rejet, colère et insatisfaction d’autant plus grands que les victimes ont appris l’acquittement par la radio, sans explication de son contenu, ni de ses implications.

« Il est urgent que la Cour développe des programmes d’information à grande échelle, qu’elle s’adresse directement aux victimes et populations affectées en Centrafrique pour expliquer l’acquittement et ses conséquences ; pourquoi Bemba a pu être acquitté et également condamné pour subornation de témoins. »

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Pour l’instant, seule une minorité des victimes participantes dans l’affaire a pu rencontrer leurs représentantes légales, avec l’aide du Bureau de terrain de la CPI. La situation sécuritaire, les déplacements des victimes ont contribué à rendre difficiles les réunions entre l’ensemble des victimes et leur représentantes légales. Si les juges de la CPI ont laissé au Greffier le soin d’apprécier la continuité de leur mandat, il est fondamental pour que les victimes soient dûment informées et présentent leurs observations, que ce mandat soit maintenu, et ne s’arrête pas dès le mois de novembre comme cela a pu être annoncé.

« Les représentantes légales des victimes assurent seules le lien entre les victimes et la CPI. Il est de leur obligation de rencontrer avec l’aide de la CPI l’ensemble de leurs clients. La confiance perdue en la CPI demeure intacte pour leur représentantes. Aujourd’hui, ce sont les représentantes légales des victimes qui peuvent garantir la meilleure définition et mise en place des programmes d’assistance du Fonds au profit des victimes. Sans elles, impossible d’identifier des victimes, ni leur besoin ; impossible pour les victimes d’avoir confiance dans le Fonds. Or, de la mise en place très rapide, de mesures d’assistance réellement pertinentes dépend désormais la crédibilité de la CPI en RCA. »

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Le Fonds au profit des victimes a annoncé dès le lendemain de l’acquittement réserver 1 million d’euros de ses contributions volontaires à l’instauration de programmes d’assistance médicale, psychologique et matérielle, pour les 5229 victimes participantes dans l’affaire et les autres victimes de violences sexuelles et basées sur le genre du conflit de 2002/2003. En mission en RCA, le Fonds soumettra prochainement son projet d’assistance aux juges de la CPI pour approbation. Conscient de l’urgence de l’assistance pour les victimes dont la vie est directement menacée, le Fonds vise à personnaliser cette assistance et la mettre en place très rapidement.

« Le Fonds a raison de vouloir commencer l’assistance très vite. Les juges devront se prononcer également très vite. Après 10 ans de procédure et un acquittement, les victimes n’attendront plus. Les Etats parties doivent soutenir l’action du Fonds et renforcer ses moyens, ou c’est tout le système de la CPI et la justice internationale qui s’effondreront en RCA. »

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En effet, seule cette action concrète et utile du Fonds pourra alléger le rejet de la CPI, dans l’affaire Bemba mais aussi au-delà. Certaines victimes également concernées par l’enquête en cours de la CPI sur les crimes imputables aux Seleka et anti Balaka depuis 2012, ont d’ores et déjà déclaré ne plus vouloir collaborer avec la Cour. La confiance perdue dans la CPI atteint aussi par ricochet la Cour pénale spéciale, juridiction mixte, avant même qu’elle n’ait commencé ses enquêtes.

« Des programmes de sensibilisation variés et un devoir d’explication et communication renforcée envers les victimes et les communautés affectées ; des stratégie de poursuites équilibrées ; des jugements ancrés dans la réalité des crimes commis sur le terrain et conformes au droit international ; la mise en place d’un Fonds pour la réparation aux victimes ; autant d’éléments qui rendront l’action de la justice pénale internationale ou internationalisée légitime et efficace. »

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