République démocratique du Congo : protégeons de toute urgence les défenseur·es des droits humains à risque au Nord et au Sud-Kivu

05/02/2025
Déclaration
RDC
Julia Doublait / FIDH

Alors que le groupe armé du Mouvement du 23 Mars (M23) continue sa progression dans le Nord et Sud-Kivu, en contrôlant désormais la ville stratégique de Goma, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits humains, un partenariat entre la Fédération pour les droits humains (FIDH) et l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), exprime sa profonde inquiétude concernant les violations graves du droit international des droits humains et du droit humanitaire, de la part de toutes les parties au conflit, à l’encontre des défenseur·es des droits humains à l’est de la République Démocratique du Congo (RDC), et exhorte à des mesures immédiates pour garantir leur sécurité.

Genève, Paris, le 4 février 2025. Depuis le mois de janvier 2025, les affrontements opposant le M23, soutenu par l’armée rwandaise selon les Nations unies, à l’armée régulière de la RDC (FARDC) appuyée par une milice armée d’autodéfense (Wazalendo), se sont intensifiés et ont plongé la ville de Goma, de même que d’autres villes de l’est de la RDC comme Saké, Masisi, et Minova, dans une crise humanitaire sans précédent. À ce jour et en dépit du droit international humanitaire, l’assistance humanitaire demeure bloquée à l’extérieur de Goma, tandis que la population est toujours privée d’accès à l’eau potable, à l’électricité, à internet, à la nourriture en quantité suffisante et à des soins de santé adéquats - la capacité d’accueil des hôpitaux étant saturée. S’il était pendant quelques jours complètement impossible d’entrer et sortir de la ville, quelques voies de passage ont été rouvertes. Néanmoins, les civil·es, toujours au milieu des affrontements, peinent à circuler librement dans la ville. Goma, lieu de refuge emblématique pour les 1 million de déplacé·es internes des conflits armés successifs dans l’est de la RDC depuis plusieurs années a ainsi tristement sombré dans le chaos, forçant celles et ceux qui y sont parvenu·es, à fuir de nouveau.

À l’est de la RDC, en proie aux conflits armés depuis 30 ans, les défenseur·es des droits humains occupent une place centrale auprès de la population en compensant progressivement les défaillances des services sociaux de base. Ils et elles viennent en aide aux populations les plus vulnérables, assistent les victimes, luttent contre l’impunité et la désinformation, assurent la promotion et la protection des droits humains et du droit international humanitaire par la surveillance et la documentation des violations de ces droits, et mettent en œuvre des activités de sensibilisation à ce sujet.

Les obstacles rencontrés par les défenseur·es dans l’exercice de leur mission les empêchent désormais de porter assistance aux populations vulnérables, aggravant ainsi davantage leur condition. Les coupures d’internet et d’électricité, ainsi que la restriction des déplacements les empêchent d’accéder aux victimes et d’accompagner les personnes dans le besoin, ainsi que d’accéder à l’information et de pouvoir la diffuser, compromettant ainsi leur mission cruciale. La Déclaration des Nations unies sur les défenseurs des droits de l’homme de 1998 précise pourtant à cet égard que les défenseur·es doivent pouvoir mener leurs activités en toutes circonstances, y compris en temps de guerre.

Au-delà des conséquences irréversibles sur la population, les risques de menace à l’intégrité physique et mentale à l’encontre des défenseur·es et de leurs familles sont accrus. Depuis l’intensification des affrontements armés, l’Observatoire a en effet reçu des témoignages faisant état de violations du droit international des droits humains à l’encontre de plusieurs défenseur·es et de membres de leur famille, à savoir des exécutions extrajudiciaires, des agressions et des intimidations à la suite d’affrontements entre les FARDC et le M23 soutenu par l’armée rwandaise, en représailles de leur travail de documentation et de dénonciation des violations des droits humains et humanitaire perpétrées depuis le début de cette guerre par l’une ou l’autre partie au conflit. Selon les informations reçues un représentant du M23 a d’ailleurs ouvertement menacé les défenseur·es en interdisant toutes leurs activités dans les zones contrôlées par les rebelles. Le 28 janvier 2025, le Haut-Commissaire aux droits de l’homme des Nations unies alertait déjà la communauté internationale quant à la vulnérabilité accrue des « défenseur·es des droits humains, des journalistes, et autres acteur·ices de la société civile » présent·es à Goma. En juin 2024, la Rapporteuse spéciale des Nations unies sur les défenseur·es des droits humains avait également dénoncé les attaques et les menaces quotidiennes à l’encontre des défenseur·es des droits humains dans le pays de la part de toutes les parties au conflit.

