Intervention écrite de la FIDH sur la République centrafricaine

24/04/2003
Communiqué

59ème session, 17 mars - 25 avril 2003

Intervention écrite de la Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH),

une organisation non-gouvernementale dotée du statut consultatif spécial
Point 9 de l’ordre du jour

La Fédération internationale des Ligues des droits de l’Homme (FIDH) et son
organisation affiliée, la Ligue centrafricaine des droits de l’Homme (LCDH) souhaitent
faire état de leurs vives préoccupations face aux violations des droits de l’Homme en
République Centrafricaine.

Les tentatives successives de prise de pouvoir par la force des rebelles de l’ex
président Kolingba en mai 2001 et de l’ex chef d’Etat major, Bozize, en octobre 2002
ont plongé le pays dans une situation perpétuelle d’urgence et d’exception source de
graves violations des droits de l’Homme et du droit international humanitaire.

Dans un rapport rendu public en février 2002 « entre discours et réalité, un fossé
béant », la FIDH a dénoncé les graves violations des droits de l’Homme qui ont
entouré le travail de la Commission mixte d’enquête judiciaire, organe établi le 8 juin
2001 par arrêté du Ministre de la Justice pour enquêter sur les responsabilités
engagées dans la tentative de coup d’Etat de mai 2001. Cette Commission s’est très
rapidement révélée être un organe politique aux mains des autorités bafouant le droit
des justiciables et le droit à un procès équitable pourtant protégés par les
instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme ratifiés par la RCA :
arrestations arbitraire sur la base de "fiches anonymes", de dénonciations, voire de
délations ; recours aux écoutes téléphoniques pourtant interdites par l’article 13 de la
Constitution centrafricaine ; non respect des délai de garde à vue ; violation de la
liberté d’aller et venir en interdisant à certains citoyens non impliqués dans la
tentative de putsch et ne faisant l’objet d’aucune poursuite, de quitter le territoire
centrafricain ; détentions arbitraires ;violations des droits de la défense.

C’est sur la base du travail de cette Commission que les personnes accusées
d’atteinte à la sûreté de l’Etat ont été déférées devant la Cour criminelle. Plusieurs
centaines de personnes ont été condamnés par contumace, dont l’ancien chef de
l’Etat André Kolingba condamné à mort, et plusieurs dizaines de personnes
présentes au procès ont été condamné à de lourdes de peines de prison.

Ce procès, entaché par les nombreuses violations au droit à un procès équitable
garanti par les instruments internationaux de protection des droits de l’Homme, a
hypothéqué l’établissement d’un véritable Etat de droit et affaibli le processus de
réconciliation nationale. Cette situation s’est accompagnée en outre d’une situation
économique et sociale extrêmement précaire renforçant la contestation au sein de la
société civile. Virtuellement riche, le pays miné par la corruption, ne paye plus ces
fonctionnaires depuis plus de deux ans
Malgré les accords de Libreville signé en octobre 2002 sous médiation régionale
africaine visant à l’instauration d’une paix durable en RCA par le départ des
mercenaires et l’arrivée d’une force régionale de la CEDEAO devant assurer la
sécurité du président Patassé, une nouvelle tentative de coup d’Etat menée par le
général Bozize a replongé le pays quelque jours plus tard dans une situation
d’exception à l’origine de violations massives des droits de l’Homme et du droit
international humanitaire.
Les combats dans la capitale entre le 25 et le 31 octobre 2002 entre rebelles et
forces gouvernementales ont fait plusieurs morts et de nombreux blessés parmi la
population civile.
Par ailleurs, la tentative de coup d’Etat a provoqué des déplacements de population
notamment des habitants de Bangui qui ont fui vers les campagnes du nord estimés
à environ 20 000 par le Haut Commissariat aux Réfugié des Nations unies (HCR).

En outre, de même que la tentative du 28 mai 2001 avait entraîné une forme de
persécution de l’ethnie Yacoma (groupe auquel appartient l’ex président Kolingba
auteur de cette tentative), le conflit d’octobre 2002 et la crainte mêlée de haine
ressentie à l’égard des troupes mercenaires congolaises de Bemba venues renforcer
les troupes gouvernementales a elle entraîné parmi la population centrafricaine des
comportements de rejet contre les congolais vivant en RCA. A l’inverse, les
ressortissants tchadiens subissent menaces et pression des Congolais du fait de leur
nationalité. Ils sont assimilés au hommes de Bozize.
Une mission d’enquête de la FIDH qui a séjourné à Bangui fin novembre 2002 a pu
également établir, par constatations et témoignages, que les mercenaires de Jean-
Pierre Bemba (MLC) et les hommes de Miskine, chargés de la Sécurité
présidentielle, appelés par le chef de l’Etat pour repousser les rebelles au nord du
pays se sont rendus coupables de crimes de guerre : exécutions sommaires et viols
de civils, pillages systématiques.
La FIDH et sa ligue membre considèrent que ces crimes entrent dans la champs de
compétence de la Cour pénale internationale (CPI), dont le Statut a été ratifiée par la
RCA et, à défaut de la prise en considération judiciaire de ces crimes par les
autorités nationales, ne manqueront pas d’informer le procureur de la CPI pour qu’il
se saisisse du dossier.

La FIDH et l’OCDH demandent à la Commission des droits de l’Homme :

 d’adopter une résolution sur la situation des droits de l’Homme en Centrafrique qui
prie les autorités congolaises d’inviter l’ensemble des mécanismes thématiques de la
Commission pour faire la lumière sur les graves exactions commises depuis le 25
octobre 2002.
Aux autorités de la République Centrafricaine :
 de s’engager sur la voix du dialogue et des négociations avec les rebelles pour
trouver une solution globale au conflit et garantir une paix durable Centrafrique,
notamment par la mise en œuvre effective des Accord de Libreville .
 identifier et sanctionner les auteurs de violations des droits de l’homme et du droit
international humanitaire.
 Mettre fin à tous les régimes et à toutes les pratiques d’exception (état d’urgence,
régimes dérogatoires de droit ou de fait, etc.)
 Respecter les normes constitutionnelles et tout particulièrement l’égalité en droit de
tous les citoyens en respecter la séparation des pouvoirs, et en particulier
l’indépendance de la justice.
 Plus généralement de ratifier dans les plus brefs délais les conventions
internationales relatives à la protection et la promotion des droits de l’Homme, et
notamment la Convention de New York (1984) sur la torture et autres peines ou
traitements cruels, inhumains et dégradants et le Protocole à la Charte africaine des
droits de l’Homme et des peuples portant création d’une Cour africaine des droits de
l’Homme et des peuples
 De coopérer avec les organes conventionnels des Nations unies chargés de
surveiller le respect et la mise en œuvre des conventions internationales ratifiées par
les Etats, en leur remettant les rapports initiaux et périodiques dus par la République
centrafricaine
 De mettre en œuvre en droit interne le Statut de la Cour pénale internationale en
adoptant une loi d’adaptation prévoyant à la fois les obligations de coopération entre
la CPI et l’Etat centrafricain (la définition des crimes, les principes généraux du droit
pénal international, etc.) et l’harmonisation du droit matériel centrafricain avec le
Statut de Rome.

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