Avec l’avancée du M23, qui a déjà pris le contrôle de certaines localités dans le territoire de Kalehe, au Sud-Kivu, le travail de médiation et de réconciliation mené par les défenseur·es depuis des années dans la région est aujourd’hui gravement mis en péril. Plusieurs défenseur·es ont dû fuir le Nord-Kivu avec leurs familles pour trouver refuge dans les pays voisins ou dans la province du Sud-Kivu, interrompant ainsi leurs activités quotidiennes de protection et d’assistance à la population. Ils et elles sont donc désormais forcé·es de vivre en exil ou comme déplacé·es internes sans assistance. Des groupes armés opérant dans la province du Sud-Kivu tels que les groupes Ngumino, Tuhirwaneho, Makanika, Red Tabara, FNL sont déjà mobilisés pour appuyer leurs alliés du M23. Les défenseur·es des droits humains du Sud-Kivu risquent donc, comme leurs collègues du Nord-Kivu, de ne plus pourvoir exercer leur travail et de subir des représailles pour avoir dénoncé les crimes de ces groupes et leur pillage des ressources naturelles dans les moyens et hauts plateaux d’Uvira, de Fizi et de Mwenga. De plus, avec le retrait de la Mission de l’Organisation des Nations unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo (Monusco) de la province du Sud-Kivu en juin 2024, la protection des civils et la sécurité des défenseur·es ne sont plus assurées par la Mission et demeurent aux mains des autorités congolaises, dont les moyens sont limités.

 Les défenseur·es n’étant plus en sécurité à l’est de la RDC, l’Observatoire exhorte la communauté internationale à mettre en place un mécanisme d’assistance d’urgence à destination des défenseur·es capable de répondre à leurs besoins vitaux sur le long terme et à faciliter leur évacuation de la région.
 Face à cette situation humanitaire alarmante, l’Observatoire exige des parties au conflit qu’elles s’accordent immédiatement sur l’instauration durable de couloirs humanitaires afin de garantir le passage sans danger de l’assistance humanitaire, le départ sécurisé de civil·es et l’évacuation des blessé·es, des malades et des défunt·es, conformément au droit international humanitaire.
 L’Observatoire appelle les parties au conflit à garantir la protection des défenseur·es des droits humains en tant que civil·es au titre du droit international humanitaire, tout en tenant compte de leur vulnérabilité spécifique en tant que défenseur·es, et de l’intersectionnalité des violations qu’ils et elles subissent.
 L’Observatoire demande aux parties au conflit de mettre tout en œuvre pour garantir le respect, le soutien et la protection pleine et effective des activités des défenseur·es afin de garantir l’exercice des droits humains en temps de conflit et d’après conflit – y compris en rétablissant durablement internet et l’électricité et en ouvrant les frontières.
 L’Observatoire appelle instamment les acteurs étatiques et les organismes sous-régionaux, régionaux et internationaux à reconnaître le rôle crucial des défenseur·es dans la prévention, les processus de négociations pour la paix et la sécurité, le règlement des conflits et la reconstruction après conflit. La pleine participation des défenseur·es doit être garantie à toutes ces étapes, notamment en collaborant avec elles et eux dans le cadre des enquêtes pour établir la responsabilité des auteurs des violations afin de lutter contre l’impunité.

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